« Comme les dirigeants des pays du G7 se sont réunis au Japon les 26 et 27 mai au Japon, ils ont évoqué la faiblesse de l'économie mondiale. Ils aimeraient avoir un plan pour mettre fin à la stagnation de la croissance. Ils devraient moins parler des guerres de devises et davantage de la politique budgétaire.

Politique budgétaire versus politique monétaire


Sous les conditions qui ont prévalu dans les plupart des grandes économies ces dix dernières années, nous avons des raisons de penser que la politique budgétaire est un outil plus efficace que la politique monétaire pour influencer le niveau de l’activité économique. On peut tirer cette conclusion des manuels de macroéconomie et la confirmer au travers les récentes études empiriques ; les effets de la relance budgétaire ne sont pas susceptibles d’être limités, comme en temps normaux, par une hausse des taux d’intérêt ou par une éviction de la demande privée ; elle ne va pas buter sur des contraintes en capacités, ni se traduire par une inflation excessive ou par une quelconque autre surchauffe. Malgré l’efficacité de la politique budgétaire dans les conditions qui prévalent, les économistes continuent d’accorder plus d’attention à la politique monétaire. Pourquoi ? (…)

La réponse que l’on entend habituellement est que la politique budgétaire est "politiquement contrainte". C’est une affirmation exacte, mais pas une bonne raison pour que nous abandonnions. En effet, si le processus politique ne permet pas d’avoir la bonne politique budgétaire, comme c’est le cas, c’est une bonne raison pour les économistes d’offrir leurs contributions.

Bien sûr, si l’on est un banquier central ou que l’on conseille un banquier central, alors on doit se concentrer sur la politique économique dont on a la charge, en l’occurrence la politique monétaire. Mais précisément parce qu’il y a une limite à ce que les banquiers centraux puissent dire à propos de la politique budgétaire, c’est aux autres de se pencher davantage dessus.

L’apogée de la politique budgétaire activiste a eu lieu il y a un demi-siècle. La position "nous sommes désormais tous keynésiens" fut attribuée à Milton Friedman en 1965 et à Richard Nixon en 1971. Jusqu'à la fin du vingtième siècle, la plupart des pays développés ont réussi, en moyenne, à poursuivre une politique budgétaire contracyclique : généralement en freinant les dépenses publiques ou en augmentant les impôts durant les périodes d’expansion économique et en mettant en œuvre des plans de relance budgétaire durant les récessions. Cela permit généralement de lisser le cycle d’affaires (comme s’y attendait Keynes). C’était alors les pays en développement qui suivaient des politiques procycliques ou déstabilisatrices.

Les dirigeants des pays développés ont oublié comment rendre leur politique budgétaire contracyclique


Après 2000, cependant, certains pays développés ont abandonné leurs bonnes habitudes. Trop de dirigeants politiques dans les pays développés ont poursuivi des politiques budgétaires procycliques : ils adoptent une relance budgétaire lorsque l’économie est déjà en expansion, ce qui alimente la surchauffe de l’économie, puis ils embrassent l’austérité budgétaire lorsque l’économie ralentit, ce qui aggrave la récession.

Penchons-nous sur les erreurs de politique budgétaire qui ont été commises dans trois régions du monde : les Etats-Unis, l’Europe et le Japon. Le Président américain George W. Bush commença le siècle en dilapidant les larges excédents budgétaires qu’il hérita de Bill Clinton et poursuivit en baissant ensuite fortement les impôts et en augmentant les dépenses publiques, même entre 2003 et 2007, c’est-à-dire lorsque l’économie atteignait son pic d’activité. Ce fut durant cette période que le Vice-Président Cheney déclara que "Reagan a prouvé que les déficits sont sans importance". De façon prévisible, la dette en hausse réduisit la marge de manœuvre du gouvernement pour adopter un plan de relance budgétaire lorsqu’il en avait cruellement besoin, c’est-à-dire lorsque la Grande Récession éclata en décembre 2007. C’est précisément au plus mauvais moment que les Républicains eurent une "révélation" en déclarant désormais que les déficits étaient finalement une mauvaise chose. Donc, lorsque le Président Obama prit ses fonctions en janvier 2009, avec une économie en chute libre, l’opposition vota contre sa relance budgétaire. Heureusement, ils échouèrent et la relance contribua tout particulièrement à renverser la chute de l’économie en 2009. Mais en reprenant le pouvoir au Congrès en 2011, les Républicains réussirent à bloquer les nouvelles tentatives d’Obama visant à stimuler une économie trop faible. Ils sont systématiquement procycliques.

La Grèce est l’exemple typique du pays développé qui a eu systématiquement recours à une politique budgétaire procyclique depuis le début du siècle. Sa première erreur a été de générer des déficits budgétaires excessifs durant la période d’expansion qu’elle connut entre 2003 et 2008 (comme l’a fait l’administration Bush). Ensuite, (…) la Grèce fut poussée après sa crise à adopter une forte austérité en 2010, qui a grandement aggravé la chute du PIB. Le but était de ramener son ratio dette publique sur PIB sur une trajectoire soutenable. Malheureusement, le ratio a en fait augmenté de plus en plus rapidement en raison de la chute du PIB.

Plus que bien d’autres, les Européens ont la fâcheuse habitude de baser leur Budget sur des prévisions excessivement optimistes et de conduire au final une politique budgétaire procyclique. Avant 2008, la Grèce, mais plus largement tous les pays-membres de la zone euro étaient excessivement optimistes dans leurs prévisions et dépassaient ainsi régulièrement la limite de 3 % du PIB imposée au déficit public. Après 2008, c’est au contraire une contraction budgétaire procyclique à laquelle les pays européens se sont adonnés, entraînant une chute du revenu et une hausse du ratio dette publique sur PIB, en particulier en Irlande, au Portugal, en Espagne et en Italie.

Le pays natal de la philosophie austéritaire est, bien sûr, l’Allemagne. A la réunion du G20 à Londres en avril 2009, les Allemands, malgré leur réticence, ont accepté l’idée qu’il fallait stimuler la demande de façon à sortir les économies de la Grande Récession. Mais lorsque la crise grecque a éclaté à la fin de l’année, les Allemands sont retournés à leurs vieilles croyances envers la discipline budgétaire.

Initialement, le FMI et les autres membres de la troïka croyaient ou tout du moins prétendaient croire que la discipline budgétaire dans les pays périphériques de la zone euro n’endommagerait pas significativement leur PIB et ramènerait donc leurs ratios dette publique sur PIB sur des trajectoires soutenables. Mais en janvier 2013, l’économiste en chef du Fonds Olivier Blanchard publia une étude qui fut assez largement perçue comme un mea culpa de la part de l’institution. En effet, Blanchard y concluait que les multiplicateurs budgétaires étaient bien plus élevés que ce que le FMI (tout comme d’autres prévisionnistes) le pensaient initialement, ce qui suggère que les programmes d’austérité budgétaire auraient été excessifs. Cette conclusion était tirée du constat empirique selon lequel les pays qui ont cherché à consolider le plus fortement leur politique budgétaire s’avèrent avoir connu les plus fortes révisions à la baisse des prévisions de croissance par rapport à ce que les prévisionnistes du FMI s’attendaient. Aujourd’hui, la directrice du FMI, Christine Lagarde, explique aux Allemands que la Grèce ne pourra pas atteindre un ratio dette publique sur PIB soutenable s’il n’y a pas de nouvel allègement de sa dette publique et si on lui impose de générer un excédent budgétaire primaire de 3,5 % du PIB.

Tournons-nous vers le Japon, le pays qui accueille la réunion du G7 de cette semaine. En avril 2014, alors même que l’économie était si faible que la Banque du Japon poursuivait un assouplissement quantitatif (quantitative easing) des plus agressifs, le Premier Ministre Shinzo Abe a augmenté la taxe sur la consommation (en la faisant passer de 5 % à 8 %). Comme beaucoup l’ont prédit, le Japon est immédiatement retourné en récession. Même si la première flèche, la relance monétaire, a été tirée de façon appropriée, elle était évidemment moins puissante que la deuxième flèche, la politique budgétaire, or cette dernière a malheureusement été tirée dans la mauvaise direction.

Très bientôt, le Premier Ministre Abe devra décider s’il met effectivement en œuvre une nouvelle hausse de la taxe sur la consommation (à 10 %), pour l’heure prévue pour avril 2017. Il est facile de comprendre pourquoi les autorités japonaises sont particulièrement inquiètes face à l’énorme dette publique du pays. Mais, comme les taux d’intérêt proches de zéro le signalent, la solvabilité n’est pas le problème actuel ; c’est la faiblesse de l’économie. Une manière plus efficace d’adresser la soutenabilité de long terme de la dette publique est d’annoncer une trajectoire sur vingt ans de petites hausses annuelles de la taxe sur la consommation, calculée de façon à démontrer aux investisseurs financiers que le ratio dette publique sur PIB sera réduit à long terme.

Les pays en développement


Tout n’est pas sombre sur le tableau de la procyclicité budgétaire. Certains pays en développement sont parvenus à adopter une politique budgétaire contracyclique après 2000. Ils ont tiré profit des années d’expansion pour générer des excédents budgétaires, réduire leur dette publique et accumuler des réserves, ce qui leur a permis d’avoir une marge de manœuvre budgétaire pour adopter une relance lorsque la crise de 2008-2009 éclata. Le Chili est l’enfant modèle de ces "diplômés" de la procyclicité. Mais il y aussi le Botswana, la Malaisie, l’Indonésie ou encore la Corée du Sud.

Malheureusement, certains, comme la Thaïlande, qui ont réussi à adopter une politique contracyclique au cours de la dernière décennie n’ont pas réussi à la maintenir ensuite. Le Brésil, par exemple, a échoué à tirer profit du nouveau boom des prix des matières premières de 2010-2011 pour éliminer son déficit budgétaire, ce qui explique en grande partie pourquoi le pays est en situation catastrophique, maintenant que les prix des matières premières ont chuté.

Ainsi, les dirigeants un peu partout dans le monde entier peuvent améliorer leur jeu s’ils (re)lisaient les manuels d’introduction à la macroéconomie. »

Jeffrey Frankel (2016), « Fiscal education for the G-7 », in Econbrowser (blog), 26 mai 2016. Traduit par Martin Anota