« Selon ce que j’ai décrit il y a plus d’un an comme le véritable récit de la crise de la zone euro, l’Allemagne a contenu les hausses de salaires nominaux sous le niveau des autres pays du cœur de la zone euro, ce qui lui permet de gagner graduellement un large avantage comparatif sur eux. Cela a eut plusieurs conséquences, mais peut-être que la plus importante d’entre elles est que, lorsque la Grande Récession survint, l’Allemagne fut en meilleure position que tous les autres pays de la zone euro. (C’est essentiellement un jeu à somme nulle, parce que le taux de change de l’euro varie pour influencer la compétitivité de l’ensemble de la zone euro) (…).

Jusqu’à présent j’ai toujours pris soin d’éviter de décrire ce comportement comme une politique délibérément non coopérative (beggar my neighbour). Mais l’un des cinq membres du Conseil allemand des Experts Economiques, Peter Bofinger, a écrit cela :

"En 1999, lorsque la zone euro débuta, l’Allemagne était confrontée à un taux de chômage excessivement élevé (…), bien qu’il était toujours inférieur à la moyenne de la zone euro. La solution au problème du chômage fut typique du système corporatiste de l’Allemagne. Déjà en 1995, Klaus Zwickel, le patron du puissant syndicat IG Metall, avait proposé un Bündnis für Arbeit (pacte pour le travail). Il a explicitement déclaré qu’il accepterait une stagnation des salaires réels, c’est-à-dire se contenter de laisser s’accroître les salaires nominaux juste suffisamment pour compenser l’inflation, si les patrons acceptaient de créer de nouveaux emplois. Cela mena au Bündnis für Arbeit, Ausbildung und Wettbewerbsfähigkeit (pacte pour le travail, l’éducation et la compétitivité), qui fut établi par Gerhard Schröder en 1998. Le 20 janvier 2000, les syndicats et patronats déclarèrent explicitement que les hausses de productivité ne doivent pas être utilisées pour les hausses de salaires réelles, mais pour des accords qui accroissent l’emploi. Par essence, la modération salariale est une tentative explicite de dévaluer le taux de change réel de manière interne. »

Vous entendrez toujours des gens dire que le deutschemark était surévalué lorsqu’il fut converti en euro, mais mes analyses à l’époque suggéraient que ce n’était pas le cas. En tout cas, il est difficile d’affirmer que le taux de change implicite de l’Allemagne est aujourd’hui sous-évalué dans la mesure où son excédent courant dépasse 7 % du PIB.

Il est difficile de sous-estimer l’importance de tout cela. Les patrons et salariés allemands se sont mis d’accord pour adopter une politique qui prendrait des emplois de leurs partenaires européens. (…) Cela fait de la l’Allemagne, un pays avec une capacité unique à coopérer sur une dévaluation interne de ce genre, un pays dangereux avec lequel former une union monétaire. La chose que je trouve extraordinaire à propos de tout cela est que les voisins de l’Allemagne semblent l’avoir laissée faire sans s’en rendre compte ou en tout cas sans s’en plaindre. »

Simon Wren-Lewis, « Was German undercutting deliberate? », in Mainly Macro (blog), 2 décembre 2015. Traduit par Martin Anota



« Lorsque l’on voit certains des commentaires qui ont été publiés suite à mon précédent billet, il apparaît évident que beaucoup ne comprennent pas comment fonctionne une union monétaire. (…) Je pense qu’une petite explication s’impose.

Nous devons partir de l’idée qu’un pays avec un taux de change flexible ne va pas accroître sa compétitivité externe en réduisant les salaires et prix domestiques. La raison en est que le taux de change varie d’une manière qui compense ce changement. C’est ce que les économistes peuvent appeler une proposition de neutralité basique et il y a eu plein de preuves empiriques pour soutenir cette idée. La zone euro dans son ensemble est comme une économie à taux de change flexible. Par exemple, si les salaires et les prix chutent d’environ 3 %, alors l’euro va s’apprécier de 3 %.

Que se passe-t-il si juste un pays dans la zone euro, comme l’Allemagne, réduit les salaires et les prix de 3 % ? Si l’Allemagne représente un tiers de l’union monétaire, alors les prix et salaires de l’ensemble de la zone euro vont diminuer de 3 %. Etant donnée la logique du précédent paragraphe, l’euro va s’apprécier de 1 %. Cela signifie que l’Allemagne gagne un avantage comparatif par rapport aux autres pays-membres de 3 %, plus un avantage de 2 % vis-à-vis du reste du monde. Ses voisins vont perdre en compétitivité à la fois dans l’union et à une moindre ampleur vis-à-vis du reste du monde.

Cela peut sembler compliqué, mais (…) c’est en fait très simple. La zone euro dans son ensemble ne gagne rien : les gains obtenus par l’Allemagne sont compensés par les pertes des autres pays-membres. Pour l’union monétaire dans son ensemble, c’est ce que les économistes appellent un jeu à somme nulle. L’Allemagne y gagne, mais ses pays-membres y perdent.

L’un des commentaires posés à mon précédent billet disait qu’il n’y avait rien dans les "règles" pour interdire cela, si bien que ce n’est donc pas un problème. Pourtant il doit être évident n’importe qui que ce genre de comportement est très pernicieux et peu compatible avec la solidarité de la zone euro. Dire que ça constitue une saine concurrence, c’est à côté de la plaque. La seule incitation que ça fournit, c’est d’inciter d’autres pays d’essayer d’imiter ce comportement. S’ils le font tous, rien ne sera gagné. Le taux d’inflation de la zone euro sera, toutes choses égales par ailleurs, plus faible, mais d’autres choses ne seront pas égales : la BCE va réduire ses taux pour essayer de ramener l’inflation à sa cible.

La raison pour laquelle il n’y a pas de règles formelles à propos de tout ceci est simple : vous ne pouvez pas légiférer à propos des taux d’inflation nationaux. Ce que vous pouvez faire (…), c’est d’établir des règles budgétaires basées sur les différentiels d’inflation comme je l'ai décrit ici. Si cela avait été le cas, alors quand les taux d’inflation relatifs de l’Allemagne auraient chuté, le gouvernement aurait été obligé de prendre des mesures budgétaires (voire aussi d’autres mesures) pour contrer cette désinflation. A nouveau, c’est la situation symétrique à ce qui aurait dû se passer dans les pays périphériques de la zone euro. Mais si des règles de ce genre avaient été proposées lorsque l’euro fut créé, je vous laisse deviner quel pays, selon moi, se serait montré le plus hostile à leur égard. »

Simon Wren-Lewis, « Competitiveness: some basic macroeconomics of monetary unions », in Mainly Macro (blog), 10 décembre 2015. Traduit par Martin Anota



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