« J’ai déjà affirmé par le passé que le faible niveau des hausses de salaires allemands avant la crise financière mondiale avait exercé une influence significative et négative sur la zone euro, une influence qui contribua aussi indirectement à ce que l’Allemagne adopte une ligne dure à propos de l’austérité. L’idée fondamentale est que l’Allemagne a gagné un avantage compétitif significatif sur ses voisins de la zone euro, un gain que l’Allemagne se refuse de perdre (en connaissant une inflation supérieure à celle du reste de la zone euro). Ce gain de compétitivité s’est traduit en Allemagne par une forte croissance des exportations et par un large excédent de compte courant. Cette demande additionnelle permit à l’Allemagne de moins souffrir que ses voisins de la seconde récession que la zone euro a connue en raison de ses mauvaises décisions en matière de politiques macroéconomiques. Peter Bofinger a développé un raisonnement tout à fait similaire.

Beaucoup ont rejeté cette idée en affirmant que la croissance vigoureuse des exportations allemandes ne s’explique initialement pas par un quelconque avantage comparatif, mais qu’elle résulte de facteurs autres que ses coûts et prix, notamment d’une forte demande en provenance de la Chine pour le type de biens que l’Allemagne produit. Servaas Storm a notamment synthétisé ces diverses critiques dans un récent billet. L’une des conclusions établies par Storm a elle-même été critiquée par Thorsten Hild et j’estime la réponse de Hild tout à fait correcte (voir aussi la réponse de Storm). Mais la raison pour laquelle les exportations allemandes ont connu initialement une forte croissance demeure imprécise.

Pour déterminer quelle part de la croissance des exportations allemandes s’explique par le gain de compétitivité que l’Allemagne généra, il faut nécessairement réaliser une analyse économétrique (…). Mais ce que je cherche à expliquer ici est que, s’il y a eu un changement permanent dans les exportations allemandes (c’est-à-dire un changement qui n’est pas lié à la compétitivité-coût), alors cela renforce l’argument que j’ai mis en avant. Avant que nous en arrivions là, il est utile de mettre en avant les concepts fondamentaux de macroéconomie que cette question aborde.

Même un pays va tendre vers un certain niveau de compétitivité à long terme. Il y a plusieurs manières de décrire pourquoi c’est le cas : la nécessité d’équilibrer la production et la demande pour les biens produits dans l’économie domestique ou la nécessité d’atteindre un déficit de compte courant qui soit soutenable. Il y a plusieurs raisons expliquant pourquoi ce niveau de compétitivité de long terme peut changer au cours du temps, mais en l’absence d’une histoire plausible expliquant pourquoi ça a été le cas en Allemagne (ou, de façon équivalente, pourquoi un excédent de compte courant s’élevant à 7 % du PIB peut être soutenable), il semble raisonnable de supposer qu’il est resté inchangé.

Donc, si une économie dans une union monétaire, comme l’Allemagne, modère ses salaires de façon à gagner en compétitivité à court terme (et ce court terme peut s’étirer sur toute une décennie), ce gain doit s’inverser à un certain moment dans le futur. De la même manière que la perte de compétitivité dans la périphérie doit s’inverser à un moment ou à un autre en y maintenant une inflation inférieure à celle en vigueur dans le reste de l’union monétaire, l’inflation doit réciproquement être inférieure à la moyenne en Allemagne.

Maintenant, supposez qu’il y ait en fait une hausse permanente de la demande étrangère pour les biens allemands. A long terme, si rien ne change, nous aurions un déséquilibre : la demande pour les biens allemands excèderait l’offre ou, autrement dit, l’excédent de compte courant serait insoutenable. La manière par laquelle l’économie réagit pour se débarrasser de ce déséquilibre passe par une accélération de l’inflation en Allemagne. Non seulement les gains en termes de compétitivité qui ont été obtenus par le passé doivent être inversés, mais la compétitivité doit décliner davantage pour réduire la demande de biens allemands.

Pour ceux qui sont obsédés à l’idée de gagner perpétuellement en compétitivité, cela peut sembler pervers : l’Allemagne est punie de faire des biens que d’autres pays désirent. Mais, bien sûr, ce n’est pas du tout une punition. Un déclin de la compétitivité correspond à la même chose qu’une appréciation du taux de change réel et cela peut améliorer la situation des consommateurs, parce que les biens étrangers deviennent moins chers (dans le jargon, on dit qu’il y a une amélioration des termes de l’échange). C’est le moment pour les Allemagnes d’exporter un peu moins et de commencer à jouir enfin de leurs bénéfices. »

Simon Wren-Lewis, « German exports and the eurozone », in Mainly Macro (blog), 24 janvier 2016. Traduit par Martin Anota



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