« On prévoit désormais que la croissance économique de 2016 sera un peu plus faible que ce que nous avons auparavant prévu, d’après l’actualisation des Perspectives de l’économie mondiale du FMI de janvier 2016. Ce présent rapport dresse le portrait du chômage mondial et explique comment ces révisions des perspectives de croissance peuvent affecter le chômage. Cet exercice exige de comprendre le lien entre croissance et chômage à court terme, or celui-ci varie fortement d’un pays à l’autre (…).

Le portrait du chômage en 2016


GRAPHIQUE 1 Taux de chômage mondial (en %)

Prakash_Loungani__taux_de_chomage_mondial_previsions_2016.png

(…) Commençons avec le portrait que nous faisions du chômage mondial avant que ne soient publiées les Perspectives de l’économie mondiale de janvier 2016. Le graphique 1 fournit une mesure du taux de chômage mondial basé sur les données relatives à 116 pays, parmi lesquels 37 sont considérés comme des pays "avancés" (c’est-à-dire à haut revenu) et parmi lesquels les 79 pays restants sont considérés comme des pays "en développement et émergents". (…) Si l’on se focalise sur le récent cycle, on constate que le taux de chômage mondial a atteint un pic de 6,2 % en 2009 et, depuis cette date, qu’il retourne lentement à son niveau d’avant-crise. Au cours de l’année à venir, on s’attend à ce que le taux de chômage mondial s’accroisse légèrement.

GRAPHIQUE 2 Taux de chômage dans les pays avancés et les pays émergents et en développement (en %)

Prakash_Loungani__taux_de_chomage_pays_developpes_en_developpement_previsions_2016_2017_2018.png

Pour comprendre d’où cette hausse peut venir, le graphique 2 montre le taux de chômage pour les deux groupes de pays pris séparément. Il révèle que la hausse tient essentiellement à la hausse du chômage dans le groupe des pays émergents et en développement. En outre, la hausse du chômage parmi ce groupe s’explique elle-même par la hausse attendue du chômage parmi les pays exportateurs de pétrole (cf. graphique 3).

GRAPHIQUE 3 Taux de chômage dans les pays émergents et en développement selon la source des gains d'exportations (en %)

Prakash_Loungani__taux_de_chomage_pays_en_developpement_emergents_previsions_2016_2017_2018.png

Comment les révisions des perspectives de croissance affectent-elles les prévisions de chômage ?


Maintenant considérons comment les révisions des prévisions de croissance que le FMI a annoncé en janvier 2016 peuvent changer le portrait du chômage. Au niveau mondial, la prévision de croissance du PIB en 2016 a été révisée à la baisse de 0,2 points de pourcentage, ce qui suggère que le taux de chômage mondial sera quelque peu supérieur à la trajectoire projetée sur le graphique 1. Cependant, pour certains pays, les révisions des prévisions de croissance sont plus amples, comme le suggère le graphique ci-dessous. Le plus gros changement concerne le Brésil, suivi par l’Arabie Saoudite, l’Afrique du Sud et la Russie.

GRAPHIQUE 4 Révisions des prévisions de croissance du FMI pour 2016 (en points de pourcentage

Prakash_Loungani__revision_des_previsions_de_croissance_du_FMI_pour_2016.png

Quel sera l’impact probable de ces révisions de croissance sur le chômage dans ces pays ? Pour répondre à cette question, le graphique 5 montre à quel degré le chômage est à court terme (au cours d’une année) a été sensible aux variations de la croissance pour chacun de ces pays. Les réponses sont très différentes d’un pays à l’autre. A un extrême, le chômage en Espagne a fortement réagi à la croissance ; à un autre extrême, le taux de chômage officiel du Nigéria ne présente essentiellement aucune corrélation avec la croissance. (…)

GRAPHIQUE 5 Sensibilité à court terme du chômage vis-à-vis de la croissance

Prakash_Loungani__sensibilite_a_court_terme_du_chomage_vis-a-vis_de_la_croissance.png

Considérons le cas du Brésil, qui a la plus forte révision dans les prévisions de croissance. En utilisant l’estimation historique de -0,2, on prévoit que le taux de chômage pour 2016 sera d’environ 0,5 points (2,5 x 0,2) plus élevé que ce suggérait la précédente prévision. Nous présentons dans le tableau 1 des calculs similaires pour d’autres pays.

Il est très important de souligner que ces changements ne représentent pas les prévisions du FMI du chômage dans ces pays. Ce que nous avons fait est de prendre les révisions officielles des prévisions de croissance du FMI et d’utiliser les estimations du lien historique entre croissance et emploi pour avoir une certaine idée de la manière par laquelle les prévisions de chômage peuvent être affectées. Les choses ne se passent pas forcément comme par le passé, mais on ne peut ignorer ce dernier. Donc l’analyse que nous développons ici est susceptible d’être utile aux analystes pour réviser leurs prévisions de chômage au cours de l’année.

TABLEAU 1 les révisions de prévisions de croissance du PIB et les révisions résultantes des prévisions de chômage

Prakash_Loungani__taux_de_chomage_prevu_pour_2016_loi_d__Okun_lien_chomage_croissance.png

Le lien entre la croissance et l’emploi


Nous concluons cette actualisation avec les preuves empiriques entourant le lien entre la croissance et l’emploi pour un large groupe de pays. (…) Le graphique 6 présente l’ampleur à laquelle le chômage chute dans différents groupes de pays lorsque la croissance s’accélère.

En bref, il y a de larges variations d’un pays à l’autre dans le lien entre la croissance et l’emploi (que les économistes appellent le "coefficient d’Okun") et dans l’ampleur à laquelle la croissance explique les dynamiques observées sur les marchés du travail (le R² dans le jargon). Le tableau 2 résume ces preuves empiriques en combinant l’information sur le coefficient d’Okun et le R² pour répartir les pays dans quatre quadrants.

  • Pour les 39 pays listés dans le quadrant en bas à droite (par exemple l’Allemagne, l’Argentine, l’Australie, le Brésil, le Canada, l’Espagne, les Etats-Unis, la France, la Grèce, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni, la Suisse et la Tunisie), le lien entre le chômage et la croissance est fort : le chômage répond fortement à la croissance et les fluctuations de la croissance expliquent l’essentiel des fluctuations du chômage. Dans ces cas, donner plus d’attention aux prévisions de croissance est susceptible d’être assez important pour faire des prévisions de chômage.

  • Pour les 36 pays listés dans le quadrant en haut à gauche (notamment l’Autriche, la Chine, l’Italie, le Maroc et la Turquie), on peut dire que le lien à court terme entre croissance et chômage est faible : le chômage ne répond pas à la croissance et les fluctuations de la croissance n’expliquent pas l’essentiel des fluctuations du chômage. (…)

  • Dans les 11 pays du quadrant en haut à droite (notamment en Afrique du Sud, en Belgique et au Vietnam), le taux de chômage à court terme est sensible à la croissance. Donc lorsqu’il y a des révisions des prévisions de croissance, il est nécessaire de réviser les prévisions de chômage. Toutefois, comme les variations de la croissance ne semblent pas constituer les principaux moteurs derrière les fluctuations du chômage, on devrait accorder plus d’attention aux forces autres que la croissance.

  • Dans les 15 pays situés dans le quadrant en bas à gauche (notamment la Corée du Sud, le Japon, le Luxembourg, le Mexique et la Russie), le taux de change varie peu en réponse à la croissance. Toutefois, les facteurs autres que la croissance semblent peu contribuer au chômage.

TABLEAU 2 Robustesse du coefficient d'Okun

Prakash_Loungani__robustesse_coefficients_d__Okun_lien_chomage_croissance.png

Pour résumer, pour la majorité des pays autour du monde, prendre en compte la croissance est essentiel pour comprendre les fluctuations à court terme du chômage. Dans le cas des autres pays (particulièrement ceux dans le quadrant en haut à gauche), il y a diverses explications susceptibles de justifier la faiblesse du lien entre croissance et emploi, notamment :

  • Dans certains cas, les taux de chômage officiels peuvent ne pas refléter le véritable taux de chômage.

  • Certains pays connaissent de rapides changements structurels et le chômage peut s’expliquer par cette tendance de long terme plutôt que par les fluctuations à court terme de l’activité. C’est susceptible d’être le cas du Maroc, où le taux de chômage a chuté brutalement au cours des 20 dernières années avec la hausse du PIB tendanciel, mais la sensibilité du chômage à la croissance du PIB à court terme est essentiellement nulle.

  • Dans les pays avec de larges secteurs ruraux et un large secteur informel, le taux de chômage mesuré (qui est plus susceptible de refléter la situation des secteurs urbains formels) peut ne pas être très sensible à la croissance. (…) »


Prakash Loungani, Zidong An et Karim El Aynaoui, « International jobs report », n° 16/01, janvier 2016. Traduit par Martin Anota



aller plus loin...

« La reprise sans emplois remet-elle en cause la loi d’Okun ? »

« Les prévisionnistes croient-ils en la loi d’Okun ? »