« Il est difficile d’estimer avec précision les répercussions économiques d’une sortie du Royaume-Uni de l’UE. (…) Il y a de nombreux scénarii possibles concernant le statut qu’adopterait le Royaume-Uni si le référendum se prononce en faveur du Brexit et il y a aussi divers canaux (notamment avec les échanges internationaux, l’investissement, le marché du travail, la productivité, les finances publiques…) à prendre en compte. (…) Il y a d’importants choix politiques, difficilement prévisibles. Et, dans l’éventualité d’une sortie de l’UE, d’importantes décisions politiques devront être prises en ce qui concerne les politiques monétaire, budgétaire et prudentielle.

Les répercussions sur le Royaume-Uni

Que dit la littérature ?

La théorie ne fournit pas de réponses définitives concernant les répercussions à long terme d’un Brexit sur les taux de croissance potentielle. Dans les modèles de croissance "AK", l’impact dépendra des effets d’une sortie sur l’investissement. Les plus récents modèles de croissance endogène suggèrent aussi de potentielles répercussions sur les taux de croissance, en raison des effets d’économies ou de déséconomies d’échelle. Sur le plan empirique, les constats tirés des études des effets de l’appartenance à l’UE sur l’économie du Royaume-Uni indiquent qu’il y a eu des hausses permanentes du niveau de production, mais n’indiquent pas qu’il y a eu des changements permanents dans les taux de croissance potentielle en raison de l’appartenance à l’UE. Dit autrement, ces études suggèrent qu’en rejoignant l’UE, le Royaume-Uni a vu ses revenus augmenter, mais que le taux de croissance à long terme ne s’en sont pas trouvés affectés.

GRAPHIQUE Impact à long terme du Brexit sur le PIB du Royaume-Uni (par rapport au scénario sans Brexit, en %)

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La plupart des évaluations formelles indiquent que l’économie du Royaume-Uni se retrouverait pénalisée à long terme si elle quittait l’UE, mais l’éventail des estimations est large et certaines études suggèrent même des bénéficies nets. La plupart des estimations formelles concluent que le Royaume-Uni ferait face à une perte nette permanente en termes de production et de revenus, mais certaines études affirment qu’il pourrait au contraire y avoir des gains nets. (...)

Comment le Royaume-Uni peut-il accroître les échanges avec d’autres économies s’il quitte l’UE ?

L’UE est un partenaire naturel à l’échange et la substitution à d’autres marchés d’exportation prendrait du temps. (…) Les résultats d’un modèle d’échanges empirique standard (le soi-disant modèle de gravité) indiquent que la distance géographique d’un pays par rapport au Royaume-Uni est un bon indicateur du niveau d’échange, que ce soit en termes de biens ou de services. Ce constat suggère que les économies européennes sont des partenaires à l’échange naturels pour le Royaume-Uni. Les résultats indiquent aussi que l’appartenance à l’UE crée d’autres opportunités d’échanges pour le Royaume-Uni et ne détournent pas simplement les exportations britanniques des autres marchés vers l’Europe. Une substitution substantielle des exportations en provenance d’Europe vers d’autres marqués nécessiterait que le Royaume-Uni négocie de nouveaux accords bilatéraux pour remplacer ceux aujourd’hui couverts par les accords avec l’UE et, plus probablement, de nouveaux accords avec d’autres économies. Les expériences des autres pays indiquent que les accords d’échanges prennent habituellement plusieurs années pour aboutir et pour les mettre en œuvre, même lorsque des gains mutuels sont manifestes (…).

Dans quelle mesure la réduction des réglementations de l’UE bénéficiera au Royaume-Uni ?

L’un des arguments justifiant le Brexit serait que ce dernier permettrait au Royaume-Uni de s’échapper au poids de la réglementation de l’UE, ce qui permettrait de réduire les coûts des entreprises et stimulerait la production, l’investissement et l’emploi. (…) Il apparaît peu probable que la réduction des coûts de réglementation parvienne à suffisamment stimuler l’activité pour compenser les pertes associées au moindre accès au marché unique. Il est très difficile d’estimer les coûts et bénéfices de la réglementation. (…) Plusieurs pays ont connu de fortes accélérations de la productivité, souvent pour des raisons qui ne sont pas bien comprises (comme l’ont notamment montré Easterly et ses coauteurs, 1987). Toutefois, le Royaume-Uni est déjà relativement déréglementé et les problèmes de productivité au Royaume-Uni concernent davantage les problèmes de qualifications, d’infrastructure et de planification qu’avec le fardeau réglementaire associé à l’appartenance à l’UE. (…) De plus, les politiques réglementaires peuvent en fait dégrader, et non pas soutenir, de la croissance suite à un Brexit.

Au final, quel serait l’impact économique à long terme d’une sortie de l’UE ?

L’économie du Royaume-Uni serait susceptible de se dégrader à long terme. Si nous nous basons sur les preuves empiriques et d’autres études, il semble probable que l’effet net sur le PIB d’une sortie de l’UE serait négative, mais l’ampleur de cet effet net dépendra du nouveau cadre de relations qui sera négocié avec l’UE. La réduction de l’accès aux échanges réduirait les rendements du capital, incitant les entreprises de réduire leurs investisseurs et à baisser les salaires réels. La baisse du revenu permanent, associée à la baisse des salaires réels, se traduirait par une baisse de la consommation. Une réduction permanente de la demande extérieure serait associée à une dépréciation permanente du taux de change réel, ce qui ramènerait finalement le solde du compte courant à l’équilibre. Cela renchérirait les prix des biens importés. Les produits exportés gagneraient en compétitivité-prix, mais pas suffisamment pour compenser la baisse de la demande extérieure associé au relèvement des barrières à l’échange.

Le rôle de l’incertitude et de la plus grande aversion face au risque

Un autre risque est celui d’une perturbation immédiate du marché suite au vote. Les prix d’actifs au Royaume-Uni (et dans une moindre mesure dans le reste de l’UE) chuteraient probablement à la suite d’un vote en faveur du Brexit. La plus grande crainte serait qu’il y ait un assèchement de la liquidité, en particulier pour le financement des banques du Royaume-Uni, qui provoquerait un resserrement du crédit pour les ménages et entreprises du Royaume-Uni (…).

GRAPHIQUE Croissance du PIB du Royaume-Uni selon que ce dernier quitte ou non l'UE (en %)

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L’incertitude et la plus grande aversion face au risque joueraient probablement un rôle important durant la période de transition. Durant la période durant laquelle le Royaume-Uni négociera de nouveaux accords avec l’UE et ses autres partenaires à l’échange, le Royaume-Uni et les entreprises étrangères opérant au Royaume-Uni auraient à prendre des décisions sur leur positionnement. L’incertitude à propos des nouveaux accords pourrait inciter les entreprises à geler leurs investissements et l’embauche. Certaines firmes peuvent même décider de délocaliser leurs établissements en UE si leur activité dépend étroitement de l’accès au marché unique. Les mêmes arguments peuvent s’appliquer aux ménages, qui peuvent décider de freiner leurs achats de biens durables et de logements. La chute subséquente de la demande générerait plus de chômage ; l’insécurité de l’emploi qui en résulterait inciterait probablement les ménages à moins consommer.

GRAPHIQUE Impact du Brexit sur le PIB du Royaume-Uni (en %)

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Selon le scénario optimiste du FMI, si la croissance du PIB atteindrait 1,4 % en 2017 et le PIB serait en 2019 presque entièrement à son nouveau niveau de long terme, c’est-à-dire inférieur de 1,5 % au niveau qu’il aurait atteint sans Brexit. Selon le scénario pessimiste, la croissance du PIB chute à – 0,8 % en 2017 et le niveau du PIB en 2019 serait inférieur de 5,6 % du niveau qu’il aurait atteint sans Brexit, avant que les effets associés à l’incertitude et à l’aversion au risque disparaissent. (…) Pour le commerce, l’effet immédiat est une hausse, mais parce que la demande pour les biens importés chute en raison de la dépréciation du taux de change et de la baisse de la consommation et de l’investissement, plutôt qu’en raison d’une stimulation des exportations. Cette amélioration se dissipe graduellement à moyen terme, tandis qu’à long terme les salaires réels et le taux de change auraient à s’ajuster pour ramener le solde courant vers un niveau plus soutenable. Le taux de chômage monte à 5,5 % en 2019 dans le scénario optimiste et à 6,5 % en 2018 selon le scénario pessimiste. La hausse du chômage semble limitée. Cela reflète la relative flexibilité du marché du travail du Royaume-Uni. Cependant, cette flexibilité implique aussi que les heures travaillées et les salaires supporteront le fardeau de l’ajustement pour réduire les coûts des entreprises. C’est ce que l’on a clairement vu lors de la crise financière ; il y a aussi une hausse substantielle de personnes en temps partiel subi. (…)

GRAPHIQUE Variation du PIB du Royaume-Uni à court terme par rapport au scénario sans Brexit (en %)

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Quel serait l’impact probable sur les revenus des ménages ?

En supposant que la composition des ménages ne change pas, les revenus des ménages diminueraient avec le PIB, voire même plus rapidement à court terme. (…) Le revenu national chuterait vraisemblablement avec le revenu national à long terme, comme les parts du revenu rémunérant le travail et le capital restent stables globalement à long terme. Les revenus réels des ménages détérioreraient davantage comme les prix des consommateurs augmentent en raison de la dépréciation du taux de change. A court terme, les revenus des ménages seraient affectés de façon disproportionnée, comme la part du revenu rémunérant le travail tend à chuter durant les récessions, peut-être en raison d’un moindre pouvoir de négociation des travailleurs. C’est ce que l’on a pu voir durant la crise financière.

Quelles seraient les implications pour la politique monétaire et les taux d’intérêt ?

Les primes de risque peuvent s’accroître et la Banque d’Angleterre ferait face à une décision difficile sur les taux directeurs. Il y aurait deux moteurs des taux d’intérêt : premièrement, la prime de risque que les prêteurs imposent lors du prêt et, deuxièmement, le niveau du taux directeur. A court terme, les primes de risque seraient susceptibles de s’élever et de pousser à la hausse les taux d’intérêt pour les particuliers. (…) Les banques du Royaume-Uni feraient face à de plus hauts coûts de financement. Il pourrait même y avoir une hausse des taux souverains, en particulier sur le Royaume-Uni connaît une dégradation de sa notation souveraine. En principe, la Banque d’Angleterre peut chercher à compenser les effets de la hausse des primes de risque en réduisant son taux directeur, mais elle peut être incapable de réduire les taux et d’atteindre la cible d’inflation s’il y a une forte dégradation de la production potentielle en raison du moindre investissement ou si les anticipations d’inflation augmentent.

Quels seraient les secteurs les plus affectés ?

Le secteur financier et l’industrie manufacturière à forte valeur ajoutée sont les plus exposés aux risqué associés au Brexit. (…) Le Royaume-Uni tire de nombreux avantages comme centre financier qui date d’avant l’appartenance à l’UE. La sortie du marché unique réduirait probablement l’accès au marché pour les entreprises financières localisées au Royaume-Uni (…) à l’UE, les exposant à une incertitude réglementaire pendant un certain temps et les amenant à revoir leur stratégie. (…) La perte es passeports affecterait fortement les banques basées au Royaume-Uni. Cela se traduirait par une hausse des coûts ; les entreprises financières de dimension mondiale dont les sièges sont localisés à Londres pourraient aussi décider de les délocaliser. (…) D’autres secteurs peuvent être touchés, en particulier ceux intimement connectés à l’UE via les chaînes de valeur. Il y a par exemple les secteurs pharmaceutique, aérospatial et automobile ; certains dépendent notamment des passeports et de la participation de l’UE dans des projets de recherche-développement.

Les répercussions sur le reste du monde

Les autres pays risquent de subir des pertes économiques d’un Brexit, mais ces pertes seront moindres que celles subies par le Royaume-Uni. Au sein de l’UE, l’analyse des données suggère que ce sont Malte, l’Irlande, Chypre, les Pays-Bas et la Belgique qui seront les plus exposés en raison de leurs liens commerciaux. La France, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne seraient moins affectés que la moyenne. En ce qui concerne les liens financiers, ce seront le Luxembourg, les Pays-Bas, Chypre, Malte et l’Irlande qui seront les plus exposés. L’analyse du FMI suggère qu’il est probable qu’aucune économie de l’UE ne gagne à un Brexit.

GRAPHIQUE Répercussions du Brexit sur le PIB des autres pays (en %)

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Les répercussions négatives (…) seraient concentrées dans le reste de l’UE. La production chuterait de 0,2 à 0,5 point de pourcentage dans le reste de l’UE et de 0 à 0,2 point de pourcentage dans le reste du monde en 2018. Les larges écarts de pertes en production que l’on observe d’un pays à l’autre s’expliquent par le fait que les pays n’ont ni la même exposition commerciale et financière au Royaume-Uni, ni la même marge de manœuvre pour répondre à de possibles répercussions récessives. Parmi les plus grandes pays-membres, ce sont l’Irlande, les Pays-Bas et la Belgique qui subiraient les plus fortes baisses. L’Irlande entretient non seulement de forts liens financiers et commerciaux avec le Royaume-Uni, mais les deux pays sont également liés par les flux de travailleurs. Oxford Economics (2016) estime que les pertes seront faibles pour le reste de l’UE, bien que les pertes de l’Irlande s’élèvent presque à la moitié de celles du Royaume-Uni. L’OCDE (2016) estime que les pertes subies par l’UE dans son ensemble représenteraient 1 % du PIB en 2020, soit environ un tiers de la perte subie par le Royaume-Uni dans leur scénario. Par contre, certains pays-membres pourraient bénéficier de la relocalisation d’activités (notamment les services financiers) qui étaient jusqu’alors localisées au Royaume-Uni. (…) »

FMI, « Macroeconomic implications of the United Kingdom leaving the European Union », juin 2016. Traduit par Martin Anota