« Lorsque l’économie connaît ce que l’on appelle une "maladie hollandaise" (ou "syndrome hollandais" ou encore "malédiction des ressources naturelles"), un boom dans le secteur produisant des matières premières au sein d’une économie exerce des pressions à la baisse sur la production de biens exportables (autres que les matières premières), en particulier sur la production de biens manufacturés.

Une longue littérature, apparue dans le sillage des études séminales de Corden (1981) et de Corden et Neary (1982), examine la dynamique et l’optimalité de la réallocation des facteurs entre les secteurs suite aux booms dans la production de matières premières (liés à la découverte de ressources naturelles). Les modèles présentés dans ces études prédisent qu’une amélioration des termes de l’échange pour les matières premières et la dépense subséquente du supplément de revenu dans l’économie domestique va pousser le taux de change à la hausse et détourner le travail et le capital hors du secteur manufacturier vers les secteurs produisant des matières premières et les secteurs produisant des biens non exportables. En fait, deux effets seraient alors à l’œuvre : d’une part, il y a un effet de "déplacement des ressources", à travers lequel la hausse des prix des matières premières alloue dans le secteur producteurs de matières premières les ressources tirées des autres secteurs productifs ; d’autre part, il y a un "effet de dépenses", qui tire les facteurs de production hors des secteurs produisant des biens exportables (auxquels se substituent les importations) pour les allouer dans le secteur de biens non exportables.

Malgré certaines preuves empiriques suggérant une relation positive entre les termes de l’échange et le taux de change réel des exportateurs de matières premières, la recherche empirique a abouti à des résultats nuancés lorsqu’elle a cherché à déterminer si les booms de matières premières nuisaient aux performances du secteur manufacturier. C’est notamment le cas des études qui se focalisent sur les mêmes pays ou les mêmes épisodes :

Plusieurs études ne constatent aucune maladie hollandaise. Les études portant sur le boom du prix du pétrole durant les années soixante-dix, telles que celles de Gelb et alii (1988) et de Spatafora et Warner (1995), estiment que la hausse des prix du pétrole a entraîné une appréciation du taux de change réel, mais qu’elle n’a eu aucun impact négatif sur la production manufacturière dans les économies exportant du pétrole. Sala-i-Martin et Subramanian (2003) constatent que le taux de change réel et l’activité manufacturière sont insensibles aux fluctuations du prix du pétrole au Nigéria, un exportateur de pétrole. Bjørnland (1998) affirme que les preuves empiriques suggérant une maladie hollandaise au Royaume-Uni suite au boom pétrolier sont fragiles et que la production manufacturière en Norvège bénéficia des découvertes de nouveaux gisements de pétrole et de la hausse des prix du pétrole.

D’autres études mettent au contraire en évidence des effets propres à la maladie hollandaise. Ces études sont souvent plus récentes. Ismael (2010) a utilisé des données désagrégées pour les sous-secteurs manufacturiers à partir d’un échantillon d’exportateurs de pétrole sur la période s’écoulant entre 1977 et 2004. Il constate que la production manufacturière fut négativement associée aux prix du pétrole, en particulier dans les sous-secteurs avec un degré relativement élevé d’intensité du travail dans la production. Harding et Venables (2013) ont utilisé des données relatives à la balance des paiements pour un large échantillon d’exportateurs de matières premières pour la période entre 1970 et 2006. Ils constatent qu’une hausse d’un dollar des exportations de matières premières tend à s’accompagner d’une chute de 0,75 dollar dans les exportations de biens autres que les matières premières et par une hausse de presque de 0,25 dollar des importations de biens autres que des matières premières.

Certaines preuves empiriques suggérant indirectement un effet de maladie hollandaise peuvent être décelées en regardant l’évolution des parts des pays dans les exportations manufacturières mondiales, qui tendent à être plus faibles en moyenne pour les exportateurs de matières premières que pour les autres pays émergents et en développement. Bien que les deux groupes aient accru leurs parts du marché au cours du temps (relativement aux économies avancées), les exportateurs de matières premières ont connu une plus faible hausse de leurs parts dans les exportations mondiales de biens manufacturés que les autres pays, et l’écart entre les parts de marché moyennes des deux groupes s’est élargi depuis le début des années quatre-vingt-dix.

Cependant les examens formels réalisés pour déterminer si les booms dans les termes de l’échange nuisaient aux performances à l’exportation du secteur manufacturier aboutissent à des résultats contrastés. Le taux de change réel s’apprécie graduellement suite à une hausse des termes de l’échange des matières premières (et la hausse devient statistiquement significative qu’après seulement la cinquième année), mais l’impact sur les exportations de biens manufacturés n’est pas significatif (…).

Diverses explications ont été avancées pour expliquer l’absence de symptômes de maladie hollandaise suite aux booms des termes de l’échange de matières premières. Elles incluent les restrictions dans le secteur pétrolier (en particulier dans les années soixante), la nature "d’enclave" du secteur des matières premières (en l’occurrence, sa participation limitée aux marchés de facteurs domestiques), la faible dépense des recettes sur les biens non exportables (avec au contraire un essor des importations) et une protection par l’Etat du secteur manufacturier.

Une autre explication peut être liée à l’accélération de l’activité économique mondiale qui, au cours de certains épisodes, peut contribuer aux booms des prix mondiaux des matières premières. Une plus forte activité mondiale peut entraîner une plus forte demande étrangère pour les biens manufacturés dans tous les pays, notamment dans les pays exportateurs de manières premières, si bien qu’elle compense au sein de ces derniers la perte de compétitivité associée à l’appréciation réelle du taux de change. Cette explication semble cohérente avec les résultats nuancés auxquels aboutit la littérature empirique. Les symptômes de la maladie hollandaise apparaissent être plus visibles dans les études qui examinent la performance du secteur manufacturier au cours de longues périodes de temps, qui incluent les épisodes de découvertes de gisements de ressources et la hausse subséquente des volumes de production de matières premières. On ne s’attendrait pas forcément à ce que de tels épisodes spécifiques aux pays coïncident avec les épisodes de plus forte croissance dans la demande mondiale.

Une question qui a reçu beaucoup d’attention de la part des responsables politiques est si les effets associés au boom des matières premières sur le secteur manufacturier pèsent sur la croissance à long terme. En principe, les booms de matières premières peuvent compromettre les perspectives à long terme de l’économie s’ils affaiblissent les caractéristiques du secteur manufacturier qui soutiennent la croissance à plus long terme, tels que les rendements d’échelle, l’apprentissage par la pratique (learning-by-doing) et les externalités technologiques positives. Cependant les preuves empiriques ne sont pas concluantes. Une explication pour le manque de corrélation apparente entre les symptômes de maladie hollandaise et la croissance à plus long terme peut être que les externalités associées à l’apprentissage par la pratique ne sont pas nécessairement exclusives à l’activité manufacturière ; les secteurs produisant des matières premières peuvent aussi bénéficier de cet effet (Frankel, 2012). Une autre explication pourrait être qu’un secteur manufacturier qui (…) se caractérise par une plus grande intensité capitalistique en conséquence d’un boom des matières premières (et qui, à son tour, utilise des travailleurs hautement qualifiés) peut générer des répercussions plus positives pour l’économie qu’un plus large secteur manufacturier qui utiliserait de la main-d’œuvre peu qualifiée (Ismael, 2010). »

Aqib Aslam et Zsóka Kóczán, « The not-so-sick patient: Commodity booms and the dutch disease phenomenon », in FMI, World Economic Outlook, octobre 2015, pp. 29-30. Traduit par Martin Anota



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