« (…) Dans la conférence de presse qui s'est tenue jeudi, un journaliste a demandé à Mario Draghi si la BCE considérait l'éventualité de changer la cible d’inflation de la BCE. Sa réponse est très révélatrice quant à la nature extrêmement asymétrique de la politique monétaire ces jours-ci (ou tout du moins de la politique monétaire telle que la BCE la conçoit).

Draghi admet que la BCE a aujourd’hui bien des difficultés pour atteindre sa cible et qu’il espère désormais pouvoir l’atteindre en 2018. Il exclut l’idée d’une baisse de la cible d’inflation (pour ainsi l'atteindre plus facilement), parce que cela pousserait davantage les anticipations d’inflation à la baisse et les taux d’intérêt réels à la hausse. Mais qu’en est-il de la possibilité de relever la cible d’inflation pour éviter que les taux directeurs butent à nouveau sur leur borne inférieure zéro (zero lower bound) et peut-être pour montrer par là même un plus fort engagement envers une plus forte inflation ? Selon Draghi, cela ne ferait pas sens parce que, si la BCE ne parvient déjà pas à atteindre une cible de 2 %, il lui semble aberrant de fixer une cible plus haute qu’elle raterait dans une proportion encore plus grande.

Cela peut être une vision réaliste du degré d’asymétrie des répercussions de la politique monétaire aujourd’hui, mais elle reflète aussi les difficultés que rencontrent les banques centrales lorsqu’il s’agit de communiquer à propos de leur cible et de leurs mesures de politique monétaire. Et peut-être qu’elle montre aussi à quel point cette communication confuse réduit l’efficacité de leurs actions.

Voici quelques réflexions personnelles:

  • Mario Draghi oublie que la cible de la BCE est asymétrique par nature. La cible est sous (mais proche de) 2 %. Cela signale que la BCE accepte une inflation inférieure à sa cible, mais qu’elle considère une inflation supérieure à sa cible comme inacceptable. Peut-être que cette asymétrie est en partie responsable des difficultés que rencontre la BCE dans ses tentatives pour ramener l’inflation à 2 %.

  • Dans son discours, Draghi a clairement affirmé qu’il est toujours facile de réduire l’inflation, mais qu’il est plus difficile d’accroître l’inflation, ne serait-ce qu’en raison de la borne inférieure zéro. Mais cela me semble être un puissant argument en faveur du relèvement de la cible d’inflation.

  • L’idée selon laquelle la même asymétrie est présente lorsqu’il s’agit des anticipations d’inflation pourrait être réaliste mais, selon moi, elle est trop pessimiste. Il est peut-être vrai qu’accroître l’inflation est difficile, mais ce n’est pas impossible. Fixer une cible plus haute pourrait contribuer à pousser les anticipations d’inflation dans la bonne direction et ainsi à aider la BCE à atteindre cette cible. Le fait que Draghi ne voit pas les choses de cette façon reflète, encore une fois, la conception asymétrique de l’inflation que nourrit la BCE.

Donc peut-être que l’asymétrie que Draghi perçoit n’est pas complètement indépendante de la vision asymétrique dont les responsables de la BCE font état à chaque fois qu’ils parlent à propos d’un quelconque sujet.

C’est une époque très intéressante en ce qui concerne la politique monétaire. Mais tout cela nous rappelle aussi que nous devons changer la manière par laquelle nous enseignons la politique monétaire à nos élèves. Olivier Blanchard a suggéré quelques modifications qu’il pourrait apporter à la prochaine édition de son manuel, des modifications qui apparaissent nécessaires après ce que nous avons pu connaître pendant la crise et depuis lors, mais je pense qu’il ne suggère pas les bonnes propositions lorsqu’il s’agit d’expliquer les politiques de la banque centrale et leurs conséquences. »

Antonio Fatás, « The asymmetry of inflation or the ECB? », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 2 juin 2016. Traduit par Martin Anota



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