« A la fin de son deuxième mandat, Barack Obama mérite que l’on énumère certains de ses principaux accomplissements. Pour ce faire, nous devons commencer par rappeler le contexte dans lequel il entra en fonction, le 20 janvier 2009 : le pilote entra dans le cockpit précisément à l’instant où l’avion était pris dans un plongeon incontrôlé.

Il a fait face aux circonstances les plus difficiles qu’un nouveau président ait pu connaître depuis bien des décennies. Il hérita de deux guerres étrangères mal préparées, mal exécutées et inextricables, qui n’avaient rien fait pour amener face à la justice le principal organisateur de l’attentat du 11 septembre. Il hérita d’une économie qui était en chute libre, avec l’effondrement des marchés financiers, la chute du PIB ou l’hémorragie de l’emploi. (Le taux de pertes d’emplois s’élevait à 800.000 emplois par mois.). Certes, Franklin Roosevelt hérita de la Grande Dépression et Abraham Lincoln entra en fonction précisément lorsque la Guerre Civile éclata. Mais quel autre président a pris ses fonctions au même instant qu’une crise économique et qu’une crise de sécurité nationale ?

La réponse rapide de la politique économique à la crise économique inclut (en plus de l’assouplissement monétaire agressif et innovant fourni par la Réserve fédérale) le plan de relance budgétaire d’Obama (le fameux American Recovery and Reinvestment Act, qui fut validé par le Congrès démocrate en février 2009), ainsi que les programmes de sauvetage pour le système financier et l’industrie automobile. Les Républicains se sont opposés presque unanimement contre la relance. Et presque tout le monde s’est montré critique vis-à-vis des programmes de sauvetage (en appelant soit à la nationalisation des banques et des constructeurs automobile d’un côté ou en appelant au contraire à les laisser disparaître du marché de l’autre). Nous n’avons pas reconnu et continuons de ne pas reconnaître que l’administration Obama a réussi, contre toute attente, à faire que la voie du milieu fonctionne : les emplois étaient sauvés, tandis que les actionnaires et les dirigeants subissaient les conséquences de leurs erreurs et le gouvernement récupéra son urgent après la reprise.

Surtout, la chute libre s’arrêta rapidement. Le calendrier et la clarté du revirement est bien plus visible qu’on ne le penserait en écoutant les débats sur ce qui constituait le bon élément contrefactuel pour évaluer l’effet des politiques de l’administration. La production économique au dernier trimestre de l’année 2008 avait subi une chute au rythme annualisé de 8,2 % et 600.000 emploies étaient détruits chaque mois. La perte en termes de production et d’emplois fut contenue presque immédiatement après la mise en route du programme de relance du mois de février. La récession attint son creux en juin 2009 ; la croissance de la production redevint positive au cours du trimestre suivant. La création d’emplois redevint positive au début de l’année 2010 et la croissance de l’emploi n’a cessé de battre des records jusqu’à la fin de la présidence d’Obama, créant au final plus de 15 millions d’emplois nets.

Au cours de la dernière moitié du second mandat d’Obama, le chômage a chuté de moitié et finit par passer sous les 5 %, les salaires ont repris leur hausse (au rythme de 2,9 % en termes nominaux sur les douze mois précédant le mois de décembre 2016) et le revenu des ménages médian réel a lui-même fini par augmenter à nouveau (au rythme record de 5,2 % pour la dernière année dont les données sont disponibles, avec les ménages les plus pauvres connaissant des hausses encore plus rapides de leur revenu).

Il est certainement vrai que la reprise a été regrettablement longue et lente. Les raisons incluent la profondeur et la nature financière de la crise de 2007-2008 et le retrait précipité de la relance budgétaire lorsque les Républicains reprirent le Congrès lors des élections de 2010 et bloquèrent toute nouvelle mesure d’Obama. Les années 2011 à 2014 marquèrent la période où l’économie pouvait réellement utiliser les dépenses en infrastructures et les (bonnes) réductions d’impôts, mais il semble que les Républicains ne soutiennent les relances budgétaires que lorsque l’un des leurs est à la Maison Blanche, et ce même lorsque l’économie n’est plus en récession.

Les deux autres plus grands accomplissements au cours de ces deux premières années, avant que le Congrès ne commence à bloquer tout ce qu’il essaya de faire, sont la réforme financière Dodd-Frank et l’Affordable Care Act (le fameux "Obamacare"). Ils auraient tous deux été plus ambitieux sans les divers coups de l’opposition visant à les affaiblir, que ce soit lorsqu’il s’agissait de les faire adopter ou après. Mais chacune de ces deux réformes majeures réussirent néanmoins à pousser plus sûrement le pays dans la bonne direction que ce que la plupart des gens pensent. La loi Dodd-Frank de bien des façons contribua à rendre moins probable une répétition de la crise financière 2007-2008. Entre autres, elle accrut la transparence pour les produits dérivés, releva les exigences en matière de capital pour les banques, imposa des réglementations supplémentaires sur les institutions "systématiquement importantes" et, suite à la suggestion de la sénatrice Elizabeth Warren, établit le Bureau de Protection des Consommateurs de Produits Financiers (CFPB). L’Obamacare a réussi à donner une assurance santé à plus de 20 millions d’Américains qui en étaient jusqu’alors privés (par exemple, en raison des conditions préexistantes) et la hausse du coût des soins, contrairement à ce que prétendaient la plupart des prédictions et commentaires, ralentit significativement.

Dans le domaine de la politique étrangère, il prit les décisions délicates qui conduisirent à l’élimination d’Ousama Ben Laden (un objectif que George W. Bush avait oublié dans son empressement à envahir l’Iraq). En 2015, à un moment où la presse le décrivait comme un canard boiteux, Obama obtint de nombreux succès sur le plan de la politique étrangère : un accord nucléaire des plus nécessaires avec l’Iran, une normalisation des relations avec Cuba, d’importantes avancées pour freiner le changement climatique mondial et l’accord sur le Partenariat Trans-Pacifique.

Inutile de le préciser, l’homme qui prend la relève ce mois-ci à la présidence a annoncé qu’il reviendrait sur la plupart de ces initiatives, voire même toutes. Dans certains cas, il le fera effectivement. Le Partenariat Trans-Pacifique est certainement mort, du moins pour l’heure. (Et avec quatre ans d’attente supplémentaires, il sera certainement trop tard pour le raviver, comme les pays est-asiatiques risquent certainement réagir au retrait des Etats-Unis dans la région en rejoignant l’accord commercial initié par la Chine.)

Dans d’autres cas, les contraintes du monde réel n’aident pas à matérialiser les phrases chocs qui ont enthousiasmé la foule. Abroger l’Obamacare est apparemment au sommet de la liste. Mais les Républicains ne pas être capables d’y arriver en raison de l’absence d’une alternative qui ne prive pas ces 20 millions d’Américains de l’assurance santé, ni qui accroisse le coût net. Certaines innovations importantes, telles que le passage à une numérisation des dossiers des patients et le plus grand accent placé sur les soins préventifs sont faits pour durer. Peut-être qu’il n’en résultera que des changements relativement mineurs qui ne remettront pas en cause la substance de l’Affordable Care Act (…).

De même, il est difficile de voir comment se montrer plus insistant avec la Chine pourrait être bénéfique. Pour prendre l’exemple le plus ridicule des positions mal avisées en matière de politique économique, si la Chine acceptait de satisfaire les demandes de Trump en arrêtant de manipuler son taux de change, le renminbi se déprécierait et sa compétitivité s’améliorerait. (…) »

Jeffrey Frankel, « Looking back on Barack? », in Econbrowser (blog), janvier 2017. Traduit par Martin Anota



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