« En août 2010, un article de Slate notait qu’il y avait "deux gangs d’économistes qui se battent sur les causes du chômage de masse" aux Etats-Unis. Paul Krugman, le meneur des "cycs" disait que la cause était conjoncturelle : il s’agissait d’une insuffisance de la demande globale. Les "strucs" expliquaient la hausse du chômage par un ensemble de facteurs structurels et ils prédisaient que le chômage ne déclinerait pas, à moins que l’on s’attaque à ces facteurs structurels. Six ans après, quel camp a gagné la bataille ?

Les preuves empiriques montrent que les "cycs" avaient largement raison. Le chômage aux Etats-Unis a chuté assez bien en phase avec la reprise de la production. Les Etats américains où la croissance a été plus forte que la moyenne nationale ont connu les plus fortes chutes du chômage. Et l’observation des performances des autres pays montre que les pays qui ont connu une croissance plus rapide que la moyenne mondiale (un groupe qui inclut les Etats-Unis et le Royaume-Uni) ont connu les plus fortes baisses du chômage.

Paul Krugman écrivait en 2011 que le chômage était élevé "parce que la croissance économique est faible ; c’est tout, point final, fin de l’histoire". Les "strucs" avaient une longue liste de solutions : "des changements en matière d’éducation, d’immigration, de réglementation du travail, des investissements directs à l’étranger (IDE), d’assurance-chômage et de droit des brevets", selon un article de Diana Furchtgott-Roth du Manhattan Institute.

Les données empiriques indiquent que la croissance est le coupable parmi la liste de suspects. Le graphique 1 montre la relation entre les composantes cycliques du chômage et le PIB réel en utilisant les données annuelles relatives aux Etats-Unis. Il y a une relation très robuste avec un R2 de 0,8 et un coefficient de pente de -0,45. Les dernières années, indiquées en rouge sur le graphique, ne s’en démarquent pas.

Par respect aux idées de James Hamilton, ces composantes cycliques ont été constituées en utilisant, non pas le filtre Hodrick-Prescott, mais celui qu’il recommande. En pratique, utiliser le filtre Hodrick-Prescott donne des résultats similaires : un R2 de 0,78 et un coefficient de pente de -0,54. La relation entre la variation du taux de chômage et le taux de croissance du PIB réel, qui ne dépend pas d’un quelconque filtrage explicite, est également très robuste. Avec des données trimestrielles, la relation entre le chômage et la production apparaît plus brouillée, mais elle reste très robuste.

GRAPHIQUE 1 Les composantes conjoncturelles du chômage et de la production aux Etats-Unis

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Creusons un peu plus


La Grande Récession n’a pas affecté tous les Etats américains de la même façon et le rythme de la reprise subséquente a également varié d’un Etat à un autre. A diverses reprises, plusieurs politiciens (tels que l’ancien gouverneur du Texas Rick Perry) ont vanté les politiques du marché du travail spécifiques qu’ils ont mis en œuvre pour expliquer la meilleure performance de l’Etat. Cependant, un aperçu infranational aux Etats-Unis amène à douter de telles affirmations et suggère plutôt que les "cycs" ont raison.

GRAPHIQUE 2 Les taux de chômage effectif et prévu dans les Etats américains

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C’est ce qu’illustre le graphique 2. L’axe vertical montre le déclin du chômage entre 2010 et 2015 dans chacun des 51 Etats américains (…). L’axe horizontal montre le déclin du chômage que l’on pouvait prévoir en se basant sur la croissance du produit domestique de l’Etat et la relation historique entre le chômage et la production que l'on a pu observer dans cet Etat. Les données empiriques montrent clairement que le chômage a plus chuté dans les Etats où il y a eu une plus forte reprise de la production.

Les Etats-Unis versus le reste du monde


Le graphique 3 montre les résultats d’un exercice similaire utilisant les données de plusieurs économies avancées. Cette fois l’axe vertical montre la variation du chômage dans chaque économie entre 2010 et 2015. L’axe horizontal montre ce que l’on aurait pu prévoir sur la base de la croissance du PIB réel du pays au cours de cette période et la relation historique entre le chômage et la production dans chaque pays. Une fois encore, il y a une relation très robuste entre les deux. Dans les pays tels que les Etats-Unis et le Royaume-Uni (indiqués en rouge sur le graphique) où la croissance du PIB réel a été plus forte qu’ailleurs, le déclin du taux de chômage a été le plus fort.

GRAPHIQUE 3 Les taux de chômage effectifs et prévus dans les pays développés

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Une victoire, mais la guerre n’est pas finie


Les données empiriques infra-nationales, nationales et internationales suggèrent toutes une claire victoire pour ceux qui ont une explication conjoncturelle au chômage de masse aux Etats-Unis et dans les autres pays avancés. Par extension, les données empiriques justifient la mise en œuvre d’une relance de la demande globale via les politiques monétaire et budgétaire que recommandaient les "cycs". Il est peu probable que les écarts de croissance entre les Etats américains et entre les pays développés que l’on a pu observer au cours de cette période reflètent des effets différenciés de politiques structurelles. En fait, ils sont davantage susceptibles de refléter des différences dans le calendrier des actions des banques centrales (la Fed ayant assoupli plus rapidement et plus amplement sa politique monétaire que la BCE, par exemple) et des différences en matière d’orientation de la politique budgétaire.

Bien sûr, des problèmes demeurent sur le marché du travail, même dans des pays comme les Etats-Unis où les conditions se sont significativement améliorées au cours des dernières années. Comme le nota récemment Kocherlakota (qui appartenait initialement au camp des "strucs" avant de rejoindre celui des "cycs"), le taux d’activité aux Etats-Unis a décliné ; les raisons expliquant ce déclin et sa durée dans le temps restent sujettes à débat. Kocherlakota affirme que la conjoncture reste toujours morose et suffisamment incertaines pour que "l’accroissement des taux directeurs ou l’annonce d’une hausse en décembre constituent une erreur".

D’autres disent que l’économie américaine est désormais au plein emploi et que de nouvelles améliorations des conditions sur le marché du travail ne sont possibles qu’avec des politiques structurelles et non avec une relance monétaire ou budgétaire. Donc la guerre entre les "cycs" et les "strucs" va se poursuivre ; mais dans un champ où les résultats ne sont jamais très clairs, il est bon de pouvoir s’arrêter un instant et déclarer que les "cycs" ont gagné la bataille de 2010-2016. »

Zidong An et Prakash Loungani, « Battling unemployment: A clear win for the ‘cycs' », in Econbrowser (blog), 3 novembre 2016. Traduit par Martin Anota