« (…) Comme je dois réaliser la septième édition de mon manuel de macroéconomie destiné aux étudiants, je suis confronté à la question suivante : comment devons-nous enseigner la macroéconomie aux étudiants après la crise ? Voici certaines de mes conclusions. (Je me concentre ici sur les court et moyen termes ; j’écrirai un autre billet pour discuter de la manière par laquelle nous devons enseigner la théorie de la croissance.)

La relation investissement-épargne (IS)


La relation IS reste la clé pour comprendre les variations à court terme de la production. A court terme, la demande de biens et services détermine le niveau de la production. Si les agents désirent épargner plus, alors la demande décline, ce qui pousse la production à la baisse. Sauf dans des circonstances exceptionnelles, la même chose reste vraie pour la consolidation budgétaire. J’ai été frappé par le nombre de fois où il a fallu, durant la crise, à expliquer le "paradoxe de l’épargne" et combattre la ligne Hoover-allemande ("réduisez votre déficit budgétaire, mettez de l’ordre dans votre maison, et ne vous inquiétez pas, l’économie sera en bonne santé"). Quelqu’un qui partage ce point de vue doit expliquer comment cela peut être cohérent avec la relation IS.

La demande de biens et services dépend, à son tour, du taux d’intérêt auquel les ménages et les entreprises peuvent emprunter (et non du taux directeur fixé par la banque centrale). John Maynard Keynes a eu raison d’insister sur le rôle des esprits animaux. L’incertitude, le pessimisme, justifié ou non, dépriment la demande globale et peuvent être très largement auto-réalisateurs. Les inquiétudes à propos des perspectives futures influencent les décisions prises aujourd’hui. De telles inquiétudes sont probablement la source de notre faible croissance.

La relation entre la préférence pour la liquidité et l’offre de monnaie


La relation LM, dans sa formulation traditionnelle, est la relique d’une époque où les banques centrales se focalisaient sur l’offre de monnaie plutôt que sur le taux d’intérêt. Dans sa formulation initiale, une hausse de la production entraîne une hausse de la demande de monnaie et une hausse mécanique du taux d’intérêt. La réalité est aujourd’hui différente. Les banques centrales considèrent le taux directeur comme leur principal instrument (…). Donc, l’équation LM doit être remplacée, assez simplement, par le taux directeur décidé par la banque centrale, sachant que ce dernier est susceptible de buter sur sa borne inférieure zéro (zero lower bound). (…). Ce changement a déjà eu lieu dans les modèles des nouveaux keynésiens ; il doit maintenant s’opérer dans les manuels destinés aux étudiants.

Intégrer le système financier dans les modèles macroéconomiques


Si la crise nous a enseigné quelque chose, c’est l’importance du système financier pour la macroéconomie. Traditionnellement, le système financier a été quelque peu ignoré dans les textes macroéconomiques destinés aux étudiants. Le même taux d’intérêt apparaît dans les équations IS et LM ; en d’autres termes, les ménages et les entreprises sont supposés emprunter au taux directeur fixé par la banque centrale. Nous avons appris que ce n’est pas le cas et que les choses peuvent par conséquent aller très mal.

Ce que l’enseignant doit faire, selon moi, est d’introduire deux taux d’intérêt, le taux directeur fixé par la banque centrale dans l’équation LM et le taux d’intérêt auquel les ménages et les entreprises peuvent emprunter, qui entre dans l’équation IS, et ensuite discuter de la manière par laquelle le système financier détermine l’écart entre les deux. Je vois cela comme l’extension nécessaire du traditionnel modèle IS-LM. Un simple modèle de banques montrant le rôle du capital, d’un côté, et le rôle de la liquidité, d’un autre côté, peut être pas mal. Plusieurs des questions qui ont été soulevées durant la crise, par exemple à propos des pertes et des assèchements de liquidité, peuvent être discutées et intégrées dans le modèle IS-LM. Avec cette extension, on peut montrer à la fois les effets des chocs sur le système financier et la manière par laquelle le système financier modifie les effets des autres chocs touchant l’économie.

La demande agrégée et l’offre agrégée


En ce qui concerne l’offre, ce que l’on appelle le modèle demande agrégée-offre agrégée doit être éliminé. Il est bancal et, pour de bonnes raisons, les étudiants ont du mal à la comprendre.

Son principal point est de montrer comment la production retourne naturellement à son potentiel sans changement en termes de politique économique, via un mécanisme qui apparaît peu pertinent en pratique : une baisse de la production entraîne une baisse du niveau des prix, ce qui entraîne, pour un stock donné de monnaie, un accroissement du stock réel de monnaie, ce qui entraîne une baisse du taux d’intérêt, puis une hausse de la demande et donc de la production. C’est un enchaînement d’événements long et complexe avec un réalisme douteux. Ce qui est central à l’ajustement est l’hypothèse d’une constance de l’offre de monnaie nominale, ce qui à nouveau n’est pas la façon par laquelle les banques centrales agissent. Et l’idée selon laquelle les économies retournent naturellement à leur trajectoire normale a été éreinté par les événements de ces sept dernières années.

Ces difficultés sont évitées si on utilise simplement la relation de type courbe de Phillips pour caractériser le côté de l’offre. La production potentielle ou, de manière équivalente, le taux naturel du chômage, est déterminé par l’interaction entre la fixation du salaire et la fixation des prix. Si la production est supérieure à son potentiel ou si le chômage est inférieur à son taux naturel, alors l’économie subit des pressions inflationnistes. La nature des pressions dépend de la formulation des anticipations, une question centrale pour les développements courants. Si les gens s’attendent à ce que l’inflation soit la même que dans un passé proche, les pressions se traduisent par une hausse du taux d’inflation. Si les gens s’attendent à ce que l’inflation soit assez constante, comme il semble être le cas aujourd’hui, alors les pressions se traduisent par une plus forte inflation et non pas par une inflation en accélération. Ce qui se passe pour l’économie, si elle revient sur sa tendance historique, dépend alors de la façon par laquelle la banque centrale ajuste le taux directeur en réponse à ces pressions inflationnistes.

A nouveau, cette manière de discuter du côté de l’offre est déjà standard dans les présentations les plus avancées et dans le modèle des nouveaux keynésiens (bien que la spécification à la Calvo utilisée dans ce modèle, aussi élégante soi-elle, est arbitrairement contraignante et ne rend pas justice aux faits). Il est temps de l’intégrer dans le modèle présenté aux étudiants. »

Olivier Blanchard, « How to teach intermediate macroeconomics after the crisis? », 2 juin 2016. Traduit par Martin Anota