« Cela fera bientôt huit ans que la Réserve fédérale des Etats-Unis a décidé de ramené son taux d’intérêt au plus proche de 0 %. Les taux d’intérêt de d’autres banques centrales se sont également collés à la borne inférieure zéro (zero lower bound) ces dernières années, voire même plus longtemps dans le cas de la Banque du Japon. Au cours de ces huit dernières années, les banques centrales ont utilisé tous leurs instruments pour accroître l’inflation et la ramener au plus proche de sa cible et pour stimuler la croissance pour un résultat en demi-teinte. La croissance du PIB a été faible ou anémique et il y a peu d’espoir que le PIB rejoigne la trajectoire tendancielle qu’il suivait avant la crise.

Certaines de ces tendances ont remis en question l’idée que les économistes universitaires et les décideurs politiques se font à propos du fonctionnement de l’économie. Certains faits furent très peu anticipées : le fait que les banques centrales ne peuvent rapprocher les taux d’inflation à proximité de leurs cibles sur un horizon aussi long ; le fait qu’une crise puisse persister et que la conjoncture puisse avoir des répercussions profondes et permanentes sur la production potentielle ; la tendance lente (ou inexistante) de l’économie à s’ajuster naturellement à un nouvel équilibre.

Pour être exact, certains de ces faits ne sont pas entièrement surprenants et ils correspondent bien à la description d’économies déprimées dont les taux d’intérêt se retrouvent contraints par leur borne inférieure zéro en raison de la déflation ou de la faible inflation (lowflation). Les économistes qui ont étudié l’histoire récente du Japon nous ont mis en garde à propos de tout ça : Krugman et Bernanke, parmi d’autres, ont décrit ces dynamiques dans le cas du Japon. Mais je suis prêt à parier que même ceux qui étaient d’accord avec cette lecture des événements au Japon n’avaient jamais pensé que la même chose surviendrait dans d’autres pays avancés. Beaucoup pensaient que la stagnation japonaise résultait de la seule incompétence des décideurs politiques au Japon. Désormais nous savons maintenant que soit tous les banquiers centraux sont aussi incompétents que ceux de la Banque du Japon durant les années quatre-vingt-dix, soit que le phénomène est un peu plus naturel et qu’il est susceptible de se répéter, dans les économies avec une faible inflation, lorsque les taux d’intérêt réels naturels sont très faibles.

Mais si ce scénario est davantage susceptible de se produire à l’avenir, il faut peut-être repenser le cadre de notre politique économique. Certaines propositions évidentes incluent le relèvement de la cible d’inflation et de considérer sérieusement la "monnaie-hélicoptère" comme instrument pour les banques centrales. Mais aucune de ces propositions ne soulève énormément d’enthousiasme.

Personnellement, je pense que la vision des choses que partagent les universitaires et les décideurs politiques ne change pas suffisamment vite. Certains supposent tout simplement que ce sera un événement unique au cours de l’histoire, qu’il ne se répétera pas à l’avenir (alors même que nous ne sommes pas vraiment sortis de la crise actuelle !).

La comparaison avec les années soixante-dix, décennie au cours de laquelle la stagflation a provoqué un profond changement dans la manière par laquelle l’université et les responsables politiques pensaient à propos de leurs modèles et le cadre de la politique monétaire, est frappante. Durant ces années-là, un environnement de forte inflation et de faible croissance provoqua une révolution parmi les universitaires (ces derniers ayant abandonné la courbe de Phillips traditionnelle) et parmi les responsables de la politique économique (les banques centrales ayant embrassé la lutte contre l’inflation et acquis leur indépendance). Combien d’années de taux d’intérêt zéro faudra-t-il pour observer un changement aussi décisif dans l’analyse économique ? »

Antonio Fatás, « The missing lowflation revolution », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 29 octobre 2015. Traduit par Martin Anota



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