« Dans la plupart des pays avancés, les cycles d’affaires peuvent être bien caractérisés par une succession de longues phases d’expansion qui sont interrompues par de brèves expansions. Etant donné ce schéma, il est quelque fois naturel de considérer la durée des expansions comme un aspect clé pour décrire le cycle d’affaires. Même si d’autres variables importent (notamment la profondeur et la durée des récessions), le paramètre qui a changé le plus au cours des cycles, que ce soit dans le cas des Etats-Unis ou dans une certaine mesure dans le cas des pays européens, est précisément la durée de l’expansion.

Dans le cas des Etats-Unis (en utilisant les dates des cycles d’affaires proposées par le NBER), après la Seconde Guerre mondiale les expansions ont duré entre 12 mois (lors de l’expansion qui s’est achevée au premier trimestre de l’année 1981) à 120 mois (lors de l’expansion qui s’est interrompue en 2001). L’expansion actuelle est déjà à l’œuvre depuis 77 mois, si bien qu’elle est de fait plus longue que la précédente expansion, celle que les Etats-Unis ont connue entre 2001 et 2007.

Même si compter le nombre de mois depuis la précédente récession n’est pas une bonne manière de prévoir l’occurrence de la prochaine récession, il ne faut pas ignorer qu’une récession nous attend certainement dans un futur pas si lointain. Et lorsque nous commençons à nous demander quand aura lieu la prochaine récession, il faut aussi se demander si nous serons prêts pour y faire face. En l’occurrence, est-ce que la politique monétaire sera retournée à la normale et sera capable d’y répondre ?

Les taux d’intérêt n’ont pas quitté leur borne zéro, que ce soit en Europe, aux Etats-Unis ou au Japon. C’est bien sûr très inhabituel étant donnée la durée de l’expansion. Une autre manière de voir à quel point la politique monétaire et les taux d’intérêt sont normaux est d’évaluer la différence entre les taux de long terme et le taux directeur de la banque centrale.

GRAPHIQUE Prime de terme (en points de pourcentage)

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Dans le cas des Etats-Unis, nous pouvons voir que cette différence (appelée prime de terme) est restée très élevée depuis la récession de 2008-2009 (cf. graphique, avec les zones grisées indiquant les récessions). A la différence des précédentes expansions où la prime de terme a diminué deux à quatre ans après la fin de la récession qui les a précédées (principalement en raison des hausses du taux de court terme), elle est restée dernièrement inhabituellement élevée.

Il y a une interprétation optimiste du graphique qui suggère que nous sommes loin de la prochaine récession. Sous l’hypothèse que la prime de terme doit être proche de zéro avant qu’une récession survienne, il faudra beaucoup de temps avant que nous connaissions la prochaine récession. Mais cette lecture ignore le fait qu’aujourd’hui les taux de court terme ne sont pas normaux, mais contraints par la borne inférieure zéro (zero lower bound). Les récessions ne surviennent pas parce que la prime de terme diminue ; elles surviennent pour d’autres raisons et la prime de terme a tendance à varier avec le cycle. Mais cette expansion n’est pas comme les précédentes, en raison des contraintes pesant sur les taux de court terme, donc il est possible que la différence avec les taux de long terme soit cette fois-ci un bien piètre indicateur pour estimer à quel point nous sommes proches d’une récession.

Et cette seconde lecture plus pessimiste du graphique nous rappelle le risque face auquel nous faisons face si la prochaine récession se situe dans un proche futur et si la politique monétaire n’a pas eu le temps de revenir à la normale, c’est-à-dire si les taux de court terme n’ont pas eu le temps de suffisamment augmenter pour pouvoir être fortement abaissés en cas de récession. Basculer dans une nouvelle récession en Europe ou aux Etats-Unis avec des taux d’intérêt qui sont trop proches de zéro ne semble pas être une bonne idée. Et il y a beaucoup d’incertitude étant donné que nous n’avons pas vu une telle situation au cours des récents cycles d’affaires. »

Antonio Fatás, « Counting backwards to the next recession », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 23 novembre 2015. Traduit par Martin Anota