« Après s’être effondrées lors de la crise financière mondiale, puis avoir rebondi après celle-ci, les exportations réelles de biens du Japon sont restées globalement stables au cours des dernières années, malgré une forte dépréciation du yen depuis fin 2012. Suite à l’assouplissement agressif de la politique monétaire de la Banque du Japon, le yen s’est déprimé d’environ 35 % en termes effectifs réels au cours de la période. Cette dépréciation fait suite à une forte appréciation du yen entre 2008 et 2011. Qu’est-ce qui peut expliquer la lenteur de la reprise des exportations japonaises ? (…)

Une lente reprise des exportations

La reprise des exportateurs au Japon est plus lente que ce que nous pourrions attendre en nous basant sur la réaction passée des exportations face à la demande externe et au taux de change. Les exportations sont actuellement 20 % plus faibles que le niveau prédit par une équation de demande externe standard, estimée à partir de la période antérieure à l’Abenomics.

Une faible transmission aux prix à l’export

Les exportateurs japonais ont longtemps (…) maintenu des prix à l’export stables sur les marchés étrangers et absorbé les fluctuations de taux de change à travers les marges de profit. Cette pratique s’est traduite par un affaiblissement de la transmission des variations de taux de change aux prix à l’export. Depuis le début de la dépréciation du yen en 2012, les prix à l’export en yen ont augmenté brutalement, et les marges de profit des exportateurs japonais ont augmenté d’environ 20 %. (Les exportateurs ont aussi connu une forte compression de leurs marges de profit durant la brutale appréciation du yen entre 2008 et 2011 et ils reconstituent leurs marges depuis.)

Les variations du taux de change ne se transmettaient pas complètement aux prix à l’export pendant une certaine période, mais les preuves empiriques suggèrent que cette transmission s’est récemment encore davantage affaiblie. (…) La transmission des variations du taux de change est passée de 85 % à environ 50 % entre les années quatre-vingt et aujourd’hui. En d’autres mots, une dépréciation de 10 % du yen réduisait les prix à l’export d’environ 8,5 % durant les années quatre-vingt, mais de seulement 5 % aujourd’hui. Cette observation suggère que si la transmission était restée la même que celle des années quatre-vingt, les prix à l’export aurait dû chuter de presque 30 % depuis 2012, alors qu’ils n’ont baissé que de 17 %. Si l’on se base sur l’élasticité des exportations vis-à-vis des prix, on en conclut que ce plus ample déclin aurait dû à son tour stimuler les exportations de 6 points de pourcentage supplémentaires. Notons, cependant, qu’à moyen terme, la transmission des variations du taux de change est susceptible de s’accroître. Ree, Hong et Choi (2015) (2015) constatent que la transmission des variations du taux de change aux prix à l’export survient sur environ cinq ans au Japon et n’atteint son maximum qu’après, ce qui suggèrerait que la croissance des exportations devrait être plus forte à l’avenir.

La délocalisation de la production

Au cours des deux dernières décennies, les entreprises japonaises se sont davantage développé à l’étranger pour exploiter les différentiels de coût du travail et un accroissement de la demande dans les pays hôtes. Le rythme des délocalisations (offshoring) s’est accéléré depuis la crise financière mondiale, très certainement en conséquence de la forte appréciation du yen entre 2008 et 2011 et de l’incertitude à propos de l’offre d’énergie suite au tremblement de terre de 2011. L’investissement à l’étranger des filiales japonaises représente maintenant environ 25 % de l’investissement totale dans l’industrie.

Les ventes à l’étranger (la somme des exportations et ventes par les filiales japonaises) se sont accrues de plus de 60 % en valeur depuis 2011, ce qui est bien plus rapide que le taux de croissance des exportations domestiques (en l’occurrence 14 %), et elles représentent maintenant environ 60 % des ventes totales (Kang et Piao, 2015). Cette tendance haussière dans l’investissement et ventes réalisés à l’étranger suggère que le commerce intrafirme est devenu bien plus important. Ce constat peut contribuer à expliquer le déclin de la transmission des variations de taux de change, étant donné que les transactions intrafirme sont moins sujettes aux fluctuations du taux de change. (…) Il semble que l’accroissement des délocalisations de la production ait poussé à la baisse les exportations, ce qui aurait compensé le l’impact positif de la dépréciation du yen sur les exportations.

Une plus forte participation aux chaînes de valeur mondiales

Les exportations japonaises sont dominées par des produits à forte valeur ajoutée, par exemple des machines électriques et des équipements de transport, puisque ceux-ci représentent plus de 60 % des exportations. Ces secteurs sont spécialisés, ne sont pas facilement substituables et sont étroitement connectés aux chaînes de valeur mondiales.

Au cours des deux dernières décennies, le Japon s’est impliqué de plus en plus dans les chaînes de valeur mondiales. Selon la base de données TiVA de l’OCDE et de l’OMC, la part de la valeur ajoutée étrangère en pourcentage des exportations brutes du Japon (taux de participation en amont) a augmenté et est passée de 6 % à 11 % entre 1995 et 2009. Entretemps, le Japon est aussi devenu un plus grand offreur d’intrants intermédiaires pour les exportations de d’autres pays : la part des intrants produits dans l’économie domestiques utilisés dans les exportations de pays tiers (taux de participation en aval) est passée de 22 % à 33 % durant la même période. Cela fait du Japon l’un des pays ayant connu l’une des plus fortes hausses du taux de participation en aval.

En outre, en comparaison avec d’autres pays non exportateurs de matières premières, le Japon est davantage spécialité dans des secteurs en début de chaîne de valeur qui sont plus intensifs en recherche et en conception, comme le montrent les données TiVA. Comme le Japon devient plus étroitement impliqué dans les chaînes de valeur mondiales et comme les chaînes de valeur mondiales deviennent de plus en plus complexes, la dépréciation du taux de change est susceptible de jouer un rôle moins important dans la stimulation de la croissance des exportations de tels biens relatifs aux chaînes de valeur mondiales.

Globalement, la réponse des exportations à la dépréciation du yen est devenue bien plus faible que ce que l’on aurait pu attendre en raison d’un nombre de facteurs spécifiques au Japon. En particulier, cette faible réponse reflète largement l’accélération de la délocalisation de la production depuis la crise financière mondiale. Elle reflète aussi une implication plus profonde de la production et des échanges du Japon dans les chaînes de valeur mondiales et un déclin dans la forte de la transmission des variations du taux de change à court terme. »

FMI (2015), « Japanese exports: What’s the holdup? », in World Economic Outlook, septembre 2015. Traduit par Martin Anota



aller plus loin... lire « Quelle est l’efficacité de l’Abenomics ? »