« Plusieurs économistes ont récemment écrit à propos des avantages et inconvénients des modèles d’équilibre général stochastiques (dynamic stochastic general equilibrium models, DSGE). Outre moi-même, il y a eu Narayana Kocherlakota, Simon Wren-Lewis, Paul Romer, Steve Keen, Anton Korinek, Paul Krugman, Noah Smith, Roger Farmer et Brad DeLong.

Voici quelques remarques supplémentaires relatives à ce débat :

Je crois qu’il y a un large accord autour des trois propositions suivantes ; je ne vais pas davantage les discuter, mais je vais ensuite poursuivre ma réflexion.

1. La macroéconomie concerne l’équilibre général.

2. Différents types de modèles d’équilibre général sont nécessaires pour différents objectifs. Pour l’exploration et la pédagogie, les critères retenus doivent être ceux de transparence et de simplicité ; pour cela, les modèles DSGE constituent un bon véhicule. Pour la prévision, le critère doit être celui de la précision de la prévision, or les modèles purement statistiques peuvent, pour l’heure, s’avérer meilleurs à la prévision. Pour la prévision conditionnelle, que l’on utilise par exemple pour connaître les répercussions de la modification d’une politique économique, des modèles plus structurels sont nécessaires, mais ils doivent coller aux données et l’on ne doit pas être obnubilé par leurs fondations microéconomiques.

3. La modélisation et l’estimation en équilibre partielle sont essentielles pour comprendre les mécanismes particuliers qui sont pertinents en macroéconomie. Ce n’est seulement que lorsqu’ils sont bien compris qu’il devient essentiel de comprendre leurs effets en équilibre général. Chaque macroéconomiste n’a pas à travailler sur des modèles d’équilibre général (il y a une division du travail).

Voici deux propositions plus controversées :

1. Les modèles DSGE dans la panoplie des modèles d’équilibre général ont pour rôle spécifique de fournir un ensemble de « Meccano » macroéconomiques de base, c’est-à-dire une plateforme formelle, analytique pour la discussion et l’intégration de nouveaux éléments : par exemple, comme base à partir de laquelle nous pouvons explorer le rôle des négociations sur le marché du travail, le rôle de la fixation des prix sur les marchés des biens, le rôle des banques dans l’intermédiation, le rôle des contraintes de liquidité sur la consommation, le rôle des équilibres multiples, etc. Certains semblent penser que c’est un rôle dangereux et contreproductif, une perte de temps, ou tout du moins qu’il y ait un coût d’opportunité élevé. Je ne le crois pas. Je crois que chercher une telle structure est non seulement utile, mais aussi possible.

2. Les modèles DSGE ne peuvent jouer ce rôle que s’ils sont construits sur des microfondations explicites. Ce n’est pas parce que les modèles avec microfondations sont plus vénérables que d’autres, mais parce qu’avec toute autre approche, il est plus difficile d’intégrer de nouveaux éléments et d’avoir un dialogue formel. Pour ceux qui croient qu’il y a peu de distorsions (disons, ceux qui croient l’approche des cycles d’affaires réels), c’est une approche simple et naturelle. Pour ceux d’entre nous qui croient qu’il existe de nombreuses distorsions contribuant à faire émerger les fluctuations macroéconomiques, cela allonge et complique le périple (…). On aimerait qu’il y ait un raccourci et un point de départ différent ; je ne pense pas que ce soit possible.

La marche à suivre


Si nous n’acceptons pas les deux propositions ci-dessus, alors les modèles DSGE ne sont clairement pas la voix à prendre, fin de la discussion. Il y a plein d’autres choses à faire dans la vie. Mais si, cependant, nous les acceptons (même avec une certaine réticence), alors le rejet complet des modèles DSGE n’est pas une option. La discussion doit porter sur la nature des microfondations et les distorsions que les modèles courantes possèdent et sur la façon par laquelle nous pouvons faire mieux.

Est-ce que les modèles DSGE courants représentent un ensemble de Meccano basique, un ensemble que la plupart des macroéconomistes acceptent d’utiliser comme point de départ ? (…) Je crois que la réponse est non. (J’ai présenté mes objections dans le document que j’ai publié il y a quelques mois.) Donc, les priorités pour la recherche sont évidentes à mes yeux :

Premièrement, pouvons-nous élaborer un modèle basique que la plupart de nous serions enclins à prendre comme point de départ, de la même façon que le modèle IS-LM a pu être un point de départ largement accepté il y a longtemps ? Au vu des avancées technologiques et de la facilité avec laquelle on peut utiliser les programmes de simulation, un tel modèle peut et doit probablement être substantiellement plus large que le modèle IS-LM, mais pourtant toujours rester transparent. A mes yeux, cela signifie qu’il faut partir du modèle des nouveaux keynésiens, mais en utilisant des équations relatives à la consommation et à la fixation des prix qui soient plus réalistes et en y intégrant les décisions relatives au capital donc à l’investissement.

Deuxièmement, pouvons-nous ensuite explorer de sérieuses améliorations sur divers plans ? Pouvons-nous avoir un modèle du comportement du consommateur plus réaliste ? Comment pouvons-nous nous écarter des anticipations rationnelles, tout en gardant l’idée que les ménages et les entreprises s’inquiètent pour l’avenir ? Quelle est la meilleure manière d’introduire l’intermédiation financière ? Comment pouvons-nous traiter les problèmes d’agrégation (qui ont été largement passés sous silence) ? Comment voulons-nous procéder pour l’estimation (qui est sérieusement déficiente) ? Et, pour chacune de ces thèmes, si nous n’aimons pas la manière par laquelle on les traite actuellement, quoi proposons-nous comme alternative ? Ce sont des choses dont nous devons discuter, pas de grandes paroles sur l’opportunité ou non d’utiliser les modèles DSGE ou sur l’utilité de la macroéconomie en général. »

Olivier Blanchard, « Further thoughts on DSGE models. What we agree on and what we do not », 3 octobre 2016. Traduit par Martin Anota