« (…) Le gouvernement fédéral allemand a généré un excédent budgétaire représentant 1,2 % du PIB durant la première moitié de 2016. Le FMI prévoyait un excédent budgétaire de 0,3 % du PIB (et un déficit public général de 0,1 % du PIB) ; les Allemands se sont surpassés.

Les excédents budgétaires actuels de l’Allemagne contribuent au massif excédent du compte courant allemand et à l’excédent externe large et croissant de la zone euro (l’excédent de la zone euro atteignait 350 milliards d’euros au cours des quatre derniers trimestres pour lesquels les données sont disponibles, c’est-à-dire jusqu’au deuxième trimestre 2016). L’excédent externe exporte effectivement l’insuffisance de la demande européenne au reste du monde et pousse à la baisse les taux d’intérêt mondiaux. (…)

Martin Sandbu l’a très bien expliqué dans les pages du Financial Times : "L’excédent public s’ajoute à l’excédent du secteur privé, ce qui signifie que le pays dans son ensemble consomme bien moins qu’il ne produit, envoyant l’excès à l’étranger en contrepartie de créances de plus en plus importantes vis-à-vis du reste du monde. Les autorités allemandes ont l’habitude d’affirmer que l’énorme excédent commercial du pays résulte des fondamentaux économiques et non de la politique économique, mais tant que l’excédent budgétaire demeure, cette affirmation ne tient pas. Même si l’essentiel de l’excédent externe ne dépend pas de la politique économique, cela serait un argument en faveur pour utiliser le budget public pour le contrer et non pour le renforcer".

Les Allemands tendent à voir cela différemment. Plutôt que de voir les excédents budgétaires comme un frein opportuniste sur la demande globale, ils croient que leur prudence budgétaire leur permet de donner le bon exemple à ses voisins.

Mais ses voisins ont bien plus besoin de la demande allemande pour leurs biens et services qu’elle n’a besoin de l’Allemagne pour leur donner l’exemple en matière de prudence budgétaire. Au vu du risque que les partenaires de l’Allemagne au sein de la zone euro se retrouvent piégés dans la déflation par la dette, il est clair que l’ajustement de la zone euro ne peut réellement réussir que si les prix et salaires allemands s’accroissent plus rapidement que les prix et salaires dans le reste de la zone euro. Le mécanisme alternatif d’ajustement (une chute des prix et salaires dans le reste de la zone euro) ne fonctionnera pas.

Une expansion budgétaire allemande aiderait les autres pays-membres à atteindre leurs propres objectifs budgétaires, en particulier si elle passe par un investissement public qui stimule l’investissement privé et se répercute positivement au reste de la zone euro. Une plus forte demande globale en Allemagne accroîtrait les exportations, stimulant la production et les recettes fiscales. Jetez un coup d’œil à ce document de travail de 2014.

L’excédent budgétaire allemand permet au FMI de facilement recalibrer ses recommandations budgétaires pour la zone euro en 2017. Il semble que l’expansion budgétaire allemande que le FMI projetait initialement pour 2016 n’a pas eu lieu (le FMI s’attendait à une hausse d’un demi-point de pourcentage des dépenses publiques relativement au PIB et à une chute de 20 points de base des recettes relativement au PIB en 2016). Cela permet au FMI d’appeler plus facilement à une expansion budgétaire qui ramènerait l’excédent à zéro en 2017 tout en compensant l’impulsion budgétaire négative susceptible de provenir d’Espagne ou d’un autre pays-membre. Le FMI est toujours réticent à appeler les pays disposant d’un excédent externe à générer des déficits budgétaires, même modestes. Mais il est plus enclin à appeler les pays présentant des excédents externes et des excédents budgétaires à ramener leurs budgets à l’équilibre. »

Brad Setser, « Germany is running a fiscal surplus in 2016 after all », in Follow The Money (blog), 25 août 2016.



« Je désire poursuivre la réflexion de Brad Setser à propos de l’excédent budgétaire allemand.

Voilà ce que je pense : aujourd’hui, nous assistons dans les cercles de l’élite à une prise de conscience, tardive mais toujours bienvenue, que la politique monétaire a vraiment besoin d’être soutenue par une expansion budgétaire. Si cela passe par la monnaie-hélicoptère et que celle-ci améliore la situation des gens, très bien ; dans tous les cas, ce qui importe, c’est la relance combinée budgétaire-monétaire.

Il y a toutefois des obstacles susceptibles d’empêcher la mise en œuvre d’un tel policy mix. Il y a tout d’abord le parti républicain aux Etats-Unis, qui se tient déjà prêt à mettre des barrières à l’administration Clinton. Mais il y aussi le problème allemand : l’obsession allemande pour la rigueur budgétaire et, sur plan, il faut avouer que, lorsque cela concerne la macroéconomie, l’Allemagne semble vivre dans un univers intellectuel bien différent. Et les circonstances font que l’obsession allemande a un bien plus grand impact que ne l’ont habituellement les mauvaises idées.

Pensez à la nature du problème européen. Il est actuellement double, voire triple. Premièrement, la zone euro au niveau agrégé souffre au moins des premières étapes de la stagnation séculaire. Son taux d’inflation est inférieur d’un point de pourcentage à la cible de la BCE, alors même que cette dernière est déjà excessivement faible. Pour sortir de ce problème de faible inflation (lowflation), il faut recourir à une relance budgétaire. Deuxièmement, les prix relatifs et les coûts du travail ne sont toujours pas corrigés en Europe. L’Europe du sud doit toujours procéder à une dévaluation interne, mais celle-ci serait bien plus facile si l’Allemagne connaissait une véritable expansion et une plus forte inflation. Troisièmement, il y a toujours un problème bancaire qui nécessite sûrement de nouvelles injections de fonds publics pour être résolu.

Mais l’Allemagne veut engranger des excédents et elle désire que les autres pays-membres fassent de même. La politique budgétaire restrictive de l’Allemagne contribue directement à la faiblesse de la demande globale en Europe et son aversion vis-à-vis du déficit budgétaire contribue à expliquer pourquoi d’autres pays européens qui ont de faibles coûts d’emprunt poursuivent pourtant leur austérité budgétaire.

En outre, le resserrement budgétaire allemand empêche l’Allemagne de connaître l’expansion économiques et l’inflation qui pourraient faciliter la dévaluation interne dans le sud (cette dernière est la contrepartie de l’expansion et de l’inflation du sud entre 2000 et 2007 qui contribuèrent à sortir l’Allemagne du marasme qu’elle a connu à la fin des années quatre-vingt-dix). Et cela impose une austérité continue dans l’Europe du sud. Finalement, tel que je le comprends, l’Allemagne demande l’implication des créanciers lors des sauvetages bancaires, pour empêcher davantage d’endettement public, ce qui est parfois une bonne idée, mais ne contribue dans le cas présent qu’à perpétuer la crise bancaire.

Donc l’obsession budgétaire de l’Allemagne a une sorte d’effet multiplicateur sur l’Europe, et indirectement sur le monde, qui est disproportionné même par rapport à la taille économique de l’Allemagne. Et cela m’amène à douter que le changement radical dans l’opinion de l’élite auquel nous assistons actuellement permettra vraiment de changer les choses, dans la mesure où le gouvernement qui a le plus besoin de changer ses politiques reste sourd. »

Paul Krugman, « Germany’s drag », in The Conscience of a Liberal (blog), 26 août 2016. Traduit par Martin Anota



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