« (…) François Hollande ne va pas se présenter aux élections présidentielles de mai 2017. C’est plutôt une grande nouvelle, même si elle est très logique au vu de sa cote de popularité. Mais qu’est-ce qui a mal tourné lors des années de présidence de Hollande ?

Eh bien, je crois que la réponse se trouvait déjà dans un billet que j’avais publié en 2014, intitulé "Jean-Baptiste Hollande". J’y écrivais que l’adoption de mesures d’offre (couplées à l’austérité budgétaire) pour stimuler la croissance économique était condamnée à l’échec et que les entreprises elles-mêmes démontraient, enquête après enquête, que les obstacles auxquels elles faisaient face étaient liés à une insuffisance de la demande globale et non à des "rigidités" de l’économie française, ni au fardeau fiscal. Je n’étais pas le seul, bien sûr, à considérer qu’il s’agissait d’une énorme erreur. Beaucoup l’ont également souligné. Il est vain de stimuler l’offre lors d’une récession qui a été provoquée par une insuffisance de la demande. C’est simplement comme ça. Je concluais ainsi mon billet :

"Est-ce que cela signifie que tout se passe bien en France ? Bien sûr que non. Le fardeau qui pèse sur les entreprises françaises et, en particulier, le coin fiscal constituent un problème pour leur compétitivité. Trouver des façons de le réduire est en principe une bonne chose. Le problème est qu’il faut séquencer adroitement les réformes et identifier les priorités. Les entreprises françaises semblent d’accord avec moi à l’idée que la première priorité aujourd’hui est de restaurer la demande globale et qu’en faisant ainsi, cette dernière « va créer sa propre offre ». Sinon, des entreprises françaises plus compétitives dans un contexte de stagnation de la demande agrégée vont seulement être capables d’exporter. C’est adopter le modèle allemand, mais dix ans après. J’ai déjà dit à plusieurs reprises que le séquençage des réformes est presque aussi important que le type de réformes mises en œuvre. Je suis sûr que Hollande peut faire mieux que cela…"

Cela s’est révélé exact. (…) Hollande a mis en œuvre ce qu’il promit et donna aux entreprises environ 20 milliards d’euros (soit 1 % du PIB) en réductions d’impôts. Ces dernières ont été compensées, voire même plus que compensées, par une hausse du fardeau fiscal des ménages (d’un montant de 35 milliards d’euros). Et comme cette hausse d’impôts (…) n’a pas été accompagnée par une hausse des dépenses publiques, cela s’est logiquement traduit par une baisse du déficit (trop lente selon la Commission, cela va sans dire !). Mais, comme mes collègues de l’OFCE l’ont montré, cela s’est aussi traduit par une chute de la demande globale et de la croissance économique. Une forte chute. Ils estiment que l’impact négatif des finances sur la croissance économique s’élève à environ 1 point du PIB chaque année depuis 2012.

Est-ce réellement surprenant ? Les mesures d’offre accompagnées d’une compression de la demande globale, alors même que cette dernière est déjà insuffisante, se sont traduites par une faible croissance et une stagnation de l’emploi (…). Et par un très faible taux d’approbation pour Jean-Baptiste hollande.

L’OFCE a récemment publié un rapport sur l’investissement public dans lequel elle rejoint ceux qui plaident pour un accroissement de l’investissement public en Europe et en particulier en France. Parmi d’autres choses, nous estimons qu’une hausse de l’investissement public équivalente à 1 % du PIB aurait un impact positif sur la croissance française et créerait autour de 200.000 emplois (cf. page 72). Si cela avait été fait en 2014 (ou plus tôt) au lieu de dilapider les ressources rares disponibles en réductions d’impôts, les choses auraient été très différentes aujourd’hui et Hollande aurait peut-être annoncé sa candidature pour un second mandat.

Bref, nous n’avons pas besoin de regarder trop loin pour comprendre ce qui a mal tourné.

Deux remarques supplémentaires. Premièrement, nous avons maintenant plusieurs preuves empiriques allant dans le même sens de ce que nous pouvions nous attendre en 2009 en nous appuyant sur notre seul bon sens. La croissance potentielle n’est pas insensible à la conjoncture. L’échec, aussi bien passé que présent, à s’attaquer agressivement à l’insuffisance de la demande globale qui pèse sur l’économie française (et européenne) déprime sa capacité à croître à long terme. La mauvaise gestion de la crise nous condamne à un état semi-permanent de faible croissance économique, ce qui va alimenter l’essor des démagogues de toutes sortes. Les élites européennes ne semblent pas avoir pleinement saisi le danger.

Deuxièmement, la France n’est pas le seul grand pays de la zone euro à avoir mis en place des mesures d’offre pour tenter de sortir l’économie d’une récession provoquée par la demande globale. L’échec du Jobs Act en Italie pour réamorcer la croissance de l’emploi et l’investissement découle du même mauvais diagnostic qui a entraîné l’échec de Hollande. Hollande va partir. Es-ce que ceux qui restent, et ceux qui vont suivre, vont réorienter la trajectoire de la politique économique dans la bonne direction ? »

Francesco Saraceno, « What went wrong with Jean-Baptiste », in Sparse Thoughts of a Gloomy European Economist (blog), 2 décembre 2016. Traduit par Martin Anota



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