« Je viens juste d’achever un document de travail basé sur le discours que j’ai prononcé à l’Académie royale d’Irlande à la fin de l’année 2015. (…) Il a le même titre que ce billet : il fait non seulement référence à Keynes, mais il se veut aussi très ambitieux. La première partie de l’article cherche à expliquer pourquoi l’austérité budgétaire n’est presque jamais nécessaire et la seconde partie essaye de comprendre pourquoi l’erreur de l’austérité a été commise.

Je commence en établissant une distinction très utile. C’est entre la consolidation budgétaire, qui constitue une décision de politique économique, et l’austérité, qui est une conséquence où cette consolidation budgétaire entraîne une hausse du chômage. Si vous ne comprenez pas pourquoi la politique monétaire peut en temps normal empêcher la consolidation budgétaire de se muer en austérité, mais pas lorsque les taux d’intérêt sont contraints près de zéro, alors vous êtes loin de comprendre pourquoi l’austérité était une erreur. La consolidation budgétaire qui a débuté en 2010 est arrivée trois ans en avance. Une section du document de travail vise à montrer que l’idée selon laquelle les marchés ont empêché un report dans la consolidation est un mythe complet.

J’affirme que l’austérité n’est presque jamais nécessaire parce que (…) j’examine aussi le cas d’un membre individuel d’une union monétaire qui aurait un problème de dette publique inhabituellement large (par rapport au reste de l’union). Une certaine austérité est alors nécessaire, mais pas pour la raison que vous pensez. Ça n’a rien à voir avec les marchés : la crise de la zone euro entre 2010 et 2012 a résulté des erreurs de la BCE. Si la dette publique d’un pays-membre d’une union monétaire n’est pas soutenable, il doit y avoir une certaine forme de défaut (comme dans le cas de la Grèce). Si elle est soutenable, alors la banque centrale doit soutenir le gouvernement en question, comme la BCE finit par le faire en lançant le programme OMT en 2012. La raison pour laquelle une certaine austérité est nécessaire est que, pour soutenir le financement de cette dette inhabituellement large, le pays-membre de l’union monétaire doit procéder à une dépréciation réelle et, dans une union monétaire, cela doit se passer via une réduction des salaires et des prix relativement aux autres pays-membres.

Rien n’est tout à fait nouveau dans cette théorie, d’où l’allusion à Keynes dans le titre. Cela rend encore plus pertinent de se demander pourquoi les responsables de la politique économique commettent cette erreur. Un ensemble d’arguments souligne une conjonction malheureuse d’événements : l’austérité aurait été un accident si vous voulez. Fondamentalement, le problème grec est arrivé à un moment où l’orthodoxie allemande était dominante. J’affirme que cette explication n’a pu jouer qu’un rôle mineur, principalement parce qu’elle n’explique pas ce qui s’est passé aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, mais aussi parce qu’elle implique de croire que la macroéconomie en Allemagne est très spéciale et qu’elle a eu le pouvoir de complètement dominer les responsables de la politique économique, non seulement en Allemagne, mais aussi dans le reste de la zone euro.

L’ensemble d’arguments que j’estime plus robuste et qui rejoint la théorie générale du titre reflète l’opportunisme politique d’une droite dominée par l’idéologie du "petit Etat". C’est un opportunisme parce qu’il amène d’ignorer la macroéconomie (dans ses enseignements les plus fondamentaux) et à traité un gouvernement de la même façon qu’un ménage, à un moment où plusieurs ménages cherchaient à réduire leur endettement ou bien à davantage épargner. Mais cette explication soulève à son tour une autre question : comment tout ce que nous avons pu connaître en économie depuis Keynes a pu être balayé par des comparaisons simplistes avec les ménages ?

Cette question peut être formulée autrement. Pourquoi cet opportunisme a-t-il été si prégnant lors de la Grande Récession, mais pas lors des précédents retournements ? Il y a plusieurs raisons susceptibles de l’expliquer, notamment certaines que j’ai évoquées ici, mais l’une à laquelle je pense tout particulièrement dans le cas de l’Europe est l’indépendance des banques centrales, couplée à une phobie que présentent les gouvernements des banques centrales européennes à l’idée d’une "dominance budgétaire" (fiscal dominance). Au Royaume-Uni, par exemple, la Banque d’Angleterre a joué un rôle clé en 2010 pour convaincre les responsables de la politique économique et les médias qu’une consolidation budgétaire agressive était alors nécessaire. La gestion keynésienne de la demande globale a été donnée à des institutions dont les dirigeants (mais pas ceux qui travaillent pour eux) jetèrent le manuel. Mais comme Ben Bernanke l’a montré, on aurait pu éviter cette situation. (1)

Si mon analyse est exacte, cela signifie que nous ne pouvons pas partir de l’idée que, lorsque la prochaine récession, accompagnée d’une trappe à liquidité, éclatera, l’erreur d’austérité ne sera pas commise à nouveau. En effet, elle a peut-être même encore plus de chances de survenir, comme l’austérité est parvenue dans plusieurs cas à réduire la taille de l’Etat. Mon document de travail n’explore les solutions ne permettant d’éviter l’austérité future, mais elle pose le cadre pour lancer une telle discussion.

(1) En octobre 2010, Ben Bernanke, alors président de la Réserve fédérale, a déclaré qu’"un resserrement budgétaire prématuré peut mettre la reprise en péril", mais il aurait pu le dire plus haut. »

Simon Wren-Lewis, « A general theory of austerity », in Mainly Macro (blog), 6 mai 2016. Traduit par Martin Anota