« La focalisation sur le PIB plutôt que sur le PIB par tête biaise les comparaisons internationales. J’ai réalisé un petit sondage sur Twitter (recueillant environ 500 votes) demandant quel pays, parmi l’Allemagne, le Japon, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, a connu la croissance la plus rapide entre 2006 et 2015. Maintenant, ceux qui ont répondu à ce sondage s’y connaissent très certainement en économie, mais plus de la moitié choisir la mauvaise réponse (…). Voici un graphique construit à partir des données du FMI :

GRAPHIQUE PIB réel par tête (en indices, base 100 en 2006)

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Je pense que la principale raison expliquant pourquoi moins de 50 % ont choisi l’Allemagne est que nous sommes si habitués à utiliser les comparaisons de PIB et que le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont connu une immigration à grande échelle au cours de cette période. En utilisant le PIB, les Etats-Unis gagnent (avec une croissance de 12 %), suivis par l’Allemagne (10,5 %) et le Royaume-Uni (9,5 %), avec le Japon en fin du classement avec 3,5 %. Mais les chiffres des Etats-Unis et du Royaume-Uni sont largement gonflés par l’immigration.

Pourquoi l’Allemagne a-t-elle réalisé de si bonnes performances en termes de niveaux de vie moyens ? Nous devons parler de la demande et de l’offre. Comme les lecteurs de ce blog doivent le savoir, l’Allemagne a autant souffert de l’austérité que les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Mais comme ils doivent également le savoir, cette austérité a été compensée par le large avantage compétitif que l’Allemagne a acquis sur les autres pays-membres de la zone euro grâce à la faible croissance de ses salaires entre 2000 et 2006. Une forte croissance dans le commerce net a compensé l’austérité, entraînant une performance en termes de production par tête relativement forte (et, avec cela, un large excédent du compte courant).

Comme cette hausse de la demande a-t-elle pu s’accompagner d’une hausse de l’offre ? Pas via une croissance plus rapide de la productivité (mesurée en termes de production par personne employée), qui a été faible au cours de cette période. En fait, l’accroissement de l’offre est passé via une baisse surprenante du chômage. En 2006, le taux de chômage en Allemagne était de 10 %, tandis qu’il était en 2015 inférieur à 5 %. Cela s’explique l’adoption des réformes Hartz. Comme Tom Krebs et Martin Scheffel l’ont souligné, ces réformes ont aussi bien créé des perdants (en termes de risque, en particulier) que des gagnants en termes de revenu moyen par tête.

Tout cela montre bien que les chiffres du PIB peuvent constituer un mauvais guide pour évaluer la croissance des revenus moyens. Cela aussi permet aussi de mettre en perspective les affirmations des politiciens conservateurs, largement relayées par les médias, selon lesquelles le Royaume-Uni aurait mieux fait que n’importe quel autre pays. Au cours de cette période raisonnablement longue (vous pouvez toujours sélectionner des horizons courts), l’Allemagne a clairement réalisé de meilleures performances que n’importe quel autre pays parmi les plus importants, puisqu’elle a connu une croissance supérieure à 11 % par an entre 2006 et 2015. Vient ensuite un groupe de pays avec une croissance d’environ 4 %, incluant les Etats-Unis et le Japon, ainsi que la Suède et la Suisse. Puis, il y a un autre groupe de pays ayant une croissance d’environ 2 %, notamment le Royaume-Uni, l’Irlande et les Pays-Bas. Juste derrière eux viennent la France et la Belgique avec une croissance de 1 %.

Le Royaume-Uni n’est certainement pas en fin de classement, puisque plusieurs pays ont un PIB par tête en 2015 inférieur au niveau qu’il atteignait en 2006. Ces pays incluent l’Espagne, le Portugal, la Finlande et le Danemark, avec des performances réellement mauvaises de la part de l’Italie et de la Grèce. Mais même une croissance de 4 % pendant 9 ans n’a pas de quoi rendre fier. Parmi tous ces pays, seule l’Allemagne peut prétendre avoir effectivement connu une reprise suite à la récession. »

Simon Wren-Lewis, « International GDP per capita comparisons », in Mainly Macro (blog), 12 mars 2017. Traduit par Martin Anota