« J’aime beaucoup le récent rapport de la BCE sur le ralentissement du commerce mondial (résumé ici en français, pages 35-38), pour cinq raison :

1) Il ne suppose pas que le commerce doit toujours croître plus rapidement que la production. Une libéralisation du commerce (ou une chute des coûts de transport ou, de façon moins attrayante, de nouvelles opportunités pour tirer avantage des prix de transfert) doit entraîner une expansion du commerce, mais seulement jusqu’à ce qu’un nouveau niveau d’équilibre soit atteint. A long terme, une élasticité d’environ 1 (par exemple, le commerce croît avec la demande de biens échangés) fait sens.

2) Il jette un regard quelque peu sceptique sur l’expansion du commerce entre 2001 et 2007, et ne suppose pas que la croissance du commerce au cours de cette période soit complètement soutenable. L’expansion du commerce entre 2001 et 2007 a été associée à une croissance exceptionnellement rapide des exportations chinoises, qui n’a pas été accompagnée d’une croissance aussi rapide des importations chinoises (en particulier de biens manufacturés) ; elle n’était soutenable qu’aussi longtemps que le reste du monde génère de larges déficits externes pour contrebalancer le large excédent chinois. "En 2001-2007, les exportations chinoises ont augmenté plus rapidement que la demande de biens importés (de 15 points de pourcentage) sur ses principaux marchés ; en 2008-2013, ce différentiel a chuté à 6 points de pourcentage. Une perte en compétitivité au cours de cette période peut avoir joué un rôle : le taux de change réel effectif de la Chine (basé sur les prix relatifs à la production) s’est apprécié d’environ un quart depuis 2005. Au même instant, les exportations de la Chine ont fini par ralentir ; elles ne peuvent dépasser l’expansion des marchés exportateurs à long terme." Durant cette période, la croissance des exportations chinoises filtra à travers l’Asie. La croissance des exportations chinoises à destination de l’Europe, des Etats-Unis et des exportateurs de matières premières (qui peuvent ainsi acheter plus de biens manufacturés comme les prix des matières premières sont alors poussés à la hausse) entraîna une hausse des importations chinoises de composants (c’est-à-dire des chaines de valeur mondiale), même si, après 2014, les importations chinoises commencèrent à être en décalage par rapport à la croissance des exportations.

3) Il note que le récent ralentissement du commerce a été marqué par une forte variation de l’élasticité des importations de la Chine. Pendant les sept dernières années, la croissance des importations chinoises a été significativement en décalage par rapport à la croissance du PIB chinois. "Le récent déclin de l’élasticité des importations vis-à-vis du revenu a été frappant et a fortement contribué à la chute de l’élasticité du commerce mondial. L’élasticité du commerce de la Chine est passée de 1,8 en 1980-2007 à 0,8 en 2012-2015. Le chute des importations en 2015 a été particulièrement forte, avec les importations croissant de seulement 2 %, malgré une activité économique robuste." (Bien sûr, une autre explication pour l’écart entre les importations et la croissance que l’on a pu observer en 2015 est que la croissance du PIB chinois en 2015 est surestimée.)

4) Il met en lumière le fait que les droits de douane des pays émergents sont bien plus élevés que ceux des pays développés ; une conséquence est que la part des pays émergents dans le PIB mondiale augmente, il y a en effet plus de barrières à l’échange, même en l’absence de nouvelles restrictions aux échanges. Quantitativement, le ralentissement des importations des pays émergents lié au ralentissement des importations chinoises a davantage compté que l’introduction de nouvelles barrières dans les pays développés. (…) "Le déplacement de la croissance des échanges commerciaux et du PIB des économies avancées vers les économies de marché émergentes implique un affaiblissement de la relation entre commerce et activité économique au niveau mondial."

5) Il partage mon scepticisme à propos de la qualité des données sur le commerce des services (la Chine n’aide pas, mais la Chine n’est pas la seule coupable) et se focalise sur le commerce de biens, dont les données sont plus précises. "Les statistiques du commerce des services souffrent de plus grands problèmes de mesure que les statistiques du commerce de biens. Historiquement, en raison des recettes associées aux droits de douane, les flux de biens ont été enregistrés aux frontières avec beaucoup de précision, mais les flux de services sont bien plus abstraits et plus difficiles à capturer, ce qui se traduire par de plus mauvaises pratiques d’enregistrement."

J’aimerais compléter l’analyse formelle de la BCE avec quelques graphiques additionnels, en me focalisant tout particulièrement sur la Chine.

La période entre 2001 et 2008 est marquée par la croissance très rapide des exportations de biens manufacturés de la Chine, relativement à son PIB ou au PIB mondial. Jusqu’à 2004, la croissance des exportations était en phase que la croissance des importations de biens manufacturés (les importations de biens intermédiaires pour produire les biens exportés, mais aussi pour l’usage domestique). Mais comme le graphique suivant le montre, il y a un changement dans les données d’importations depuis 2004. Elles cessèrent de se faire au rythme des exportations.

GRAPHIQUE Exportations et importations chinoises de biens manufacturés (en % du PIB)

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J’ai longtemps pensé que la Chine était trop grosse comme économie pour que les exportations de biens manufacturés représentent 35 % de son PIB (35 % du PIB, c’est un chiffre bien plus élevé que le même ratio pour la zone euro ou les Etats-Unis), en particulier lorsque ce niveau élevé d’exportations relativement au PIB correspondait à un large excédent global.

Un ajustement qui ramena la Chine à la "normale" serait donc presque certainement accompagné par une certaine forme de ralentissement du commerce mondial. Conceptuellement, les importations peuvent s’être accrues pour suivre les exportations. Mais cela me semblait peu probable, en partie parce que l’Etat chinois a longtemps encouragé les entreprises qui veulent vendre en Chine à produire en Chine. Et concrètement, ça ne s’est effectivement pas produit. La croissance chinoise d’après-crise a coïncidé avec des chutes régulières de ses importations de biens manufacturés relativement à son PIB.

Une partie de la chute des importations industrielles de la Chine s’explique par la chute des exportations chinoises : la valeur ajoutée chinoise en 2009 s’élevait environ à 70 % de ses exportations, pas 100 %. Mais la chute des exportations (rapportées au PIB chinois) n’explique pas non plus totalement la chute de la part des importations de biens manufacturés (rapportées au PIB chinois).

Il y a plein de preuves empiriques suggérant que les composants, qui étaient auparavant importés, sont de plus en plus produits en Chine (voir par exemple le chapitre 1 de ce rapport du FMI). Les chaînes de valeur mondiales se sont contractées ; les importations chinoises de produits provenant du Japon et de nouvelles économies industrialisées n’ont pas gardé le même rythme que les exportations chinoises.

Et les importations de biens manufacturés pour usage domestique (mesurés comme la différence entre l’ensemble des importations manufacturées et les importations de biens intermédiaires utilisés pour produire les biens exportés) semblent aussi chuter. Le ralentissement de l’investissement chinois semble avoir significativement poussé les importations chinoises à la baisse au cours des deux dernières années.

L’analyse qu’offre le FMI dans un chapitre de ses dernières Perspectives de l’économie mondiale va dans la même direction. Le Fonds affirme que le ralentissement du commerce mondial s’explique principalement par un ralentissement de l’investissement. Et il semble que le Fonds constate que les importations chinoises ont chuté légèrement plus rapidement que cela n’est justifié par son modèle (…).

Ainsi, cette histoire de commerce mondiale est avant tout une histoire chinoise, que ce soit directement ou bien indirectement, via l’impact de la Chine sur les matières premières. Les statistiques de la BCE collent bien à un ensemble de faits stylisés à propos de l’évolution du commerce chinois. »

Brad Setser, « The ECB on the slowdown in global trade », in Follow The Money (blog), 30 septembre 2016. Traduit par Martin Anota