« John Kay et Joerg Bibow pensent qu’un supplément de dépenses publiques dans l’investissement public est une bonne idée et que la monnaie-hélicoptère est soit un égarement (selon Bibow), soit une politique budgétaire par subterfuge (selon Kay). Ils ont raison à propos de l’investissement public, mais tort à propos de la monnaie-hélicoptère.

Nous pouvons sans fin débattre pour tenter de trancher si la monnaie-hélicoptère est davantage de nature monétaire ou bien de nature budgétaire. Alors que des tentatives pour distinguer entre les deux permettent quelques fois d’éclairer des points importants (…), c’est en définitive futile. La monnaie-hélicoptère est ce que qu’elle est. Les raisonnements qui cherchent à clarifier les définitions pour ensuite conclure que les banques centrales ne doivent pas recourir à la monnaie-hélicoptère au prétexte qu’elle est de nature budgétaire sont également futiles. Tout mécanisme de distribution de la monnaie-hélicoptère doit être fixée dans le cadre d’un accord avec les gouvernements et la politique monétaire existante a des conséquences budgétaires sur lesquelles les gouvernements n’ont pas de contrôle.

Voilà où Kay et Bibow ont raison. En ce moment précis, même si une récession mondiale n’est pas sur le point de survenir, l’investissement public doit tout de même augmenter aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et dans la zone euro. Il n’y a absolument pas de raison imposant que cet investissement public ne puisse être financé via l’émission de dette publique. De plus, si une nouvelle récession éclatait sous peu, accroître l’investissement public en lançant des projets "prêts à démarrer" serait un excellent instrument contracyclique. En effet, il y a un bon argument pour avancer l’investissement public même si la politique monétaire était capable de faire face à la récession par elle-même : vous investiriez au moment précis où le travail est peu cher et où les taux d’intérêt sont bas.

Là où Bibow se trompe, c’est que l’introduction de la monnaie-hélicoptère dans l’arsenal de la banque centrale ne remet aucunement en question les points que nous avons soulevés ci-dessus. La monnaie-hélicoptère n’empêche pas le gouvernement de faire ce qu’il veut avec la politique budgétaire. La politique monétaire s’adapte à l’orientation que le gouvernement prévoit de donner à la politique budgétaire et elle peut le faire parce qu’elle peut agir plus rapidement que les gouvernements.

Cela répond en partie à Kay, mais il suggère aussi que la monnaie-hélicoptère est une manière de permettre aux politiciens de faire de la relance budgétaire en l’appelant autrement. Cela semble ignorer les raisons pour lesquelles la relance budgétaire a laissé place à l’austérité. En 2010, à la fois Osborne et Merkel ont affirmé que nous avions à réduire l’emprunt public immédiatement parce que les marchés l’exigeaient.

La monnaie-hélicoptère est une relance budgétaire sans une quelconque hausse immédiate de l’emprunt public. Par conséquent, elle permet de contourner la contrainte qui, aux dires d’Osborne et de Merkel, empêche toute nouvelle relance budgétaire. Pour le dire autrement, ils n’ont pas dit que la hausse des dépenses publiques ou la réduction des impôts étaient mauvaises en soi, mais juste qu’elles étaient extrêmement imprudentes dans la mesure où elles devaient être financées en accroissant la dette publique. La monnaie-hélicoptère n’est pas financée par un accroissement de la dette publique.

Beaucoup affirment que ces inquiétudes à propos de la dette sont peu fondées et qu’en réalité les politiciens de droite qui appellent à l’adoption de mesures d’austérité instrumentalisent ces inquiétudes pour parvenir à réduire la taille de l’Etat ; c’est ce que j’appelle ici la "supercherie du déficit" (deficit deceit). La monnaie-hélicoptère, en particulier sous sa forme démocratique, leur coupe l’herbe sous les pieds. Si nous pouvons éviter d’aggraver la récession en maintenant les dépenses publiques, financées en partie par la création monétaire le temps que la récession persiste, comment peuvent-ils avancer une objection à cette idée ? Les politiciens qui voulaient s’appuyer sur la supercherie du déficit ne vont pas l’aimer, mais c’est leur problème, pas le nôtre.

Il y a un point connexe, en faveur de la monnaie-hélicoptère, que Kay et Bibow ne parviennent pas à voir. L’indépendance des banques centrales via à assurer la délégation de la fonction de stabilisation macroéconomique. Pourtant, cette délégation est pernicieusement incomplète, en raison de la borne inférieure zéro (zero lower bound) sur les taux d’intérêt nominaux. Alors que les économistes ont compris que les gouvernements peuvent, dans une telle situation, venir à la rescousse, soit les politiciens n’ont pas reçu le mémo, soit ils ont démontré qu’on ne peut effectivement leur confier cette tâche de stabilisation en toute confiance. La monnaie-hélicoptère est un bien meilleur instrument que l’assouplissement quantitatif (quantitative easing), donc pourquoi empêcher les banques centrales d’utiliser l’instrument qui leur est nécessaire pour assurer la tâche qu’on leur a confiée ? »

Simon Wren-Lewis, « Helicopter money and fiscal policy », in Mainly Macro (blog), 30 mai 2016. Traduit par Martin Anota