« Les récents indicateurs économiques montrent que la croissance économique des Etats-Unis a considérablement ralenti. Après correction des chiffres par rapport à l’inflation, il apparaît que la production agrégée s’est peu accrue durant les trois derniers mois de l’année 2015. (…) Les récessions sont notoirement difficiles à prévoir. Cependant, beaucoup estiment qu’une expansion vieillissante est forcément de plus en plus fragile et de plus en plus susceptible de s’achever en récession. Les prédictions de l’occurrence prochaine d’une récession (suggérant qu’il est "grand temps" que l’activité se retourne) se sont récemment multipliées, parce que la reprise actuelle, qui dure depuis six ans et demi, est déjà relativement longue. Par exemple, Rebecca Jarvis, de la chaîne ABC News, demanda à Janet Yellen, la présidente de la Réserve fédérale, son avis sur la question (…). Janet Yellen lui répondit : "Je pense que l’idée selon laquelle les expansions meurent de vieillesse est un mythe. Je ne pense pas qu’elles meurent de vieillesse. Donc le fait que cette expansion dure depuis longtemps ne m’amène pas à penser que ses jours soient comptés".

L’idée que les expansions économiques sont d’autant plus susceptibles de s’arrêter qu’elles durent était très courante avant la Seconde Guerre mondiale. Dans sa synthèse classique des théories des cycles d’affaires, Gottfried Haberler (1937) consacre au sujet toute une section intitulée "Pourquoi le système économique est de moins en moins capable de faire face à des chocs déflationnistes après que l’expansion ait atteint un certain point". Aujourd’hui, une telle idée reste courante et découle d’une analogie avec la mortalité humaine : à mesure que l’expansion vieillit, les déséquilibres et rigidités s’accumulent et celles-ci entravent l’économie et la rendent plus fragile. Donc, l’expansion pourrait être remise en cause par des chocs toujours plus petits et l’économie est de plus en plus susceptible de basculer dans la récession.

Cependant, les données historiques recueillies depuis la Seconde Guerre mondiale ne soutiennent pas l’idée que la probabilité de récession s’accroisse avec la durée de la reprise. L’une des analyses statistiques se penchant sur la question, réalisée par Diebold et Rudebusch (1990), constate que les expansions d’après-guerre ne sont pas plus susceptibles de s’achever du fait qu’elles durent. Cette Economic Letter actualise cette analyse. Les résultats vont dans le sens des propos de Yellen, selon lesquels, toutes choses égales par ailleurs, les expansions les plus longues ne sont pas davantage susceptibles de s’achever que les plus courtes. (…)

Les techniques d’analyse de survie sont bien adaptées pour chercher à déterminer la probabilité qu’une expansion prenne fin, comme l’ont décrit Diebold et Rudebusch (1990) ou encore Sichel (1991). Dans cette application, l’événement que l’on cherche à prédire est un pic de cycles d’affaires, qui marque la fin d’une reprise et donc le début d’une récession. En particulier, il sera possible de déterminer si cette probabilité augmente avec l’âge de l’expansion. (...)

Les durées des expansions aux Etats-Unis après la Seconde Guerre mondiale sont présentées sur le graphique 1. Elles sont déterminées par le National Bureau of Economic Research (NBER), qui date le commencement et la fin de chaque expansion. Selon le NBER, la dernière récession que les Etats-Unis ont connue (la Grande Récession) s’acheva en juin 2009. Depuis, la reprise a duré six années et demie, ce qui est largement plus long que pour la plupart des précédentes expansions. La reprise en cours est montrée en rouge et sa date de fin est marquée d’un point d’interrogation. D’autres expansions d’après-guerre ont duré d’un minimum de 12 mois pour la reprise de 1980-1981 à un maximum de 10 ans pour le long boom des années quatre-vingt-dix. Les expansions très brèves (disons, celles qui ont duré seulement huit mois) ne sont jamais observées parce que le NBER considère qu’une période de croissance doit durer au moins une année pour être formellement considérée comme une expansion.

GRAPHIQUE 1 Durée des expansions d'après-guerre (en mois)

Glenn_D._Rudebusch__duree_des_expansions_americaines_Etats-Unis_cycles_d__affaires.png

Comme dans l’étude de la mortalité humaine, les techniques statistiques d’analyse de survie peuvent être utilisées pour traduire ces durées en taux de mortalité d’expansion, en d’autres termes les probabilités conditionnelles qu’une expansion finisse à un mois donné en fonction de sa durée. La ligne bleu sombre sur le graphique 2 montre les taux de mortalité estimés pour les expansions d’après-guerre (…). Par exemple, le graphique 3 montre qu’une expansion qui a déjà duré 50 mois a 2 % de chances de finir au cours du moins suivants et, si cette probabilité est cumulée sur les 12 mois suivants, que l’expansion a environ 23 % de chances de finir au cours de l’année suivante.

GRAPHIQUE 2 Probabilité pour une expansion de mourir en fonction de sa durée (en %)

Glenn_D._Rudebusch__probabilite_qu__une_expansion_americaine_s__arrete_en_fonction_de_sa_duree.png

Nous pouvons noter que la ligne pour les expansions d’après-guerre sur le graphique 2 est pratiquement plate (…). Cela signifie que les taux de mortalité pour les expansions d’après-guerre ne dépendant pas vraiment de la durée de ces expansions. En effet, un test statistique ne rejette pas l’hypothèse selon laquelle la ligne noire est réellement plate et que la probabilité que survienne une récession au cours d’un mois donné ne dépend pas de l’âge de la reprise. Par conséquent, lorsqu’on se base seulement sur l’âge, une expansion qui a déjà duré 80 mois a effectivement la même chance de s’interrompre qu’une expansion qui a déjà duré 40 mois. Par conséquent, la reprise actuelle n’est pas davantage susceptible de s’achever simplement parce qu’elle est proche de fêter son septième anniversaire.

A l’inverse, la même technique statistique rapporte des résultats très différents lorsqu’on l’applique aux expansions d’avant-guerre, c’est-à-dire sur celles qui ont eu lieu entre 1854 et 1938. Comme le montre la ligne rouge sur le graphique 2, les taux de mortalité pour les expansions qui ont eu lieu avant la Seconde Guerre mondiale s’accroissaient à mesure qu’elles vieillissaient. Les preuves empiriques que la durée des expansions à leur âge dépende moins de leur âge depuis la Seconde Guerre mondiale a été soutenue par l’analyse réalisée par Diebold et Rudebusch (1999) et par les études plus récentes qui ont été recensées par Castro (2013).

Divers changements qui ont bouleversé l’économie après la Seconde Guerre mondiale ont contribué à ce que les expansions soient plus robustes et durent plus longtemps. L’un de ces changements est l’accroissement de la part des services (…) dans la production de l’économie, donc réciproquement la baisse de la part de l’industrie ; cela aurait tendance à réduire l’importance des variations des stocks et à lisser le cycle d’affaires. Surtout, le fait que les reprises d’après-guerre soient moins fragiles reflète l’influence qu’exerce un large gouvernement fédéral veillant à la stabilisation de l’économie. (…) Suite à la Seconde Guerre mondiale, la gestion macroéconomique est passée d’une attitude de laissez-faire à une politique contracylique, ce qui contribua à prolonger les expansions économiques et à rendre la durée des expansions économiques moins dépendante de leur âge. C’est cohérent avec les preuves empiriques relevées par Diebold et Rudebusch (1990) selon lesquelles les récessions d’après-guerre dépendent davantage de leur âge que par le passé : à mesure qu’une récession se poursuit, elle est davantage susceptible de s’interrompre et de laisser place à une reprise dans la mesure où les responsables politiques prennent des actions pour stimuler la croissance. »

Glenn D. Rudebusch, « Will the economic recovery die of old age? », FRBSF Economic Letter, n° 2016-03, 8 février 2016. Traduit par Martin Anota



aller plus loin… lire « Cet inébranlable optimisme des prévisions de croissance »