« Les mouvements boursiers de ces deux dernières semaines sont énigmatiques.

Commençons par l’explication chinoise. Un effondrement de la croissance chinoise serait effectivement un événement susceptible de bousculer l’économie mondiale. Mais il n’y a pas encore de preuves certifiant qu’un tel effondrement soit à l’œuvre. Au mieux, les preuves les plus significatives suggèrent plutôt un léger ralentissement et il est loin d’être certain. Les effets mécaniques d’un léger ralentissement de la croissance chinoise sur l’économie américaine devraient être, de toute évidence et selon tous les modèles dont nous disposons, assez limités. Les canaux du commerce sont limités (les exportations américaines vers la Chine représentent moins de 2 % du PIB), de même pour les liens financiers. Le principal effet d’un ralentissement de la croissance chinoise serait à travers l’affaiblissement des prix des matières premières, qui aiderait davantage l’économie américaine qu’elle ne l’endommagerait.

Considérons désormais l’explication avec les prix du pétrole. C’est encore plus énigmatique. Traditionnellement, on a pris pour acquis qu’une baisse des prix du pétrole était une bonne nouvelle pour les pays importateurs comme les Etats-Unis. Les consommateurs, avec un plus grand pouvoir d’achat, accroîtraient leurs dépenses de consommation et la production s’en trouverait stimulée. Les entreprises utilisant de l’énergie, disposant d’un plus faible coût de production, augmenteraient leurs investissements. Nous avons appris au cours de l’année dernière que, à court terme, l’impact négatif sur l’investissement des entreprises produisant de l’énergie peut appraître rapidement et temporairement affaiblir l’effet, mais cela ne remet sûrement pas en question la conclusion générale. Pourtant, de plus en plus d’articles suggèrent que la faiblesse des prix du pétrole est à l’origine de l’effondrement des cours boursiers. Je pense à deux explications, mais aucune des deux n’est convaincante.

Premièrement, que les très faibles prix entraînent de si sérieux problèmes pour les producteurs de pétrole que cela va finir par affecter les Etats-Unis et dominer la scène. J’ai tout à fait conscience que certains pays et certaines entreprises vont en effet se retrouver en sérieuses difficultés ; en effet, certains sont déjà en difficultés. Les faibles prix du pétrole peuvent également bouleverser la scène géopolitique du Moyen-Orient, ce qui aurait en retour des effets incertains sur les prix du pétrole. Je vois difficilement comment ceux-ci peuvent dominer les effets directs sur le revenu réel des consommateurs américains.

Deuxièmement, que les faibles prix reflètent un ralentissement de la croissance mondiale que l’on ne peut pas mesurer directement, bien plus large que ce qui est apparent dans les données les plus sûres, et que les prix du pétrole, comme le fameux canari dans la mine de charbon, nous disent quelque chose à propos de l’état de l’économie mondiale que d’autres données ne peuvent pas faire. Il n’y a pas de preuves empiriques historiques confirmant que le prix du pétrole joue un tel rôle. Mais supposons (…) qu’en effet la faiblesse des prix du pétrole nous dise que la Chine est réellement en train de ralentir. (Le fait que les prix des matières premières, hors pétrole, pour lesquels la Chine joue un plus grand rôle qu’avec le pétrole, aient bien moins diminué que le prix du pétrole ne soutient pas cette interprétation.) Alors, nous serions de retour dans l’énigme précédente. Il est difficile de voir comment cela peut avoir un tel effet sur l’économie américaine et à son tour sur le marché boursier américain. Une autre variation sur ce thème, qui a été suggérée dans certains articles, est que la faiblesse des prix du pétrole reflète un ralentissement de l’activité américaine bien plus sûrement que ce que les autres données actuelles sont en train de nous dire. Il n’y aucune preuve suggérant que ce soit le cas.

Peut-être que nous ne devons pas croire les commentaires des marchés. Peut-être que ce n’est ni le pétrole, ni la Chine. Peut-être que nous sommes en train de voir une réaction différée au ralentissement de l’économie mondiale, un ralentissement qui est désormais à l’œuvre depuis quelques années. Même s’il n’y a pas eu de nouvelles significatives ces deux dernières semaines, peut-être que les marchés ne réalisent que seulement maintenant que la croissance des pays émergents sera plus faible pendant longtemps et que la croissance des pays avancés ne sera pas fabuleuse. Peut-être…

Je pense que l’explication réside ailleurs. Je crois que dans une large mesure, les comportements moutonniers ont joué un rôle crucial. Si d’autres investisseurs vendent, ça doit être parce qu’ils savent quelque chose que vous ne savez pas. Donc, vous devez vendre, et vous le faites, et les prix boursiers baissent. Pourquoi maintenant ? Peut-être parce que nous sommes entrés dans une période de plus forte incertitude. L’économie mondiale, au début de l’année 2016, est vraiment déconcertante. L’incertitude politique aux Etats-Unis et l’incertitude géopolitique à l’étranger sont toutes les deux élevées. La Fed est entrée dans un nouveau régime. La capacité du gouvernement chinois à contrôler son économie est remise en question. Dans cet environnement, sur les marchés boursiers tout comme dans la compagne des élections présidentielles, il est de plus en plus facile pour les baissiers de remporter la discussion, pour les marchés boursiers de chuter et, sur le front politique, pour les alarmistes de gagner en popularité.

Devons-nous nous inquiéter ? C’est là où l’économie n’est plus vraiment de grande aide pour donner une réponse définitive. (…) S’il apparaît évident dans quelques jours ou dans quelques semaines que les fondamentaux ne sont en fait pas si mauvais, les prix boursiers vont repartir à la hausse, tout comme ils le firent l’été dernier, et on considérera cet épisode comme un simple hoquet. Si, cependant, la chute des marchés boursiers dure plus longtemps ou s’aggrave, ce ralentissement de la croissance peut devenir autoréalisateur. Une faiblesse persistante des cours boursiers peut réduire la consommation, freiner la demande et peut-être même entraîner une récession. La capacité de la Fed, qui sort à peine de la borne inférieure zéro, à contrer un ralentissement de la demande reste limitée. Espérons que le premier scénario soit le bon, mais nous devrions nous inquiéter du second. »

Olivier Blanchard, « The price of oil, China, and stock market herding », 17 janvier 2016. Traduit par Martin Anota