« Les médias économiques aiment se focaliser sur "les marchés" et cela amène à des considérations faisant apparaître le Brexit comme une crise financière majeure. Ce n’en est très certainement pas une.

L’impact sur l’économie du Royaume-Uni


Au cœur du Brexit, il y a un acte d’automutilation que se porte le secteur du commerce du Royaume-Uni (notamment le commerce des services). Mais c’est peut-être quelque chose qui va évoluer à moyen terme, à mesure que nous perdons graduellement les bénéfices du marché unique. Cela signifie qu’il sera de plus en plus difficile pour les entreprises du Royaume-Uni de vendre des biens ou des services à destination des pays de l’Union européenne. Calculer la taille de ces effets est un exercice dans le domaine d’économie du commerce et non en en macroéconomie (…). Donc il n’y a pas d’"arrogance intellectuelle" à procéder à ce genre d’analyse, même si vous pensez que la modélisation macroéconomique de ces quatre dernières décennies a été un véritable échec.

Le déclin des échanges entraîne une perte de productivité qui appauvrit les citoyens du Royaume-Uni à moyen terme. Cela signifie aussi que la valeur réelle de la livre sterling doit chuter pour correspondre à la chute des exportations nettes (tout déclin des importations qui résulte de la sortie du marché unique sera moindre que la chute subséquente des exportations). Toutes choses égales par ailleurs, cette chute de la livre sterling va survenir immédiatement, comme elle a déjà pu le faire. Cela va immédiatement appauvrir la population, parce que les biens importés coûtent alors plus chers. Mais c’est là où la macroéconomie se révèle indécise. Le choc sur le commerce provoqué par la sortie du marché unique va graduellement évoluer, mais la chute de la livre sterling est immédiate. (…) Cela signifie que les entreprises qui commercent avec l’étranger peuvent voir leur compétitivité s’améliorer à court terme, même si cet effet s’évaporera à moyen terme. Cela peut éventuellement parvenir à compenser l’impact à court terme que la hausse des prix est susceptible d’avoir sur les dépenses de consommation. Malheureusement, il y a bien d'autres choses susceptibles de se produire à court terme. L’incertitude à propos des futurs accords va freiner l’investissement et elle peut aussi alimenter davantage la dépréciation de la livre sterling. Pour cette raison, mais aussi pour d’autres, l’impact à court terme sur la demande globale est susceptible d’être négatif, mais il est difficile de mesurer l’ampleur de cet impact. Cela dépendra de la réaction de la Banque d’Angleterre : va-t-elle réduire ou au contraire augmenter ses taux directeurs ? (…)

Les médias économiques vont se focaliser sur le court terme. Mais le court terme implique une macroéconomie complexe, donc l’ampleur du choc provoqué par le Brexit est aussi incertaine que la macroéconomie elle-même. J’ai toujours pensé que le choc à moyen terme sur les revenus du Royaume-Uni est à la fois plus sérieux et moins incertain.

L’impact sur l’économie mondiale


J’ai été surpris par l’ampleur de la réponse mondiale au Brexit. Après tout, l’impact direct de la mauvaise fortune du Royaume-Uni sur l’économie mondiale sera très limité. Je pense que cela reflète quelque chose que j’ai précédemment écrit : le Brexit est peut-être la première victime majeure du populisme politique qui s’est développé après la crise financière et l’austérité. Ce qui m’inquiète, c’est qu’il risque de ne pas en être la dernière.

L’impact politique sur le Royaume-Uni


Qu’un pays puisse se tirer une balle dans le pied en assassinant son économie est surprenant mais, comme j’ai déjà pu l’expliquer, ce n'est pas forcément catastrophique. Ce qui m’inquiète le plus jusqu’à présent est la politique derrière tout cela. 75 % des 18-24 ans voulaient rester dans l’UE. Ils ont raison d’être en colère en voyant les opportunités que l’UE leur offraient être écartées par la même génération qui a augmenté les frais de scolarité et fait de l’accession à la propriété un rêve impossible. Comme bien d’autres, ils voient leur identité comme s’inscrivant au cœur de l’Europe, pas comme une partie de sa périphérie politique. L’Ecosse ne veut pas être dirigée par un gouvernement encore plus conservateur et se retrouver en-dehors de l’UE. D’un autre côté, une large part des personnes qui ont voté en faveur du Brexit le firent sur la base de simples mensonges et sur des promesses que les meneurs de la campagne ne peuvent tenir, comme une moindre immigration et davantage d’argent pour le système de santé public. Ce groupe s’énervera davantage lorsque cela deviendra apparent et l’UKIP risque paradoxalement de s’en trouver renforcé. »

Simon Wren-Lewis, « Just how bad will Brexit be, and can it be undone? », in Mainly Macro (blog), 25 juin 2016. Traduit par Martin Anota