Le FMI préconise la consolidation budgétaire pour les pays excédentaires d’Asie


« En théorie, la FMI devrait aujourd’hui appeler les pays en excédent courant à s'appuyer davantage sur la relance budgétaire et moins sur la relance monétaire. Cela fait sens dans un monde marqué par de faibles taux d’intérêt, le risque que les pays à excédent courant exportent des trappes à liquidité aux économies connaissant un déficit courant et les inquiétudes à propos de la stagnation séculaire. L’expansion budgétaire tend à réduire l’excédent des pays excédentaires, tandis que l’expansion monétaire tend à accroître les excédents externes. Et les amples excédents externes doivent être un motif d’inquiétude dans un monde où les déséquilibres dans le commerce de biens sont à nouveau assez larges (…).

En pratique, toutefois, le Fonds semble avoir des difficultés à conseiller l’expansion budgétaire à toute économie majeure présentant un excédent du compte courant. (…) Le FMI encourage la consolidation budgétaire en Chine, au Japon et la zone euro. Ces économies ont un PIB combiné de près de 30.000 milliards de dollars. Le Fonds est peut-être en train d’encourager un peu d’expansion budgétaire en Suède (bien que cela ne soit pas évident dans le rapport du Fonds de 2015) et en Corée du Sud, des pays dont le PIB combiné s’élève à 2.000 milliards de dollars. J’ai précédemment noté que le Fonds conseille une consolidation budgétaire en 2017 pour la zone euro, dans la mesure où la consolidation préconisée par le Fonds en France, en Italie et en Espagne excéderait la modeste expansion budgétaire qu’il préconise aux Pays-Bas (Le FMI recommande que l’Allemagne reste en équilibre budgétaire en 2017.) Cela semble être la même chose pour les principales économies excédentaires de l’Asie de l’est.

Prenons le conseil du FMI pour la Chine. Le Fonds pense que la bonne mesure de l’orientation budgétaire de la Chine est ce qu’il appelle "le solde budgétaire augmenté". Et il pense que le déficit augmenté est trop grand et que la Chine doit faire une modeste consolidation budgétaire en 2017. (…) Pour être juste, le Fonds n’appelle pas à une consolidation budgétaire en bilan et il semble même ouvert à un dépassement des 3 % du PIB pour le déficit global si c’est nécessaire pour soutenir la mise en œuvre de nouvelles réformes agressives. En termes de sens, cependant, le FMI désire bel et bien une consolidation budgétaire.

Prenons le conseil du FMI pour le Japon. Le premier relèvement de la taxe sur la consommation (qui est passée de 5 % à 8 %) a été nocif à l’activité. La consommation n’a jamais connu de reprise et la croissance économique a ralenti. Mais, plutôt que de reconsidérer la consolidation basée sur la taxe de la consommation, le FMI veut que le Japon fasse un doublé et relève la taxe sur la consommation non pas à 10 %, mais à 15 %. (…) Ce n’est pas exactement un appel à utiliser la flèche budgétaire pour relancer la croissance de la demande japonaise. Le FMI appelle à un ce que la consolidation budgétaire s’opère à un rythme plus lent et plus prévisible, mais il appelle pour un surcroît de consolidation et en l’occurrence pour une forme de consolidation que pèserait lourdement sur les ménages. Les politiques monétaire et budgétaire agiraient dans des sens opposés. Le Japon est toutefois un cas complexe. Il a un niveau inhabituellement élevé de dette publique. Il a aussi un taux d’intérêt inhabituellement faible sur cette dette. Et les risques budgétaires sont réduits tant que le stock de dette actuellement détenu par le public chute rapidement : d’un côté, le déficit budgétaire s’élève à 5 % du PIB et, de l’autre, les achats annuels réalisés par la Banque du Japon s’élèvent à 15 % du PIB (…). Avec une consolidation budgétaire à un rythme de 0,5 % du PIB pour les dix à quinze prochaines années qui est nécessaire selon le FMI (….) c’est un peu difficile de voir comment la Banque du Japon peut s’arrêter d’acheter bientôt des titres publics, si bien que si le Japon adoptait le conseil du FMI, le stock de dette détenu dans le marché chuterait probablement assez rapidement.

Et qu’en est-il de la Corée du sud ? Les détails du conseil du FMI pour la Corée ne sont toujours pas publiés. Mais il ne semble pas que le FMI veuille un assouplissement budgétaire significatif et soutenu en Corée, alors même que cette dernière a une faible dette publique, pas de déficit budgétaire à proprement parler et un excédent de compte courant de 100 milliards de dollars (soit l’équivalent de 7-8 % du PIB). Selon la prévision du FMI, si je la lis correctement, le gouvernement général va retourner à un excédent budgétaire de 1 % du PIB au cours du temps. La Corée nécessite d’assouplir sa politique budgétaire juste pour éviter le resserrement, pour ainsi dire.

Les deux gros pays excédentaires d’Asie (la Chine et le Japon) constituent sans aucun doute un cas légèrement plus compliqué que la zone euro prise dans son ensemble. La zone euro a un équilibre primaire et, au niveau agrégé, elle a seulement un modeste déficit. La taille absolue du déficit augmenté de la Chine et le déficit primaire du Japon ennuient sans doute certains au FMI. D’un autre côté, la Chine et le Japon engrangeant de significatifs excédents externes, même avec d’amples déficits budgétaires. Par conséquent, sans ces déficits budgétaires, la taille de leurs excédents externes serait bien plus élevée. La Corée du Sud n’a pas de déficit budgétaire à proprement parler et elle un excédent de compte courant qui est plus important, relativement au PIB, que le compte courant de la Chine ou du Japon.

Conclusion : si le FMI veut l’expansion budgétaire dans les pays excédentaire pour faciliter le rééquilibrage externe et réduire les excédents de compte courant, il devrait actuellement encourager les grands pays dotés de larges excédents externes à embrasser l’expansion budgétaire. Trouver une marge de manœuvre budgétaire limitée en Suède et peut-être en Corée du Sud ne suffit pas. Une expansion budgétaire de 20 ou 30 points de base dans les petites économies ne change pas grand-chose au niveau mondial. Pas si la Chine, le Japon et la zone euro manquent tous de marge de manœuvre budgétaire et doivent embrasser la consolidation budgétaire. »

Brad Setser, « IMF cannot quit fiscal consolidation (in Asian surplus countries) », in Follow The Money (blog), 22 août 2016.



La folie de la prudence au FMI


« A la lecture du billet de Brad Setser, est vraiment désespérante. Il note que même aujourd’hui le FMI préconise la contraction budgétaire presque partout (la zone euro, le Japon, la Chine) et l’expansion budgétaire presque nulle part. Setser y voit le FMI violant son propre précepte, celui selon lequel les pays présentant un excédent de leur compte courant devraient stimuler leur activité, ce qui devrait effectivement être le cas. Je reformulerais cela dans un contexte plus large : nous sommes dans un monde où la stagnation séculaire constitue un risque très important, où l’inflation est inférieure à sa cible partout malgré une expansion monétaire sans précédents. Tous les récents événements suggèrent que la seule action des banques centrales ne suffit pas, que le monde nécessite désespérément d’une expansion budgétaire pour stimuler la demande globale et accroître l’offre d’actifs sans risque. Même si la solution ultime peut impliquer des cibles d’inflation plus élevées et les réformes structurelles dont on entend continuellement parler, rien n’est susceptible de marcher sans l’impulsion majeure de la part de la politique budgétaire. Ce diagnostic a finalement fait quelques percées dans les discours ; on ne l’entend plus dans la bouche des seuls keynésiens. Pourtant, le FMI préconise toujours (toujours !) l’austérité budgétaire au nom de la prudence.

Nous vivons dans une économie dépressive, aux faibles taux, depuis huit ans maintenant et les acteurs clés se comportent comme s’ils n’avaient toujours rien appris. »

Paul Krugman, « The folly of prudence, IMF edition », in The Conscience of a Liberal (blog), 23 août 2016. Traduit par Martin Anota