« Le ralentissement de la croissance dans les pays émergents amène certains à craindre que plusieurs de ces pays à revenu intermédiaire se révèlent incapables de maintenir une croissance suffisamment forte pour atteindre le statut de pays à haut revenu. En effet, comme l’ont documenté Gill et Kharas (2007, 2015), la plupart des pays ont échoué à converger par rapport aux Etats-Unis en termes de revenu par tête au cours de la période comprise entre 1960 et 2012 et restèrent dans une "trappe à revenu intermédiaire" ou "piège du revenu intermédiaire". Une large littérature a exploré les facteurs qui sont susceptibles de faire basculer ces pays dans la trappe à revenu intermédiaire et ceux qui leur permettent d’en échapper. Nous réalisons ici une brève revue de la littérature autour des questions suivantes. Premièrement, qu’est-ce que la trappe à revenu intermédiaire ? Deuxièmement, quelles sont les causes de la trappe à revenu intermédiaire ? Troisièmement, quelles politiques permettent d’éviter la trappe à revenu intermédiaire ou bien d’en sortir ?

Qu’est-ce que le piège du revenu intermédiaire ?


L’expression "trappe à revenu intermédiaire" ou "piège du revenu intermédiaire" a été forgée par Gill et Kharas (2007). Il décrit une période prolongée de stagnation à un certain revenu par tête. La croissance semble ralentir de 2 à 3 points de pourcentage lorsque le revenu par tête atteint autour de 16.700-17.000 dollars (en prix de 2005) selon Eichengreen, Park et Shin (2012). Eichengreen, Park et Shin (2013) affirment que la forte croissance des pays à revenu intermédiaire peut ralentir (…) dans deux gammes de revenus par tête, en l’occurrence 10.000-11.000 dollars et 15.000-16.000 dollars, aux prix de 2005. D’autres auteurs ont interprété la trappe à revenu intermédiaire comme le résultat de mauvaises décisions en termes de politique économique plutôt que comme un schéma statistique autour de seuils de revenu clé. La focalisation des autorités sur le maintien d’une forte croissance dans les pays à revenu intermédiaire peut les conduire à adopter des politiques insoutenables qui créent finalement un schéma de faible croissance semblable à une trappe, comme le suggèrent notamment Im et Rosenblatt (2013). Quelles sont les causes du piège du revenu intermédiaire ?

La trappe à revenu intermédiaire a été attribuée à un ralentissement de la croissance de la productivité et à une hausse des coûts des facteurs au fur et à mesure que le revenu par tête augmente. Environ 85 % des ralentissements de la croissance dans les pays à revenu intermédiaire peuvent être expliqués par un ralentissement de la croissance de la productivité totale des facteurs, ce qui reflète le fait que les gains associés à la réallocation sectorielle du travail et du capital et à l’importation des technologies étrangères soient décroissants (Agénor et Canuto, 2012 ; Eichengreen, Park et Shin, 2012). Comme le revenu par tête augmente, le coût du travail s’accroît, ce qui ralentit le déplacement vers les produits à plus haute valeur ajoutée et réduit la compétitivité (Agénor et Canuto, 2012 ; Lin et Treichel, 2012). Les déterminants de la croissance apparaissent différer aux niveaux des hauts revenus et des bas revenus : l’accumulation du capital devient une stratégie de croissance de moins en moins efficace au fur et à mesure que les économies poursuivent leur transition vers le club des pays à haut revenu (Bulman, Eden et Nguyen, 2014).

Quelles politiques peuvent aider les pays à éviter le piège du revenu intermédiaire ou bien à en sortir ?


Les recommandations en termes de politique économique se sont focalisées sur l’amélioration de la compétitivité, le soutien à la modernisation technologique et la préservation de la stabilité macroéconomique. Les politiques visant à renforcer la compétitivité incluent la mise en place de meilleures institutions et de meilleures politiques macroéconomiques, la flexibilisation des marchés du travail, le renforcement des droits de propriété et la modernisation des infrastructures (Hall et Jones, 2009 ; Roller et Waveran, 2001 ; Berg, Ostry et Zettelmeyer, 2012 ; Lin et Treichel, 2012 ; Aiyar et ses coauteurs, 2013 ; Gill et Kharas, 2015). Un approfondissement de l’intégration commercial dans le secteur des hautes technologies et l’ouverture aux investissements directs à l’étranger peuvent faciliter les effets de débordement technologiques générés par les pays avancés (Berg, Ostry et Zettelmeyer, 2012 ; Aiyar et ses coauteurs, 2013 ; Eichengreen, Park et Shin, 2013 ; Arias et Wen, 2015 ; Gill et Kharas, 2015). L’amélioration du système de santé, la stimulation de l’activité de recherche-développement et la réduction de l’émigration des plus qualifiés peuvent contribuer à absorber et développer des avancées technologiques (Sala-i-Martin, Doppelhofer et Miller, 2004 ; Weinberg, 2011 ; Lin et Treichel, 2012 ; Eichengreen, Park et Shin, 2013). Finalement, la soutenabilité de la croissance joue un rôle clé pour éviter un ralentissement de la croissance à des niveaux de revenu intermédiaires. Elle passe notamment par l’élimination des désalignements en termes de taux de change (Berg, Ostry et Zettelmeyer, 2012 ; Eichengreen, Park et Shin, 2012) et le maintien de la soutenabilité externe et de la soutenabilité budgétaire (Zhuang, Vangerberg et Huang, 2012). »

Tatiana Didier, Ayhan Kose, Franziska Ohnsorge et Lei Ye, « Slowdown in emerging markets: rough patch or prolonged weakness? », CAMA, working paper, n° 01/2016, page 48. Traduit par Martin Anota

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