« La réunion des ministres des finances du G20 et banquiers centraux à Washington (...) a conclu sur une note amère. Ne soyons pas surpris : les perspectives de croissance mondiale se sont assombries avec une variété de risques émanant désormais tant des pays développés que des pays en développement. Les participants à la réunion ont souligné, à nouveau, qu’il était nécessaire de mieux coordonner les politiques économiques, de recourir à la relance budgétaire et de mettre en œuvre une variété de réformes structurelles. Et ces réponses seraient plus urgentes dans la mesure où il est de plus en plus manifeste que la politique monétaire manque de munitions et que les dévaluations compétitives feraient plus de mal que de bien.

Mais avec les plus grandes économies qui sont toujours plombées, presque huit ans après la crise financière mondiale, par des niveaux élevés et croissants de dette publique et privée, il est déconcertant de voir que de larges restructurations ne prennent pas une place plus importante dans le menu des options politiques. En effet, pour l’économie mondiale, la restructuration de la dette est incontournable, mais tout le monde fait l’autruche.

Lors des premiers temps de la crise financière de 2008-2009, Kenneth Rogoff et moi avons noté que la reprise consécutive aux crises financières sévères est lente, dans la mesure où il faut du temps pour que les ménages et les entreprises réduisent les dettes qu’ils ont accumulées durant le boom. Au même instant, les banques, face à la hausse des prêts non performants et à des bilans fragiles, peuvent se révéler incapables ou hésitantes à s’engager dans de nouveaux prêts. Les retards dans le nettoyage des bilans font partie des facteurs qui freinent la reprise et font que les reprises suite aux crises financières sont différentes des rebonds typiques des cycles d’affaires, qui sont habituellement plus rapides.

Dans une étude postérieure, nous avons précisé la trajectoire du revenu par tête suite aux 100 crises financières les plus graves qui ont éclaté depuis 1960. Nous avons constaté qu’il fallait plus de sept ans, en moyenne, pour les économies avancées (telles que nous les définissons aujourd’hui) pour atteindre le niveau de revenu d’avant-crise ; la reprise médiane prend environ six ans. Le déclin du revenu par tête entre son pic au début de la crise et le creux s’élevait à environ 9,6 % pour ce groupe de pays. Les effondrements de la production associés à la crise pour les pays émergents étaient amples.

Que peut-on dire de la comparaison entre l’expérience moderne d’après-crise et les événements passés ? Les dernières Perspectives de l’économie mondiale du FMI, qui offrent des projections pour la croissance du PIB par tête (et de nombreux autres indicateurs) jusqu’à 2021 pour la plupart des économies dans le monde facilite l’évaluation.

L’Allemagne, l’Espagne, les Etats-Unis, la France, la Grèce, l’Irlande, l’Islande, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal et le Royaume-Uni ont tous connu des crises financières systémiques. Deux pays parmi eux (l’Allemagne et les Etats-Unis) ont plus rapidement renoué avec la reprise que l’expérience historique pour les pays développés. Parmi les autres, l’Irlande et le Royaume-Uni sont ceux qui ont le plus rapidement comblé les pertes en termes de revenu (cf. tableau).

Carmen_Reinhart__reprise_apres_une_crise_financiere__PIB_par_tete__Grande_Recession.png

Si les projections du FMI sont prises à leur valeur nominale, le temps médian qu’il faut pour atteindre le niveau d’avant-crise du revenu pour le groupe de 11 pays sera d’environ 9 ans. En 2021, les revenus par tête grec et italien seront respectivement inférieurs de 14 % et 9 % par rapport à leur niveau de 2007. La crise grecque, qui est loin d’être terminée, prend la dixième place dans le classement des crises financières les plus sévères.

Même si on laisse de côté la question plus controversée et tendue de la restructuration de la dette souveraine, il faut prendre conscience que l’effacement de la dette privée qui a été accumulée le boom (…) a fait partie intégrante de la résolution des crises bancaires à travers la plupart des épisodes au cours de l’histoire. Les exceptions notables incluent le renouvellement (evergreening) des prêts bancaires dans les années qui ont suivi la crise japonaise au début des années quatre-vingt-dix et la crise toujours en cours de l’Europe, qui fêtera bientôt son dixième anniversaire.

La reprise anémique dans plusieurs pays développés (même en comparaison avec d’autres crises sévères) tient beaucoup à l’approche "extend and pretend" de la dette qui prévaut. Depuis la crise, les banques européennes se sont finalement contentées d’acheter des titres de dette publique et de renouveler les prêts privés d’avant-crise (selon un mécanisme à la Ponzi).

Même si, aux Etats-Unis, l’épisode des saisies immobilières a été particulièrement difficile, il a forcé les banques et les emprunteurs à s’adapter à l’effondrement de la bulle immobilière et ainsi pouvoir continuer à prêter et à emprunter. Des épisodes antérieurs, allant des crises scandinaves du début des années quatre-vingt-dix à la crise asiatique de 1997-1998, ont été marqués par un désendettement plus rapide. Il faut espérer que la réaction des autorités chinoises face aux problèmes de dette privée domestique et de dette publique ne soit pas la même que celle des autorités au Japon et dans la zone euro. »

Carmen Reinhart, « The post-crisis economy’s long debt hangover », in Project Syndicate, 26 avril 2016. Traduit par Martin Anota



aller plus loin…

« L’éternel retour selon Reinhart et Rogoff »

« Quelle reprise après une crise bancaire ? »

« Quelques leçons de Reinhart et Rogoff sur les crises financières et la dette souveraine »

« Des défauts souverains en miroir »