« Nick Rowe a soulevé quelques remarques par rapport à mon dernier billet. Je vais commencer en abordant avec la question de la nature « permanente » ou non de la monnaie-hélicoptère. (Hélas, je ne parviendrai pas à être aussi concis.)

Permanente ou temporaire ?


Imaginez un monde (…) où le ratio monnaie sur prix est toujours le même à long terme. Dans ce monde, il y a une récession à court terme, accompagnée de déflation et les taux d’intérêt nominaux ont atteint leur borne inférieure, que ce soit ou non zéro. La cible d’inflation est de 2%, et la banque centrale ne va jamais laisser l’inflation aller au-dessus de 2 %. Cependant, parce que les taux d’intérêt ont atteint zéro, elle ne peut faire l’inverse et empêcher la déflation par des moyens conventionnels.

Si, dans ce monde, les autorités monétaires consacrent un supplément de monnaie (la monnaie-hélicoptère) pour stimuler l’économie, est-ce que ce supplément de monnaie est permanent ou temporaire ? Pensons à ce qui se passe sans monnaie-hélicoptère. Les prix chutent ou stagnent pendant un moment et ce n’est que lorsque la récession finit que l’inflation revient à 2 %. Maintenons comparons cela à ce qui surviendrait si la banque centrale a recours à la monnaie-hélicoptère et cela fut une réussite pour ramener l’inflation bien plus rapidement vers 2 %. Cela signifie que le niveau des prix va être plus élevé à long terme de façon permanente que si la banque centrale n’avait rien fait. Par conséquent, au moins une partie du supplément de monnaie créée pour mettre rapidement un terme à la récession va être créée de façon permanente relativement à la situation sans création monétaire.

Donc dans la mesure où la monnaie-hélicoptère fonctionne, et stoppe la déflation, cela implique de créer de la monnaie de façon permanente. Cette création permanente de monnaie ne signifie pas que l’inflation doit être supérieure à la cible, mais plutôt que cela empêche l’inflation d’aller durablement sous sa cible. Mais il n’y a absolument aucune raison de limiter la monnaie-hélicoptère au montant par lequel la monnaie va être de façon permanente plus élevée, parce que cela va certainement être insuffisant pour mettre un terme à la déflation. La monnaie devra dépasser son niveau permanent de long terme à court terme. (Les macroéconomistes disent quelques fois qu’au cours d’une récession la demande de monnaie émanant du public augmente ou qu’il y a une demande excessive de monnaie. Pour un non-économiste, bien sûr, cela semble juste stupide.) Il n’y a rien d’erroné dans la création temporaire de monnaie additionnelle pour nous sortir d’une récession. La seule question qui importe ici est si la création temporaire de monnaie ne peut pas être défaite sans que la banque centrale ou les autorités budgétaires fassent quelque chose d’inhabituel (voir ci-dessous).

La monnaie temporaire sera-t-elle dépensée ?


Mais si vous donnez juste un supplément de monnaie temporairement aux gens, ne va-t-il pas être épargné ? C’est une variante de la question de l’équivalence ricardienne et la réponse du monde réel est la même : toutes les preuves empiriques suggèrent qu’une grande partie va être dépensée. Il y a deux raisons principales à cela : certaines personnes sont contraintes en termes de crédit (et la monnaie-hélicoptère est comme un directeur de banque qui dit oui) et d’autres ne savent pas comment la monnaie sera remboursée (elle peut l’être à travers une réduction des dépenses publiques).

Que dire à propos des gouvernements ? Vont-ils essayer de compenser la monnaie-hélicoptère conventionnelle (un chèque envoyé par la poste) en accroissant les impôts ou ne pas accroître les dépenses publiques en conséquence de la "monnaie hélicoptère démocratique" (voir mon précédent billet) ? Nous devons comprendre pourquoi nous avons besoin de la monnaie-hélicoptère en premier lieu. Nous avons besoin de la monnaie-hélicoptère car les gouvernements n’entreprennent pas de plans de relance budgétaire en s’endettant, ce qu’ils devraient pourtant faire dans une récession où les taux d’intérêt butent sur leur borne inférieure. Pour savoir comment les gouvernements vont répondre à la monnaie-hélicoptère, nous devons savoir pourquoi ils ne vont pas entreprendre cette expansion budgétaire.

La crainte réelle d’une dette publique excessive


Supposons que les gouvernements soient convaincus que toute dépense additionnelle financée par emprunt est exclue en raison des craintes à propos du montant d’emprunt public. Leurs craintes à propos de l’emprunt sont authentiques et elles agissent comme une contrainte les empêchant de faire ce qu’ils auraient fait sinon. Donc ce qui se passe si la banque centrale émet de la monnaie-hélicoptère conventionnelle ou dit au gouvernement qu’il peut dépenser plus (ou réduire les impôts) sans avoir à emprunter à court terme. Les banques centrales repoussent la contrainte que les gouvernements ont (presque certainement) imaginée. Il n’y a par conséquent aucune raison justifiant pourquoi les gouvernements doivent soit chercher à compenser la monnaie-hélicoptère conventionnelle, soit ne pas dépenser la monnaie-hélicoptère démocratique.

Mais si la monnaie-hélicoptère est temporaire, l’endettement va devoir s’accroître à un certain moment. Il est facile de se perdre dans le détail institutionnel des diverse façons par lesquelles cela peut survenir, donc contentons-nous d’en prendre une seule. Une fois que la récession est finie, la banque centrale s’inquiète qu’il y ait trop de monnaie en circulation et elle n’a pas assez d’actifs financiers pour éponger l’excès. Elle demande au gouvernement de la recapitaliser, ce qui signifie juste que le gouvernement donne à la banque centrale certains actifs financiers sous la forme de dette gouvernementale. Cela signifie un surcroît d’endettement public.

Est-ce que le gouvernement va s’en inquiéter et par conséquent essayer de réduire son endettement pour compenser la monnaie-hélicoptère ? Je suggérerai que le gouvernement va presque certainement ne pas faire cela. La raison est que les gouvernements sont eux-mêmes convaincus que le problème n’est pas la position de long terme des finances publiques, mais le niveau de dette publique et le déficit public aujourd’hui. Comment est-ce que je sais cela ? Parce que si le problème était la position de long terme des finances publiques, les gouvernements dépenseraient aujourd’hui pour mettre un terme rapidement à la récession et réduire ensuite le déficit public une fois que les taux d’intérêt soient loin de leur borne inférieure. Cela est la combinaison de politiques économiques intertemporelle optimale. Le fait qu’ils ne fassent pas cela suggère que certains imaginent une contrainte à court terme.

Vous pouvez aussi regarder ce que les gouvernements embrassant l’austérité budgétaire font. Ils sont assez heureux de réduire les déficits à travers la privatisation, ce qui accroît presque sûrement les déficits futurs. Ils utilisent tous les moyens budgétaires qui déplacent simplement les revenus vers le court terme ou déplacent les dépenses dans le long terme. En d’autres termes, les plans de relance budgétaire s’opèrent sous une contrainte de déficit à court terme et la monnaie-hélicoptère démocratique relâche cette contrainte.

Utiliser les craintes suscitées par la dette publique pour réduire la taille de l’Etat


Supposons que les gouvernements ne croient pas vraiment que leur propre endettement doit être réduit aujourd’hui, mais qu’ils utilisent l’anxiété du public à propos de la dette publique (…) comme occasion pour réduire les dépenses publiques. L’endettement à court terme n’est pas réellement une contrainte, mais les gouvernements prétendent juste que ça l’est pour parvenir à réduire la taille de l’Etat. Un tel gouvernement utiliserait presque certainement toute monnaie-hélicoptère démocratique pour réduire les impôts, donc la distinction entre monnaie-hélicoptère conventionnelle et monnaie-hélicoptère démocratique n’est pas centrale. Ce gouvernement utiliserait-il la monnaie-hélicoptère comme occasion pour réduire les dépenses publiques encore plus, ce qui annulerait alors les bénéfices de la monnaie-hélicoptère ?

Le grand avantage qu’une banque centrale a est la vitesse. Ça prend du temps de mettre en place un plan de relance budgétaire, mais la monnaie peut être immédiatement créée. Donc si le gouvernement projette de réduire davantage les dépenses suite à l’émission de monnaie-hélicoptère, la banque centrale peut juste compenser l’impact de ces réductions de dépenses additionnelles sur la demande. Si vous pensez qu’un tel jeu ne peut continuer indéfiniment vous avez raison, mais il n’a pas à continuer. Une fois que la récession est finie, la politique monétaire peut compenser l’impact des réductions des dépenses publiques sur la demande en utilisant les taux d’intérêt d’une manière normale.

Dans cette situation, la banque centrale et le gouvernement sont satisfaits. La banque centrale, en utilisant la monnaie-hélicoptère dans des montants potentiellement illimités, peut mettre un terme rapidement à la récession. Le gouvernement qui désire utiliser le déficit comme occasion pour réduire les dépenses publiques a réussi à le faire, peut-être plus qu’ils ne le croyaient possible. Cela peut vous fâcher parce que vous ne voulez pas d’un plus petit Etat (…), mais je préférerais personnellement cela à une récession prolongée à chaque fois. »

Simon Wren-Lewis, « Can governments offset helicopter money », in Mainly Macro (blog), 5 mai 2016. Traduit par Martin Anota