« Avec la publication d’une nouvelle étude rappelant à quel point l’austérité budgétaire peut être nocive, vous pourriez vous dire que certains politiciens vont bien finir par comprendre qu'elle l'est. La faiblesse de l'actuelle reprise a largement validé l’économie keynésienne, celle-là même qui domine l’économie orthodoxe. Les manuels et la macroéconomie de pointe disent bien qu’une réduction des dépenses publiques ne peut être qu’une très mauvaise idée lorsque les taux d’intérêt sont contraints par leur borne inférieure. Et chaque analyse réalisée ex post montre que cela a bien été le cas ces dernières années. Il est assez ironique de voir qu’à l’instant même où plusieurs articles parlent d’une "crise de la science économique", une expérience naturelle menée à grande échelle par les responsables politiques valide une grande partie de cette dernière.

Il y a trois grandes économies qui ont adopté l’austérité dans le sillage de la Grande Récession : les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la zone euro. Est-ce que l’une d’entre elles est susceptible de bientôt reconnaître que cette généralisation de l'austérité a été une erreur ? Beaucoup croient qu’une telle prise de conscience a lieu actuellement aux Etats-Unis, mais ce serait confondre les actions et le raisonnement qu’elles sous-tendent. Si un plan de relance budgétaire était aujourd'hui adopté aux Etats-Unis, il ne le serait pas pour des motifs keynésiens. C’est notamment le cas parce que les taux d’intérêt augmentent et que la banque centrale n’a pas indiqué clairement qu’elle ne les relèvera pas à nouveau prochainement. Il y a toujours des arguments en faveur d’un large accroissement de l’investissement public financé par l’emprunt, mais il y a peu de chances qu'il soit mis en œuvre. Ce dont nous sommes sûrs, c’est qu’il y aura des réductions d’impôts, en particulier pour les riches, parce que c’est aujourd’hui le principal but de la politique économique républicaine. Parmi les Républicains, l’économie keynésienne reste l’œuvre du diable.

Le Royaume-Uni a aussi désespérément besoin d’investissements publics. En outre, le NHS appelle à une forte expansion budgétaire financée par l’impôt, qui contribuerait à éloigner les taux d’intérêt de leur borne inférieure. Mais les responsables politiques du Royaume-Uni n’ont qu’une chose en tête en ce moment : c’est le Brexit à n’importe quel prix. Nous le savons parce qu’ils ne s’intéressent à aucune autre option. Même si Dieu révélait (…) que le Brexit amputera 20 % de revenu au ménage moyen, la politique ne changerait pas de cap. Même si certains au gouvernement peuvent être tentés d’adopter un plan de relance pour dissimuler ces coûts, le Trésor garde d’une main de fer les cordons de la bourse. Jamais le gouvernement britannique n’a semblé si politiquement sûr et jamais il ne s’est jamais autant éloigné du bon sens économique.

Tous les problèmes de la zone euro ne découlent pas de la dénégation de la macroéconomie keynésienne. Comme Martin Sandbu l’affirme ici, ce qui s’est passé et continue de se passer en Grèce, c’est la vieille histoire du créancier refusant d’admettre qu’il a octroyé de mauvais prêts et pressant l'emprunteur de continuer de rembourser sans comprendre qu’il ne fait par là même qu’aggraver les choses. Mais, même ici, la méconnaissance des idées keynésiennes alimente cette ignorance. Un pays à qui l’on empêche de connaître une reprise suite à une récession aura bien plus de difficultés à trouver des ressources pour rembourser sa dette.

Cependant si vous observez très attentivement, vous pourrez voir certains signes suggérant que les choses sont en train de s’améliorer dans la zone euro. L’austérité budgétaire semble avoir cessé au niveau agrégé. Certains acteurs clés, même dans les institutions supranationales et les Etats-membres, commencent à comprendre que les politiques d’austérité ne peuvent qu’encourager le populisme. Mais il y a encore beaucoup de chemin à faire avant que soit mise en place la réforme la plus impérieuse, celle consistant à remplacer l’actuelle architecture budgétaire par quelque chose de plus keynésien, qui prenne en compte les erreurs passées.

S’il y a effectivement un changement, je doute que ce soit l’abandon du Pacte de Stabilité et du Pacte budgétaire, aussi désirable soit-il. Je pense que nous assisterons plutôt à un ajustement graduel du fouillis que constituent déjà toutes ces règles. L’ajustement n’a même pas à avoir des allures keynésiennes. Les politiques budgétaires et macroprudentielles nationales doivent se focaliser sur les écarts d’inflation entre chaque pays pris individuellement et la moyenne de la zone euro. Cela peut s’incarner dans une règle qui laisserait la possibilité à ce que la dette ou le déficit soient guidés par une cible lorsque l’inflation du pays se situe à la moyenne de l'union monétaire. Cette règle doit être symétrique vis-à-vis des écarts d’inflation, c’est-à-dire prescrire une expansion budgétaire aux pays-membres dont l’inflation est inférieure à la moyenne de la zone euro.

La complaisance des banques centrales indépendantes est également décevante. Nous avons eu la reprise la plus lente qui soit suite à une récession, avec des dommages durables sur l’offre à long terme, mais il est excusable de penser que nous sommes toujours dans la Grande Modération. Les banques centrales devraient chercher à comparer les vertus respectives des quatre principales façons d’éviter un autre épisode à la borne inférieure zéro : l’adoption d’une cible d’inflation plus élevée, les taux d’intérêt négatifs, le ciblage du PIB nominal ou la monnaie-hélicoptère. Elles doivent aussi cesser d’être si discrètes à propos de la politique budgétaire. Un tel silence rend un autre épisode à la borne inférieure zéro encore plus dangereux.

Certains se demandent pourquoi mes billets font ces derniers temps autant écho à la politique qu'à l’économie. Je suis d’accord, il y a eu un changement depuis 2015. Auparavant, j’aurais évoqué la parution d’une nouvelle étude sur les multiplicateurs budgétaires en la comparant avec la littérature existante et en examinant ses forces et ses faiblesses. Ces derniers jours sont quelque peu différents. J’espère qu’un jour ce savoir se révélera aux dirigeants, mais pour l’heure je crains que ces derniers cessent de financer ce savoir dont ils n’ont pas l’intention de se servir. Des fois, je me dis qu’écrire sur les détails relatifs aux estimations de multiplicateurs, c’est comme revoir la disposition des transats sur le Titanic. »

Simon Wren-Lewis, « The academic consensus on austerity solidifies, but policymakers go their own sweet way », in Mainly Macro (blog), 22 février 2017. Traduit par Martin Anota



aller plus loin... lire « Vers une théorie générale de l’austérité »