« La Réserve fédérale utilise la politique monétaire pour stimuler l’économie lorsque le chômage est élevé et pour contrôler les pressions inflationnistes lorsque l’économie est en surchauffe. Cependant, les preuves empiriques suggèrent que ces orientations de la politique monétaire ont des effets inégaux. Les chocs monétaires négatifs accroissent davantage le chômage que les chocs expansionnistes ne le réduisent.

La Fed a un double mandat : elle cherche à assurer la stabilité des prix et le maximum d’emploi soutenable. Elle agit en ce sens en contrôlant son principal taux directeur (le taux des fonds fédéraux), qui influence les taux d’intérêt de marché de court terme. Lorsque le chômage est élevé, la Fed assouplit sa politique (c’est-à-dire diminue son taux principal) pour stimuler l’activité économique et la production. Lorsque l’inflation s’accroît, la Fed resserre la politique monétaire (c’est-à-dire accroît son taux principal) pour freiner l’activité économique et contrer les pressions inflationnistes.

Mais est-ce que ces deux types de réponses de politique monétaire sont aussi efficaces l’une que l’autre ? Depuis la Grande Dépression, les économistes ont suggéré que la politique restrictive pouvait avoir un plus fort effet sur la production que la politique accommodante parce que la réponse de la Fed à l’effondrement boursier de 1929 n’empêcha pas la Grande Dépression. Milton Friedman et Anna Schwartz ont ensuite affirmé dans leur livre de 1963, A Monetary History of the United States, que cela s’expliquait par le fait que l’orientation de la politique monétaire de la Fed au début des années 1930 était en fait davantage restrictive qu’expansionniste, mais d’autres exemples ont renforcé l’idée que la politique monétaire expansionniste pouvait être moins efficace que la politique restrictive. Plus récemment, la Fed a été forcée de se tourner vers des politiques non conventionnelles durant la Grande Récession après avoir réduit son principal taux à zéro sans que cela ait semblé avoir un effet significatif sur le chômage.

Utilisons une métaphore pour mieux décrire l’asymétrie de la politique monétaire. Imaginons une corde avec la politique monétaire à un bout et l’économie à l’autre. Resserrer la politique monétaire lorsque l’inflation s’accroît, c’est comme tirer sur la corde pour maintenir l’économie sur la voie ; cela marche assez bien. Mais chercher à stimuler l’économie avec une politique accommodante durant une récession, c’est comme essayer de pousser la corde pour bouger l’économie ; bref, ce n’est pas très efficace. (…)

Pourquoi la politique monétaire serait-elle être asymétrique ?


Sur le plan théorique, il y a diverses raisons nous amenant à penser que la politique monétaire est susceptible d’avoir des effets asymétriques sur la production économique. La première concerne le comportement des prêteurs et des emprunteurs sous différentes conditions monétaires. Quand la Fed relève ses taux directeurs, les taux d’intérêt de marché tendent à s’accroître également. On peut s’attendre à ce que les banques répercutent simplement ces hausses de taux sur leurs emprunteurs. Même si elles peuvent effectivement le faire dans une certaine mesure, accroître les taux prêteurs peut accroître la probabilité que les emprunteurs risqués fassent défaut. Par conséquent, les banques peuvent choisir de rationner le crédit durant une période de hauts taux d’intérêt, réduisant le crédit pour certains consommateurs et entraînant un plus grand déclin de la production, ce qui amplifie l’impact de la politique monétaire restrictive. D’un autre côté, la politique expansionniste ne va pas accroître nécessairement l’emprunt et les dépenses si les conditions économiques ont réduit la demande. A la différence de la politique restrictive, ce n’est pas une contrainte forte sur les consommateurs. Comme le dit le vieil adage, vous pouvez amener un cheval à l’eau, mais vous ne pouvez pas le forcer à boire.

Une autre raison amenant à penser que la politique expansionniste pourrait être moins efficace que la politique restrictive est que les prix semblent moins susceptibles de s’ajuster à la baisse, c’est-à-dire qu’ils sont visqueux. Les entreprises peuvent aussi être réticentes à baisser les salaires, de peur de casser le moral des travailleurs. En raison de ces rigidités à la baisse des prix et salaires, les entreprises vont avoir tendance à réagir à la politique monétaire restrictive en réduisant la production plutôt que les prix. Les prix et les salaires sont moins visqueux à la hausse, cependant. Les entreprises sont habituées à accroître graduellement les prix et les salaires en raison de l’inflation, par exemple. Par conséquent, la politique monétaire expansionniste est davantage susceptible de conduire à un changement des prix plutôt que de la production.

Enfin, la politique monétaire peut avoir des effets asymétriques en fonction de la position dans le cycle d’affaires en raison des changements dans les perspectives des consommateurs. De même qu’avec l’argument de la contrainte de crédit, si les consommateurs sont pessimistes à propos des conditions économiques, alors une réduction des taux d’intérêt peut ne pas beaucoup stimuler l’emprunt et les dépenses. Cette explication n’est toutefois pas entièrement convaincante, puisque l’optimisme des consommateurs durant une période de boom peut également affaiblir l’effet d’une politique monétaire restrictive. Pour que les politiques restrictives aient un effet plus puissant que la politique expansionniste, les ménages et les entreprises devraient être plus pessimistes au cours des récessions qu’ils ne sont optimistes durant les booms. C’est certainement possible, mais peu probable. (…) »

Regis Barnichon, Christian Matthes et Tim Sablik, « Are the effects of monetary policy asymmetric? », Federal Reserve Bank of Richmond, Economic Brief, n° 17-03, mars 2017. Traduit par Martin Anota