« Peter Navarro, celui qui apparaît comme ce qui se rapproche le plus d’un gourou économique pour Donald Trump, a fait des vagues ces jours-ci en accusant l’Allemagne de manipuler sa devise et en suggérant que le Deutschemark fantôme et l’euro étaient tous deux sous-évalués. Laissons de côté l’aspect diplomatique d’une telle déclaration ; Navarro a-t-il raison ?

GRAPHIQUE Taux de change réel entre l’Allemagne et l’Espagne

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Eh bien, pour partie oui. Malheureusement, il a tort en ce qui concerne la relation entre l’euro et les Etats-Unis.

Oui, l’Allemagne a en effet une devise sous-évaluée relativement à ce que nous aurions eu sans l’euro. Le graphique ci-dessus montre les prix allemands (le déflateur du PIB) relativement aux prix espagnols depuis la création de l’euro. (Je prends le cas de l’Espagne pour représenter les pays périphériques du sud de la zone euro.) Il y a eu une large appréciation réelle durant les bonnes années de l’euro, lorsque l’Espagne connaissait de larges entrées de capitaux et un boom inflationniste. Cela n’a été qu’en partie inversé, malgré une incroyable dépression en Espagne. Pourquoi ? Parce que les salaires sont rigides à la baisse, mais aussi parce que l’Allemagne a refusé de soutenir le type de relance monétaire et budgétaire qui aurait stimulé l’inflation au niveau de l’ensemble de la zone euro, qui reste encore à un niveau trop faible.

Donc, le système européen a maintenu l’Allemagne sous-évaluée, de façon soutenue, vis-à-vis de ses voisins.

Mais est-ce que cela signifie pour autant que l’euro dans son ensemble est sous-évalué vis-à-vis du dollar ? Probablement pas. L’euro est faible parce que les investisseurs ne voient que de faibles opportunités d’investissement en Europe, en grande partie en raison d’une mauvaise démographie, et de meilleures opportunités aux Etats-Unis. Les travers même de l’euro peuvent contribuer à assombrir les perspectives relatives à la zone euro. Mais il n’y a pas de relation claire entre les problèmes qu’entraîne le comportement de l’Allemagne au sein de la zone euro et les questions autour de la relation entre l’euro et d’autres devises.

Mais ce que je me demande, c’est pourquoi une personne aussi proche du gouvernement américain a-t-elle pu dire cela ? Allons-nous faire pression sur la BCE pour qu’elle resserre sa politique monétaire ? Je n’espère pas. Allons-nous appeler à un éclatement de la zone euro ? Parce que cela y ressemble, or ce n’est pas quelque chose que le gouvernement américain devrait faire. Que dirions-nous si les autorités chinoises déclaraient se réjouir d’une crise financière aux Etats-Unis ? (…)

Donc, oui, Navarro n’a pas tort lorsqu’il parle du rôle que joue l’Allemagne au sein de la zone euro. Et s’il n’était pas lié à l’administration Bannon, il serait libre de le faire. Mais dans le contexte actuel, c’est tout à fait irresponsable. »

Paul Krugman, « Germany, the euro, and currency manipulation », in The Conscience of a Liberal (blog), 1er février 2017. Traduit par Martin Anota



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