« La plupart des analyses de l’économie chinoise soulignent les risques associés à un niveau élevé d’investissement et à la hausse de l’endettement des entreprises. L’investissement constitue une part inhabituellement élevée de l’économie chinoise. Ce niveau élevé d’investissement est soutenu par une croissance très rapide du crédit et un stock sans cesse croissant de dette interne. Relativement au PIB, l’emprunt des entreprises s’est tout particulièrement accru. Tous ces investissements ne génèreront pas un rendement positif, ce qui laissera des pertes que quelqu’un devra bien supporter en dernier ressort. La croissance rapide du crédit a été un indicateur de difficultés bancaires assez fiable. La Chine ne risque pas d’être différente. Les inquiétudes vis-à-vis du boom de l’investissement chinois pullulent dans la dernière évaluation du FMI de la Chine, dans les publications de la BRI et sur la blogosphère. Gabriel Wildau, dans le Financial Times, écrit : "Les chiens de garde mondiaux, notamment le FMI et la BRI (sans mentionner ce blog), sont de plus en plus angoissés lorsqu’ils soulignent les dangers que l’ample endettement de la Chine pose pour l’économie mondiale".

Pourtant, je dois avouer que j’ai du mal à considérer l’"excès d’investissement et de financement par voie de dette" comme étant le plus grand défi macroéconomique auquel la Chine est actuellement confrontée. L’investissement est une composante de la demande globale. Affirmer que la Chine investit de trop, cela reviendrait à dire que, en conséquence d’un boom (ou d’une bulle) du crédit, la Chine génère trop de demande pour sa propre économique et, par conséquent, trop de demande pour l’économie mondiale. Cela ne semble pas tout à fait exact. Les banques chinoises n’ont pas besoin d’emprunter au reste du monde pour soutenir la croissance rapide du crédit domestique. L’énorme croissance des prêts de la Chine, reposant sur la croissance du prêt parallèle, s’est autofinancée ; le montant des dépôts et des dépôts parallèles semble supérieur au montant des prêts et des prêts parallèles. La plupart des pays qui connaissent un boom du crédit génèrent de larges déficits externes. La Chine, à l’inverse, génère toujours un significatif excédent courant. La Chine exporte son épargne, même lorsqu’elle investit près de 45 % de son PIB. Et même avec un niveau d’investissement domestique extraordinairement élevé, l’économie chinoise dépend toujours, en net, de la demande du reste du monde pour fonctionner à pleine capacité. C’est ce qui différencie la Chine de la plupart des pays qui connaissent un boom du crédit et de l’investissement.

GRAPHIQUE Taux d'épargne et taux d'investissement de la Chine (en % du PIB)

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Un cadre alternatif serait de partir de l’idée que la Chine épargne de trop. Un niveau élevé d’épargne nationale (l’épargne nationale a été proche de 50 % du PIB pour les dix dernières années et égale à 48 % du PIB en 2015, selon le FMI) entraîne le risque que la Chine va offrir trop d’épargne soit à sa propre économie, ce qui entraînerait des déséquilibres domestiques, soit au reste du monde, ajoutant un nouveau risque aux déséquilibres mondiaux. De ce point de vue, le niveau d’investissement élevé et les risques qui apparaissent avec celui-ci découlent en partie des politiques qui ont conduit à des niveaux extraordinairement élevés d’épargne domestique. Après la crise financière mondiale, l’essentiel de l’épargne chinoise est investi, plus inefficacement, dans l’économie domestique. L’excellente étude réalisée par Bai, Hsieh et Song souligne que la hausse de l’investissement après la crise résulte essentiellement de la politique gouvernementale. Mais même avec un niveau élevé d’investissement provoqué par la croissance rapide du crédit domestique, une partie de l’épargne chinoise se retrouve toujours dans l’économie mondiale. Et l’exportation de l’épargne chinoise (…) est source de difficultés lorsque la plupart des économies développées sont elles-mêmes confrontées à un excès d’épargne domestique et ont des difficultés à consacrer toute l’épargne disponible à un bon usage domestique. C’est ce que nous indiquent les faibles taux d’intérêt mondiaux et la faible croissance de la demande mondiale.

Donc, du point de vue du reste du monde, une chute de l’investissement chinois n’est pas sans risques. Moins d’investissement, cela signifie moins d’importations. La composante importée de l’investissement est plus élevée que la composante importée de la consommation. La récente croissance des importations chinoises a été assez faible. Il est de plus en plus évident que le ralentissement de l’investissement chinois en 2014 et en 2015 a eu un plus large impact mondial que ce qui était initialement attendu, notamment en poussant à la baisse les prix des matières premières et l’investissement pour la production de matières premières. Si une baisse de l’investissement entraîne une chute de la croissance chinoise (…), cela tendrait aussi à pousser le taux de change du renminbi à la baisse, ce qui ferait que la Chine importerait moins et exporterait plus. Cela n’est pas bon pour une économie mondiale en manque de demande et de croissance.

Du point de vue du reste du monde, la bonne issue serait une chute de l’épargne chinoise, pas une chute de l’investissement chinois. Si la Chine épargnait moins, cela signifierait qu’elle pourrait moins investir dans son économie domestique sans avoir à exporter son épargne vers le reste du monde. Si la Chine épargnait moins, il y aurait plus de consommation, qu’elle soit privée ou publique, et plus de demande domestique. Une baisse de l’épargne tendrait à pousser les taux d’intérêt à la hausse et donc à réduire la demande de crédit. Une hausse des taux d’intérêt tendrait à décourager les sorties de capitaux et à soutenir le taux de change du renminbi. Tout cela serait bon pour la Chine et pour le monde entier. Cela se traduirait par une réduction des risques domestiques et des risques externes.

Donc je m’inquiète un peu lorsque les conseils prodigués à la Chine en matière de politique économique se focalisent avant tout sur la réduction de l’investissement, sans une toute aussi grande emphase sur les politiques visant à réduire l’épargne chinoise. Prenons un exemple, le dernier Article IV du FMI se focalise tout particulièrement sur le besoin de freiner la croissance du crédit et de réduire le montant de fonds disponibles pour l’investissement et affirme que la Chine ne doit pas générer du crédit pour atteindre une cible de croissance artificielle. Je suis d’accord avec les deux conseils du FMI, mais je ne suis pas sûr que cela suffise pour ralentir le crédit. J’aurais aimé voir une aussi grande emphase sur un ensemble de politiques qui contribueraient à réduire l’énorme taux d’épargne nationale de la Chine. Les prévisions à long terme du FMI supposent que la démographie chinoise et les changements de politiques économiques déjà à l’œuvre (par exemple une hausse attendue d’un demi-point des dépenses publiques de santé, par exemple) suffiront pour réduire l’épargne chinoise (relativement au PIB) plus rapidement que ne chute l’investissement chinois (relativement au PIB) (…) ; cf. le paragraphe 25 de ce document. Même lorsque le déficit hors bilan chute et que le déficit budgétaire reste assez constant. Mécaniquement, c’est ainsi que le FMI peut prévoir une chute du déficit du compte courant, une chute de l’investissement et une chute du déficit budgétaire augmenté de la Chine. Donc la prévision externe du FMI fait le pari que l’épargne chinoise va significativement chuter sans nouvelles réformes majeures en Chine. La chute effective de l’épargne entre 2011 et 2015 a été plutôt modeste, donc le FMI s’attend à peu de changement.

La BRI souligne aussi depuis longtemps les risques associés à une croissance rapide du crédit en Chine. Soyons honnêtes : la BRI a un mandat qui se focalise sur la stabilité financière et il n’y a pas de doute que le rythme très rapide de croissance du crédit en Chine introduit un nouveau déséquilibre aux nombreuses fragilités financières domestiques déjà existantes. Mais, à ma connaissance, la BRI n’a pas signalé que dans une économie à forte épargne une baisse de la croissance du crédit sans la mise en place de réformes en vue de réduire le taux d’épargne risque d’entraîner une hausse des exportations d’épargne et de marquer ainsi le retour à de larges excédents de comptes courants.

De 2005 à 2007, la Chine a contenu la croissance du crédit via plusieurs politiques : de fortes exigences en réserves et un resserrement des contraintes de prêt sur le système bancaire officiel, ainsi qu’une faible tolérance face à la finance parallèle. Quel a été le résultat ? Moins de risques domestiques, certes, mais aussi (…) des excédents de compte courant représentant 10 % du PIB. Ces excédents et les déficits courants qui sont venus les compenser dans des pays comme les Etats-Unis et l’Espagne n’étaient pas sains pour l’économie mondiale.

Ne vous trompez pas sur mes propos. Il serait plus sain pour la Chine si celle-ci n’avait pas besoin de s’appuyer autant sur une croissance rapide du crédit pour soutenir l’investissement et la demande. Les banques chinoises ont déjà beaucoup de mauvais prêts et plusieurs d’entre elles ont certainement besoin d’une bonne injection de capitaux. S’il y a plus de prêts, il y a aussi plus de mauvais prêts. Les risques sont réels ici. Mais il serait beaucoup mieux si l’agenda de politique économique mettait un peu plus l’accent sur les risques associés à une épargne chinoise élevée ; comme dans le cas chinois, une forte épargne domestique est à l’origine de nombreux excès domestiques. Je ne suis pas convaincu que le taux d’épargne national va se réduire tout seul, sans intervention de la part des autorités. »

Brad Setser, « China: Too much investment, but also way too much savings », in Follow The Money (blog), 17 octobre 2016. Traduit par Martin Anota