Ne sous-estimez pas le pouvoir des microfondations !


« Brad DeLong s’est demandé pourquoi le modèle des nouveaux keynésiens (qui a initialement été proposé pour simplement montrer comment les prix visqueux dans un cadre de cycles d’affaires réels pouvaient générer des effets keynésiens) a pu réussir à devenir le modèle dominant dans la macroéconomie moderne, malgré ses diverses insuffisances empiriques. (…) DeLong dit que sa question est intimement reliée à la question suivante : "pourquoi les modèles qui ont été microfondés d’une façon que nous savons erronée sont préférés aux modèles qui essayent de respecter les propriétés que nous observons au niveau empirique ?"

J’estime que les deux questions sont en fait la même. Le modèle des nouveaux keynésiens est la manière microfondée de faire de l’économie keynésienne et les modèles microfondés (les modèles DSGE) sont de rigueur dans la macroéconomie universitaire, donc tout universitaire orthodoxe qui désirerait analyser le cycle d’affaires d’une perspective keynésienne va utiliser une variante du modèle des nouveaux keynésiens. Pourquoi les modèles microfondés sont dominants ? De mon point de vue, c’est une question méthodologique, à propos de l’importance relative de la cohérence "interne" (théorique) des modèles versus leur cohérence "externe" (empirique).

Comme la macroéconomie était très différente il y a cinquante ans, c’est une question méthodologique très intéressante de se demander pourquoi les choses ont changé, même si vous pensez que le changement a grandement amélioré la façon de faire de la macroéconomie (comme je le pense). Selon moi, la (contre-)révolution des nouveaux classiques était avant tout une révolution méthodologique. Cependant, il y a deux problèmes avec une telle discussion. Premièrement, les économistes ne sont généralement pas à l’aise lorsqu’il s’agit de parler de méthodologie. Deuxièmement, il va être difficile de faire admettre à un macroéconomiste sous un certain âge que ce soit une question méthodologique ; celui-ci ne verra les microfondations que comme une manière de corriger ce qui s’est révélé être des insuffisances par le passé.

Donc, par exemple, vous entendrez dire que la cohérence interne est clairement un aspect essentiel de tout modèle, même si elle est acquise en sacrifiant la cohérence externe. Vous entendrez comment la critique de Lucas montre que tout modèle qui n’est pas microfondé est inadéquat pour analyser les politiques économiques, plutôt que ce soit simplement un aspect de l’arbitrage complexe entre cohérence interne et cohérence externe. Plusieurs macroéconomistes aujourd’hui ne saisissent pas que l’adoption des microfondations est un choix méthodologique plutôt qu’un simple moyen de corriger les erreurs passées. Je pense que cela a deux implications pour ceux qui veulent débattre de l’hégémonie des microfondations. La première est que le débat doit se porter sur la méthodologie, plutôt que sur les modèles pris individuellement. Les déficiences avec des modèles microfondés particuliers, comme le modèle des nouveaux keynésiens, sont généralement admises et, du point de vue des microfondations, elles fournissent simplement un agenda pour de nouvelles recherches. Deuxièmement, le manque de familiarité avec cette méthodologie signifie que le débat ne peut présumer un savoir qui n’existe pas. (Et affirmer qu’un tel savoir est nécessaire est un point pertinent pour l’enseignement de l’économie, mais c’est inutile si vous essayez de changer le discours actuel.) Cela complique le débat, mais je suis certain qu’il ne l’empêche pas. »

Simon Wren-Lewis, « Do not underestimate the power of microfoundations », in Mainly Macro (blog), 3 avril 2015. Traduit par Martin Anota



Blanchard à propos de la modélisation DSGE


« Olivier Blanchard, l'ancien économiste en chef du FMI, a écrit un bref article où il s'est montré critique vis-à-vis des modèles DSGE. Pour résumer, les blogueurs ont réagi à son article en suggérant qu’il s’est montré trop précautionneux dans ses propos : la modélisation DSGE domine complètement la macroéconomie universitaire et il est impossible que celle-ci considère soudainement ce programme de recherche comme un énorme gâchis. (Je suis d’accord avec Blanchard à l’idée que la modélisation DSGE ne soit pas une perte de temps.) Ce qui doit être débattu, ce n’est pas l’existence des modèles DSGE, mais leur hégémonie.

Blanchard recommande notamment à ce que la modélisation DSGE "devienne moins impérialiste. (…) La profession (j’entends avant tout les éditeurs des grandes revues) doit prendre conscience qu’il est nécessaire d’avoir différents modèles pour assurer différentes tâches". Le morceau le plus important dans cette phrase est celui entre parenthèses. Il fait référence à une distinction entre les modèles pleinement microfondés et les "modèles de politique économique". Ces derniers ont notamment été appelés par le passé "modèles économétriques structurels" ; ce sont les modèles auxquels Lucas et Sargent se sont attaqués.

Ces modèles économétriques structurels ont continué d’être utilisés comme modèles de base dans plusieurs institutions-clés de politique économique (sauf la Banque d’Angleterre) pour une bonne raison, mais la plupart des universitaires ont suivi Lucas et Sargent en considérant que ces modèles comme ne relèvent pas de la "bonne" macroéconomie. Leur raisonnement est simplement erroné, comme je l’ai indiqué ici. Comme Blanchard le note, ce sont les éditeurs des revues les plus en vue qui doivent en prendre conscience et arrêter d’insister pour que chaque modèle macroéconomique soit nécessairement microfondé. Dès lors qu’ils laisseront de la place pour l’éclectisme, alors les universitaires seront capables de choisir quelles méthodes ils préfèrent utiliser.

Dans une autre remarque qu’il destine aux éditeurs de revues, Blanchard touche le cœur du problème avec la macroéconomie d’aujourd’hui. Il écrit que "toute discussion d’un nouveau mécanisme ne doit pas nécessairement se faire dans un cadre d’équilibre générale". L’exemple dont il discute (et que j’ai moi-même utilisé dans le même contexte) est celui de la consommation. Les modélisateurs DSGE se sont bien sûr souvent écartés de l’équation d’Euler, mais je les soupçonne de l’avoir fait (…) plus pour une convenance analytique que pour une question de réalisme.

Ce qui semble souvent manquer dans la macroéconomie aujourd’hui est une connexion entre les personnes travaillant sur l’analyse en équilibre partiel (comme la consommation) et les modélisateurs de l’équilibre général. La préférence des éditeurs des revues les plus prestigieuses pour la seconde suggère que la première est d’une moindre valeur. A mes yeux, cela a déjà eu d’importants coûts. L’échec à prendre au sérieux les preuves empiriques montrant l’importance de la disponibilité du crédit pour la consommation contribue à expliquer pourquoi la macroéconomie n’a pas su adéquatement modéliser la réaction à la crise financière (…). Même si vous n’acceptez pas cela, l’échec de la plupart des modèles DSGE à inclure tout genre de comportement d’épargne de précaution est pernicieux lorsque la modélisation DSGE est en situation de monopole dans la "bonne" modélisation.

Les critiques à l’encontre de l’hégémonie des modèles DSGE que formulent les non-économistes, les macroéconomistes qui n’utilisent pas ces modèles ou encore les responsables de politique économique n’ont jusqu’à présent eu que peu d’impact sur les éditeurs des revues les plus prestigieuses. Peut-être que des critiques émanant d’un des meilleurs macroéconomistes au monde sont susceptibles d’avoir plus de poids. »

Simon Wren-Lewis, « Blanchard on DSGE », in Mainly Macro (blog), 12 août 2016. Traduit par Martin Anota