« Nous nous trouvons d’un coup en territoire inconnu, sur plusieurs plans. Les Etats-Unis n’ont jamais eu auparavant un président sans aucune expérience politique ou militaire. Et Donald Trump est tout particulièrement imprévisible : il s’est souvent contredit dans ses discours. Donc il est difficile de savoir ce qu’il va faire.

Mais je pense qu’il y a un précédent, assez récent, pour imaginer ce à quoi ressemblera la présidence Trump : la présidence de George W. Bush. Il est vrai que la famille Bush n’a clairement pas soutenu la campagne de Trump. Mais nous pouvons tout de même déjà percevoir plusieurs points communs.

  • Le candidat a remporté la présidence, tout en perdant le vote populaire.

  • Néanmoins, le nouveau président croit qu’il a un mandat pour impulser un changement en profondeur.

  • La direction du changement et les résultats qu’il produira ne vont pas nécessairement être ceux que les personnes qui "votèrent pour le changement" vont apprécier.

  • Les observateurs supposent que Trump va s’opposer à la politique monétaire accommodante de la Fed, parce qu’il s’y est attaqué durant la campagne ; mais je pense que lorsqu’il sera au pouvoir il se montrera en faveur d’un assouplissement monétaire et devrait s’opposer à une hausse des taux d’intérêt.

  • Parmi ses propositions en matière de politique économique, celles qui sont les plus susceptibles d’être mises en œuvre sont les fortes baisses d’impôts pour les riches et l’accroissement des dépenses pour l’armée et certains autres postes. Le résultat sera probablement le même que celui obtenu par Bush lorsqu’il mit en œuvre des politiques budgétaires similaires : une hausse des inégalités de revenu et de larges déficits budgétaires.

  • Les inégalités de revenu pourraient revenir à la trajectoire croissante qu’elles suivent depuis les années soixante-dix, après avoir eu tendance à décliner, temporairement, vers la fin de l’administration Obama (selon des mesures comme le revenu médian des ménages, les salaires réels et le taux de pauvreté). Nous avons observé la même chose lors de la transition entre l’administration Clinton et l’administration Bush.

  • Le nouveau président ne sera pas capable d’assurer une croissance du PIB de 4 %.

  • Il est peu probable qu’il soit capable d’accroître le rôle des exportations dans l’économie.

  • Il ne sera certainement pas capable de réaliser sa promesse de ramener les emplois que l’industrie a perdus depuis les années cinquante.

  • Le plus inquiétant parmi tout cela, ce sont les possibles désastres en matière de politique étrangère. Nous devons craindre de mauvaises décisions menant à de véritables tragédies (analogues aux erreurs de Bush par rapport à l’attaque terroriste du 11 septembre, à son échec dans la capture de Ben Laden et à l’invasion de l’Irak). Il est probable que les Etats-Unis perdent de leur domination au niveau mondial et qu’ils perdent notamment en "soft power", dans le sens où les étrangers risquent de moins considérer les Etats-Unis comme un meneur de l’ordre international ou comme un modèle à partir duquel ils peuvent s’inspirer pour façonner leur propre pays. Finalement, les errements de Trump sur la scène internationale vont probablement profiter à certains adversaires traditionnels comme la Russie, la Syrie et la Corée du Nord.

Si je devais parier, je dirais qu’il est peu probable que les propositions les plus extrêmes que Trump ait pu faire durant sa campagne soient mises en œuvre. Par exemple, il ne construira certainement pas un grand mur le long de la frontière avec Mexique et, s’il le faisait tout de même, ce n’est pas le Mexique qui le financerait. Il n’y aura pas de refus d’immigrés musulmans, car celui-ci irait à l’encontre des principes fondamentaux américains. Nous n’assisterons pas à l’expulsion de onze millions d’immigrants clandestins. Mais Trump va certainement mettre fin au programme Deferred Action for Childhood Arrivals d’Obama, qui garantissait des permis de travail temporaire à de nombreuses personnes qui croyaient au rêve américain. Je pense qu’il ne va pas chercher à ébranler l’ALENA, ni accroître les tarifs douaniers, tout du moins pas autant qu’il a pu le suggérer durant la campagne ; j'espère vraiment ne pas me tromper. De même, je ne pense pas qu’il ébranlera l’OTAN, ni d’autres alliances, comme il a pu parfois le suggérer lors de sa campagne. Même pour la Convention de Genève. Même Trump devrait prendre conscience à quel point cela aurait de dramatiques conséquences, notamment pour l’ordre mondial.

Mais il est probable que Trump et le Congrès républicain vont, comme il l’a promis, prendre quelques mesures pour remettre en cause les plus grandes avancées de la première partie de l’administration Obama. Tout d’abord, ils vont revenir sur l’Obamacare (en allant bien plus loin que ce que les républicains avaient fait dès le début pour ébranler ce dispositif). Il sera intéressant de voir la réaction politique des gens lorsqu’ils commenceront à perdre leur assurance santé. Ensuite, l’administration va revenir sur la réglementation financière Dodd-Frank, qui avait été mise en place après la crise financière de 2007-2009. Les républicains vont donner plus de liberté aux banques et aux autres institutions financières. Ils vont aussi revenir sur la politique de la concurrence et la réglementation environnementale, en particulier en ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre. Et, bien sûr, ils vont chercher à nommer des juges conservateurs à la Cour suprême. Logiquement, les démocrates peuvent essayer de bloquer de telles nominations de la même manière que les républicains au Congrès ont pu refuser de tenir des audiences sur le candidat proposé par Barack Obama pour la Cour suprême (et bloquèrent par ailleurs presque tout ce qu’Obama a essayé de faire). Mais ils ne vont probablement pas le faire.

Nous sommes sur le point de voir ce à quoi ressemble la vie lorsque les républicains règnent sur toutes les sphères du pouvoir politique. Il sera intéressant de voir si les travailleurs américains vont leur faire porter la responsabilité des revers. »

Jeffrey Frankel, « What will the Trump presidency look like? », in Econbrowser (blog), 14 novembre 2016. Traduit par Martin Anota



aller plus loin… lire « La croissance américaine est la plus forte sous présidence démocrate »