« Greg Mankiw, un professeur de Harvard qui a rédigé plusieurs manuels d’économie et qui publie régulièrement des chroniques dans le New York Times a récemment écrit dans sa dernière chronique que l’équipe d’économistes entourant Donald Trump a tort de se préoccuper du déficit commerciale. "La plus importante leçon à propos des déficits commerciaux est qu’ils ont une contrepartie. Lorsque les Etats-Unis achètent des biens et services étrangers, la monnaie que les Américains dépensent à l’étranger revient généralement aux Etats-Unis d’une manière ou d’une autre. Une possibilité est que les étrangers l’utilisent pour acheter des choses que nous produisons et que nous nous retrouvions avec un commerce équilibré. L’autre possibilité, qui est précisément celle que nous observons lorsque nous avons des déficits commerciaux, est que les étrangers dépensent cette monnaie pour acheter des actifs aux Etats-Unis, par exemple des actions, des obligations et des investissements directs dans les usines, les équipements et le marché de l’immobilier. (…) En réalité, les déficits commerciaux ne sont pas une menace sur une croissance robuste et le plein emploi. Les Etats-Unis avaient un large déficit commercial en 2009, lorsque le taux de chômage était de 10 %, mais ils avaient un déficit commercial encore plus ample en 2006, lorsque le taux de chômage était de 4,4 %. (…) Plutôt que de refléter un échec de la politique économique américaine, le déficit commercial est peut-être le signe de sa réussite. La vitalité et la sécurité relatives de l’économie américaine expliquent pourquoi tant d’investisseurs autour du monde veulent y placer leurs actifs."

Il y a toutefois trois points à nuancer ici. Premièrement, les achats d’actifs financiers, comme les actions et obligations, ne se traduisent pas nécessairement par une expansion plus rapide de la production et de l’emploi. Mankiw l’a peut-être oublié, mais nous avons connu un énorme taux de chômage suite à l’effondrement de la bulle immobilière en 2008. La Fed a acheté énormément d’actifs financiers au cours de cette période, ce qui a peut-être eu un certain effet sur la production et l’emploi, mais n’a toutefois pas permis de ramener rapidement l’économie américaine au plein emploi. (Les actifs se fichent que ce soit la Fed ou des étrangers qui les achètent, cela a le même effet sur la production et l’emploi.)

Deuxièmement, ce n’est pas en raison de "la vitalité et de la sécurité" de l’économie américaine que de nombreux actifs américains ont été achetés par le reste du monde. Suite à la crise asiatique de 1997, les banques centrales de plusieurs pays en développement ont cherché à accumuler de massifs montants de réserves pour avoir des munitions si elles se retrouvaient à nouveau confrontées à une situation similaire. (En d’autres termes, elles n’ont pas voulu avoir à demander de nouveau un renflouement de la part d’un FMI dirigé par les Etats-Unis.) Cela passait par de larges montants de dollars. Cela a poussé à la baisse la valeur de leurs devises, ce qui permit à ces pays de générer de larges excédents commerciaux. C’est l’inverse de ce que disent les manuels, où l’on décrit les flux de capitaux comme allant des pays riches (où ils sont abondants) vers les pays pauvres (où ils sont rares). Dans les années qui ont suivi l’année 1997, les pays pauvres ont été des exportateurs massifs de capitaux vers les pays développés.

Le troisième point est que ce déficit commercial a contribué à générer une insuffisance de la demande globale, précisément comme l’équipe d’économistes de Trump a pu le dire. A la fin des années quatre-vingt-dix, nous avions comblé cette insuffisance de la demande en générant une bulle boursière. Lorsque cette dernière éclata en 2000-2001, la récession qui s’ensuivit nous donna la plus longue période sans croissance de l’emploi que nous avions pu voir depuis la Grande Dépression. Nous avons ensuite comblé l’insuffisance de la demande globale avec une bulle immobilière qui nous a effectivement ramené le taux de chômage en 2006 à 4,4 % comme le rappelle Mankiw. Mais lorsque cette bulle éclata, nous nous sommes retrouvés avec la plus longue et sévère sécheresse d’emplois, puisque nous nous sommes retrouvés privés de toute source facile de demande pour combler le manque créé par le déficit commercial.

En fait, c’est le point clé de la littérature sur la stagnation séculaire développée par des économistes comme Paul Krugman, Larry Summers et Olivier Blanchard. Il n’y a pas de mécanisme facile pour combler les amples déficiences de demande globale. Lorsque l’inflation est très faible, il est difficile de pousser les taux d’intérêt à un niveau suffisamment faible pour générer beaucoup de demande additionnelle. Ces économistes préconisent tous un surcroît de dépenses publiques et d’amples déficits budgétaires dans ce contexte pour stimuler la demande globale, mais une réduction du déficit commercial aurait le même effet. Si vous générer un surcroît de demande équivalent à 100 milliards de dollars via la hausse des dépenses publiques ou via le remplacement de 100 milliards d’importations par un surcroît d’achats de produits domestiques, cela a même effet sur le production. Dans un contexte où il y a de nombreux obstacles politiques à un creusement des déficits budgétaires (pensez à Peter Peterson, à Paul Ryan et au Washington Post), une réduction du déficit commercial pourrait constituer le chemin le plus assuré vers le plein emploi.

Bref, il faut avouer que l’équipe de Trump a plutôt raison dans cette histoire. Cela m’amène à me demander ce qu’il peut bien y avoir dans le manuel de Mankiw. »

Dean Baker, « Trade, Trump, and the economy: What does Greg Mankiw's textbook say? », in Beat The Press (blog), 4 décembre 2016. Traduit par Martin Anota