« Les nouvelles de Chine ne sont pas très bonnes. Il y a de nombreux articles aux titres inquiétants. Le Wall Street Journal s’est par exemple demandé en août si une récession mondiale se préparait en Chine. Wonkblog se demande comment la Chine peut enclencher une crise mondiale : "Lorsque la Chine éternue, le reste du monde peut s’enrhumer, mais les choses semblent mieux aller au bout de deux jours. La question qui se pose alors est si la Chine est bien plus malade qu’elle ne le paraît et à quel point cela sera contagieux pour l’économie mondiale."

Une thèse courante est que la crise en Chine amène les autorités locales à chercher à dévaluer le yuan, ce qui pourrait enclencher une guerre de devises. Je ne doute pas que les valeurs des devises des pays émergents reposent, dans plusieurs cas, sur la valeur de la devise chinoise ou des prix des matières premières. Il est difficile de distinguer entre les répercussions que le resserrement de la politique monétaire américaine est susceptible d’avoir sur les devises des pays émergents des répercussions du ralentissement de la croissance chinoise.

Croissance chinoise et croissance mondiale


Je vais adopter une approche quelque peu différente, qui consiste à estimer les variations du PIB mondial sous diverses hypothèses. Je vais comparer les variations prévues en utilisant les Prévisions de l’économie mondiale avec celles que j’obtiens en supposant que la croissance réelle soit divisée par deux entre 2016 et 2018. Ces deux ralentissements sont présentés sur les graphiques 1 et 2.

GRAPHIQUE 1 Contributions à la croissance mondiale (en milliers de milliards de dollars aux taux de change de marchés)

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Les calculs ci-dessus supposent qu’il n’y a pas d’effets de débordement, par exemple que le ralentissement de la croissance chinoise n’a pas d’impact sur la croissance du teste du monde. S’il y a des effets multiplicateurs, alors la croissance du reste du monde sera plus faible. Cela ne révèle pas une récession mondiale, mais nous sommes dans un territoire peu connu.

GRAPHIQUE 2 Contributions à la croissance mondiale sous l’hypothèse d’une croissance chinoise divisée par deux (en milliers de milliards de dollars aux taux de change de marchés)

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Les précédents historiques


Comme Kose et Terrones (2015) l’ont souligné, les quatre récessions mondiales après 1960 ont toutes impliqué les Etats-Unis (mais toutes les récessions américaines n’ont pas été des récessions mondiales). On peut alors se demander si le ralentissement de la croissance chinoise laisse présager une nouvelle ère où les récessions mondiales trouvent leurs origines dans les fluctuations de l’activité chinoise, de la même manière que l’essor des Etats-Unis au dix-neuvième siècle fut signalé par l’impact mondial de la panique de 1857 et la subséquente récession. Comme l’ont noté Bordo et Landon-Lane, "La crise de 1857 éclata aux Etats-Unis avec la faillite de la Ohio Life Insurance Company, qui entraîna un krach boursier et une panique bancaire. La crise préfigura l’importance des Etats-Unis dans les futures crises financières mondiales. Des paniques bancaires majeures se sont également produites à Londres et en Allemagne."

Bordo et Landon-Lane notent également que "les crises financières internationales depuis au moins 1857 surviennent lorsque les Etats-Unis (qui constituent la plus grosse économie au monde depuis la fin du dix-neuvième siècle) sont impliqués. Une possible raison expliquant l’implication des Etats-Unis dans les crises financières mondiales est que le système bancaire américain est depuis longtemps propice aux crises."

La première observation de Bordo et Landon-Lane m’amène à comparer les PIB relatifs (cf. graphiques 3 et 4)

GRAPHIQUE 3 Ratio PIB nominal des Etats-Unis sur PIB nominal du Royaume-Uni aux taux de change de marchés

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GRAPHIQUE 4 Ratio PIB nominal de la Chine sur PIB nominal des Etats-Unis (en bleu) et ratio PIB nominal de la Chine sur PIB des Etats-Unis (en rouge) aux taux de change de marchés

Chenzie_Chinn__PIB_nominal_de_la_Chine_relativement_a_la_zone_euro_et_Etats-Unis.png

En d’autres mots, les Etats-Unis ont supplanté le Royaume-Uni en tant que plus grande économie au monde lorsque la panique de 1857 déclencha une crise mondiale. A l’inverse, la Chine est en train de supplanter la zone euro, mais elle a encore à supplanter les Etats-Unis, du moins aux taux de change courants (les PPA rapportent un résultat différent). Cela suggère (mais ne prouve pas) qu’une récession mondiale d’origine chinoise soit improbable.

La seconde observation de Bordo et Landon-Lane suggère que l’importance de forts liens financiers est un facteur clé dans la propagation de crise. Ici, la segmentation continue du secteur bancaire chinois du système financier mondiale se révèle importante. Non seulement les contrôles de capitaux segmentent le marché chinois, mais le système bancaire très réglementé isole le reste du monde des problèmes bancaires chinois (dans tous les cas, la Chine semble avoir d’amples ressources pour recapitaliser le système bancaire, si cela s’avère nécessaire).

Evidemment, la Chine est liée financièrement au reste du monde dans la mesure où elle est un créancier net et où elle détient des bons du Trésor américains. Donc il n’est pas dit qu’une crise sévère en Chine n’aura pas d’impacts négatifs sur le reste du monde. En fait, je pense plutôt que les modes de transmission seront plus traditionnels, c’est-à-dire passer par les flux d’échanges commerciaux, les prix des matières premières et peut-être les taux d’intérêt.

Une dernière mise en garde à propos des prévisions de croissance chinoise


Les estimations de la croissance chinoise varient fortement d’une étude à l’autre. Cela s’explique en partie parce que les estimations de la croissance dépendent des vues quant aux politiques publiques. Si l’on considère que le gouvernement s’est engagé à maintenir la croissance au-dessus d’un certain seuil, alors on ne peut qu’envisager la possibilité que les autorités sacrifient les réformes pour la relance continue, c’est-à-dire la possibilité que la croissance de court terme ne s’écroule pas, même si les perspectives de long terme s’en trouvent affaiblies. Par contre, si l’on croit que le gouvernement va mener un programme de libéralisation financière et chercher à rééquilibrer la croissance vers des sources domestiques, alors la croissance peut très bien tomber bien en-deçà de 6 % à court terme. Je suis sceptique quant à ce second scénario. »

Menzie Chinn (2016), « The next global recession: Made in China? », in Econbrowser (blog), 13 janvier 2016. Traduit par Martin Anota



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