Une plus grande résilience face aux chocs ?


« La semaine dernière, la BCE a publié son rapport annuel qui (cela ne nous surprend pas) nous dit finalement que tout va bien. L’assouplissement quantitatif est efficace (c’est pourquoi la BCE a sorti la bombe atomique), la confiance revient et la reprise est en cours. En d’autres mots, apparemment, un document où l’UE s’auto-congratule, avec peu d’intérêt, si ce n’est dans les données qu’il collecte.

Sauf, dans le préambule, où une phrase du président Mario Draghi a suscité beaucoup de commentaires, au point que les médias et les réseaux sociaux aient négligé le reste du rapport. Je cite le paragraphe entier (...) : "L’année 2016 ne sera pas moins porteuse de défis pour la BCE. Nous sommes confrontés à des incertitudes quant aux perspectives de l’économie mondiale. Nous faisons face à des forces désinflationnistes persistantes. Et nous opérons dans un contexte de questionnement sur la voie que va prendre l’Europe et sur sa capacité de résistance à de nouveaux chocs. Dans un tel environnement, notre engagement en faveur de notre mandat demeurera un point d’ancrage de la confiance pour les citoyens européens."

Pourquoi est-ce important ? Parce que jusqu’à présent, un observateur optimiste et quelque peu naïf pourrait croire que, malgré les terribles souffrances et les problèmes généralisés, l’Europe était sur le bon chemin. Certes, nous avons eu une récession en double creux (double-dip recession), alors que le reste du monde était en pleine reprise. Certes, la zone euro est à peu près à son niveau de PIB d’avant-crise et certains membres sont bien en-deçà de celui-ci. Certes, la crise a éreinté la confiance parmi les pays et les gouvernements de l’UE et transformé la "solidarité" en un terrible mot dans la bouche de quelques extrémistes. Mais on a pu croire que tout cela était une transition douloureuse, mais nécessaire, vers un monde merveilleux où les économies seraient saines et la prospérité partagée entre tous : on ne gagne rien sans souffrir. Et l’observateur naïf a pu entendre, pendant presque sept ans, que les souffrances étaient presque finies et que la croissance allait repartir "l’année prochaine". Les réformes ont été mises en œuvre (trop lentement, cela va sans dire) et porteraient bientôt leurs fruits. L’impact récessif de l’austérité a peut-être été sous-estimé, mais il reste un ajustement nécessaire et temporaire. Le résultat, comme le croyait l’observateur naïf, serait que la zone euro émergerait au final de la crise plus robuste, plus homogène et plus compétitive.

J’ai noté il y a déjà bien longtemps que les souffrances que nous nous sommes infligés à court terme ne nous promettaient qu’un surcroît de douleur à l’avenir et, surtout, que l’UEM était en train de devenir plus hétérogène en termes de compétitivité, c’est-à-dire précisément dans la dimension que les réformes sont censées améliorer. J’ai aussi noté qu’en conséquence de tout cela, la zone euro émergerait affaiblie, et non renforcée, de la crise. Une analyse plus rigoureuse (par exemple, celle réalisée par Antonio Fatás et Larry Summers) a récemment montré que les politiques actuellement suivies en Europe freinent le potentiel de l’économie à long terme.

Aujourd’hui, la BCE reconnaît que "nous opérons dans un contexte de questionnement sur (…) sa capacité de résistance à de nouveaux chocs". Même si les pages suivantes appellent à mettre en place les mêmes actions, cette simple phrase est un aveu implicite et puissant que ce sont précisément ces actions qui sont en train de nous tuer. Sept ans de traitement nous rendirent moins résilients. Parce que, et je tiens à souligner ce point, nous sommes moins homogènes que nous ne l’étions en 2007. C'est une véritable gifle pour l'observateur naïf. »

Francesco Saraceno, « Resilience? Not yet », in Sparse Thoughts of a Gloomy European Economist (blog), 11 avril 2016. Traduit par Martin Anota



Il n’y a plus de convergence


« En complément de mon précédent billet, voici un graphique plutôt éloquent :

GRAPHIQUE Différentiel de croissance annuel moyen entre les pays périphériques et les pays du cœur de la zone euro (en points de pourcentage)

Francesco_Saraceno__differentiel_de_croissance_pays_peripheriques_coeur_zone_euro.png

J’ai compilé le PIB réel de la périphérie (Espagne, Irlande, Portugal, Grèce) et du cœur de la zone euro (Allemagne, Pays-Bas, Autriche, Finlande), et j’ai ensuite regardé l’écart moyen des taux de croissance annuels au cours de trois périodes, en l’occurrence la période qui précède l’adoption de la monnaie unique (1992-1999), les premières années de l’euro (1999-2008), puis la période qui début à partir de la crise (2008-2015).

Focalisons-nous tout d’abord sur la barre rouge : jusqu’à 2008, la croissance de la périphérie était supérieure de 1 point de pourcentage à celle du cœur en moyenne, une différence qui fut même plus large durant l’accumulation de dette des années 2000. Etait-ce un problème ? Non. La convergence, ou le rattrapage, est un aspect normal de la croissance. Habituellement (mais, il ne faut pas oublier que les exceptions sont la règle en économie), de plus pauvres économies tendent à croître plus rapidement que les plus riches, car elles ont davantage d’opportunités en termes de croissance de la productivité. Donc il n’est pas inconcevable que la croissance dans la périphérie soit systématiquement plus rapide que dans le cœur, en particulier dans la phase où l’intégration commerciale et financière s’est approfondie.

Nous savons tous (maintenant, et certains le savaient déjà à l’époque) que cela n’était pas sain, parce que les déséquilibres s’accumulaient et entraînèrent au final la crise. Mais il est important de réaliser que le problème, c’était les déséquilibres, et pas en soi le fait que la croissance soit plus rapide. En fait, si nous regardons la barre jaune dépeignant l’écart en termes de croissance potentielle, elle montre le même schéma. (Je sais, le concept de croissance potentiel n’est pas fiable. Mais bon, s’il est utilisé pour les règles budgétaires, j’ai le droit de l’utiliser, n’est-ce pas ?)

Durant la crise, la périphérie a davantage souffert que le cœur de la zone euro et sa production potentiel a moins crû (ou, plutôt, a davantage chuté). Cela est amplifié par l’effet mécanique de la croissance courante qui "tire" la production potentielle. Mais c’est indéniable que les capacités productives de la périphérie (en termes de capital, de compétences) ont été effritées par la crise, bien plus que dans le cœur de la zone euro. Donc, non seulement nous sommes collectivement plus fragiles, comme je l’ai noté lundi, mais en outre, le prochain choc va davantage affecter la périphérie que le cœur, ce qui ne manquera pas de creuser davantage le fossé.

L’UEM, tel qu’il est actuellement configuré, manque de mécanismes capables de neutraliser les pressions centrifuges. On croyait, lorsque le Traité de Maastricht était signé, que les marchés parviendraient à assurer la convergence. Il s’avéra en fait (sans que cela ne surprenne tout le monde) que les marchés n’ont pas assurer la convergence, mais qu’ils ont en fait été une puissante force centrifuge, contribuant tout d’abord à l’accumulation de déséquilibres, puis en déstabilisant la périphérie lorsque les troubles se manifestèrent.

Les marchés n’agissent pas comme des absorbeurs de chocs. C’est aussi simple que ça, vraiment. »

Francesco Saraceno, « Convergence no more », in Sparse Thoughts of a Gloomy European Economist (blog), 14 avril 2016. Traduit par Martin Anota