« Le Wall Street Journal, en s’appuyant sur un point soulevé par Jacob Kirkegaard, du Peterson Institute, semble convaincu que l’humeur politique a changé et que l’Europe s’apprête désormais à utiliser la politique budgétaire pour soutenir sa reprise économique. J’accueillerais bien évidemment avec enthousiasme une telle réorientation de la politique budgétaire. La zone euro génère un excédent externe, sa production demeure inférieure à son niveau potentiel (en grande partie à cause d’un resserrement prématuré de la politique budgétaire en 2010 qui a provoqué une récession à double creux) et elle présente au niveau agrégé une ample marge de manœuvre budgétaire. Et les voix en faveur d’un tel retournement de la politique budgétaire se font de plus en plus fortes. La nouvelle étude de Jan in ‘t Veld suggère qu’une expansion budgétaire soutenue en Allemagne et aux Pays-Bas peut avoir un impact substantiel sur le reste de la zone euro. Une hausse soutenue de l’investissement public équivalente à 1 % du PIB en Allemagne et aux Pays-Bas contribuerait à accroître la production et à réduire la dette publique dans les autres pays-membres. Dans l’étude de Jan in ‘t Veld : "Les effets de débordement sur le reste de la zone euro sont significatifs… Le PIB dans le reste de la zone euro s’en trouverait augmenté d’environ 0,5 %".

Malheureusement, il semble un peu trop tôt pour sabrer le champagne. La politique budgétaire de 2017 n’a pas encore été décidée dans les pays clés, mais il ne me semble pas que la somme des décisions budgétaires des principaux pays de la zone euro va se traduire par une significative expansion budgétaire au sein de la zone euro. En fait, je n’exclus même pas une petite consolidation nette.

L’Allemagne a présenté son Budget pour l’année 2017. La rhétorique de Schäuble a un peu changé. Mais Citibank estime que cela ne se traduirait que par une réduction de l’excédent budgétaire structurel de l’Allemagne de seulement 0,1 % du PIB. C’est un pas dans la bonne direction, mais seulement un tout petit pas. Un réel assouplissement budgétaire ne semble pas d’actualité avant 2018.

Je ne pense pas que les Hollandais aient présenté leur Budget pour l’année 2017. Mais leur rapport sur la stabilité de 2016 suggère qu’ils cherchent à réaliser une consolidation budgétaire structurelle d’environ 0,3 % du PIB. Ils veulent toujours ramener leur déficit structurel à environ 1 % du PIB.

Les Français vont sûrement opter pour un minimum de consolidation budgétaire s’ils cherchent toujours à ramener leur déficit budgétaire de 2017 sous les 3 % du PIB, mais je parie que Hollande est susceptible d’obtenir un peu de flexibilité avant les élections présidentielles.

Renzi aimerait certainement donner une impulsion budgétaire à l’économie italienne. Mais la pression de la Commission européenne et d’autres sur les Italiens est toujours en faveur de la consolidation budgétaire. Les règles et tout. La cible de la Commission pour le déficit budgétaire de l’Italie en 2017 est de 1,8 % du PIB. Je doute que l’Italie fasse la consolidation qui serait nécessaire pour ramener le déficit sous les 2 % du PIB, mais je ne suis pas pour autant convaincu que l’Italie obtiendra une marge de manœuvre pour assouplir sa politique budgétaire. Les lignes de bataille ont été tracées, mais la bataille n’a pas encore été lancée.

Si l’impact de la consolidation hollandaise est compensé par une modeste expansion allemande et si la France et l’Italie finissent avec une orientation budgétaire peu ou prou inchangée, l’Espagne devient le joker, celui qui va déterminer l’orientation budgétaire agrégée de la zone euro. Or, il y a un risque non négligeable qu’en l’absence de gouvernement, les dépenses publiques espagnoles soient maintenues constantes en termes nominaux, ce qui se traduirait par une significative consolidation budgétaire. Selon Fabio Balboni, de HSBC, "Si le Budget de l’année 2017 ne peut être approuvé d’ici la fin de l’année, tous les principaux postes de dépenses vont être gelés aux niveaux courants, notamment les salaires et les pensions de retraite. Cela serait égal à une réduction des dépenses d’environ 1 % du PIB. Cela peut contribuer à réduire le déficit, mais cela aurait aussi des conséquences négatives pour la croissance économique". Même si l’Espagne forme un gouvernement qui évite un gel des dépenses publiques de style séquestre, elle fera face à des pressions en faveur d’une réduction de son déficit. Selon Daniele Antonucci, de Morgan Stanley, "l’Espagne va se resserrer la ceinture… le point d’interrogation se place sur le degré auquel elle le fera et cela dépend aussi de la situation politique".

Si l’Espagne, qui a le plus large déficit parmi les grandes économies de la zone euro, finit par accomplir une significative consolidation budgétaire, que ce soit en conséquence de l’absence d’un gouvernement ou en conséquence d’une décision délibérée des Européens afin de pousser l’Espagne à aller au-delà de la cible après qu’elle ait élu un nouveau gouvernement, un autre pays devra alors suffisamment assouplir sa politique budgétaire pour que l’orientation budgétaire agrégée de la zone euro reste neutre. La chose la plus probable, c’est que l’on ne peut pas compter sur le Budget allemand de 2017 pour fournir une telle expansion budgétaire. Et tant que les Budgets de la France et de l’Italie pour l’année 2017 ne sont pas approuvés, nous ne saurons pas s’ils seront capables de compenser un probable resserrement de la politique budgétaire espagnole. »

Brad Setser, « Do not count (European) fiscal chickens before they hatch », in Follow The Money (blog), 15 septembre 2016. Traduit par Martin Anota



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