« (…) La crise financière au Royaume-Uni a résulté des pertes que les banques ont réalisées sur leurs actifs étrangers, en raison de l’effondrement du marché du crédit subprime aux Etats-Unis. Elle n’a pas résulté d’un endettement excessif des ménages, des entreprises ou du gouvernement au Royaume-Uni. Comme Ben Broadbent, membre de la Banque d’Angleterre, a pu le dire, "en raison de l’exposition internationale de ses banques, le Royaume-Uni a été, d’une certaine façon, un 'importateur net' de la crise financière". Cette activité bancaire à l’étranger a provoqué une crise parce que les banques étaient bien trop endettées et qu’elles ne pouvaient ainsi absorber toutes ces pertes, si bien qu’elles durent être renflouées par le gouvernement.

C’est pourquoi les macroéconomistes britanniques ont échoué à déceler les signes avant-coureurs de la crise. Ils ont pourtant surveillé l’emprunt des ménages, des entreprises et des gouvernements, mais pas le levier d’endettement des banques. Les macroéconomistes reconnaissent généralement qu’ils ont commis une erreur en ignorant le rôle crucial que l’endettement du secteur financier peut jouer en influençant la macroéconomie. Il y a eu une forte hausse du volume d’études sur ces liens entre finance et économie réelle depuis la crise.

Mais supposons que les économistes aient pris conscience de ce que signifiait la hausse de l’endettement bancaire et qu’ils aient collectivement mis en garde contre les dangers d’une prise de risque excessive que cela représentait. Est-ce que cela aurait fait une quelconque différence ? Il y a de bonnes raisons de penser que non.

Ce qui s’est passé après la crise en constitue une bonne preuve empirique. Admati et Hellweg ont écrit de façon très convaincante que nous avions besoin de fortement relever les exigences en capital au sein des banques pour mettre un terme au problème des institutions "trop grosses pour faire faillite" (too big to fail) et éviter une future crise financière, et le travail de David Miles au Royaume-Uni délivre le même message. Je n’ai pas rencontré un seul économiste universitaire qui se soit sérieusement opposé à cette analyse, mais cette dernière n’a eu aucun impact sur la politique. Le pouvoir du lobby bancaire est simplement trop puissant.

Donc, la réponse des économistes à la crise financière a été ce qu’elle a devait être. Ils ont réparé l’erreur qu’ils ont commise en négligeant l’endettement bancaire. Les économistes ont fait plusieurs propositions afin d’éviter que la crise se répète. Et ces propositions ont été joliment ignorées.

En termes de politique monétaire (conventionnelle) et de politique budgétaire, les économistes universitaires avaient formulé la bonne réponse face à la crise, mais les responsables politiques ont agi autrement. Les banques centrales, remplies d’économistes, assouplirent au maximum leur politique monétaire. Elles alimentèrent ainsi la création monétaire et ignorèrent ceux qui prédirent que cela se traduirait immédiatement par une hyperinflation. Plusieurs économistes, certainement une majorité d’entre eux, étaient favorables à une relance budgétaire, du moins aussi longtemps que les taux d’intérêt butaient sur leur borne inférieure. Mais ils furent ignorés par les responsables politiques, qui optèrent en 2010 pour une généralisation de l’austérité.

Donc, compte tenu de tout cela, pourquoi certains continent-ils de s’en prendre aux économistes ? A gauche, il y a les économistes hétérodoxes qui ne veulent rien de moins qu’une révolution, le renversement de l’économie orthodoxe. (…) Ils veulent faire croire aux gens que la version expurgée de l’économie utilisée par les néolibéraux pour soutenir leur idéologie correspond en fait à l’économie orthodoxe.

D’un autre côté, la droite se retrouve dans une situation inconfortable lorsque l’économie fondée sur l’empirique entre en conflit avec leur politique. Sa réponse consiste à s’en prendre aux économistes. Ce n’est pas un phénomène nouveau (…). Avec l’austérité budgétaire, elle s’est contentée de ne mettre en avant que la minorité d’économistes qui la soutenait, puis elle a mis en œuvre une politique avec laquelle même certains économistes de cette minorité étaient en désaccord (par exemple, Kenneth Rogoff ne soutint pas les réductions de l’investissement public en 2010-2011 au Royaume-Uni qui occasionnèrent par la suite de profonds dommages à l’économie britannique). Les médias ont fait le reste du boulot en donnant peu la parole à la majorité des économistes, celle qui ne soutenait pas l’austérité.

Les coûts économiques du Brexit constituent le dernier exemple en date. Les critiques se sont focalisés sur les prédictions les plus incertaines et les moins importantes à propos du Brexit, faites par quelques uns, pour s’attaquer à l’ensemble de l’analyse du Brexit. Le fait que cette prédiction impliquait une prévision macroéconomique non conditionnelle, alors que l’évaluation faite par plusieurs groupes à propos du coût à long terme implique une projection conditionnelle basée essentiellement sur des équations du commerce, semble avoir complètement échappé aux critiques. Surtout, ces critiques ignorent complètement le fait que la dépréciation prédite de la livre sterling se soit produite et qu’elle contribue déjà à fortement réduire les niveaux de vie.

Attaquer les économistes sur le Brexit permet de discréditer ceux qui souligner les vérités qui dérangent. Continuer d’attaquer les économistes pour ne pas avoir prédit la crise financière, mais persister à ne pas reconnaître leurs succès a pour effet de détourner l’attention des gens du groupe qui a effectivement provoqué la crise et leur occulter le fait que très peu de choses ont été faites pour empêcher la survenue d’une crise similaire dans un futur plus ou moins proche. »

Simon Wren-Lewis, « Attacking economics is a diversionary tactic », in Mainly Macro (blog), 21 janvier 2017. Traduit par Martin Anota