« Le 31 mars, le Président Donald Trump a commandé une étude sur les causes du déficit commercial des Etats-Unis qui va se focaliser sur les barrières commerciales et les pratiques commerciales déloyales des pays étrangers. Les économistes, cependant, s’accordent largement à l’idée que les barrières commerciales ne provoquent pas les déficits commerciaux. Un pays ne peut avoir un déficit commercial que s’il emprunte en net vis-à-vis du reste du monde. Les barrières commerciales ont seulement des effets mineurs sur les décisions d’emprunt et de prêt. Elles peuvent réduire les importations dans les secteurs affectés, mais elles poussent le taux de change à s’apprécier pour provoquer des changements compensateurs sur d’autres importations et exportations.

Les achats de titres américains par certains gouvernements étrangers (une forme de prêt que l’on peut qualifier de manipulation de devise) ont constitué le facteur le plus important derrière les déséquilibres commerciaux globaux qui ont précédé la Grande Récession ; les déficits budgétaires ont pu également jouer un rôle important dans certains pays. A présent, la manipulation de devise ne constitue plus qu’un facteur mineur et les déséquilibres sont faibles par rapport à leur pic. La menace d’une future manipulation de devise peut cependant introduire un "dollar put" implicite qui aura pour effet d’encourager le prêt privé excessif qui sous-tend le déficit commercial. Une expansion budgétaire américaine, à laquelle certains s’attendent, n’est pas appropriée à ce stade et creuserait le déficit commercial.

Il est important de souligner que le commerce n’est pas un jeu à somme nulle dans lequel les importations constituent des pertes et les exportations des gains. Les importations, tout comme les exportations, possèdent des avantages (…). Réduire le déficit commercial en réduisant le commerce global conduirait à jeter le bébé avec l’eau du bain. En outre, les déficits commerciaux temporaires modérés ne sont pas nécessairement une mauvaise chose, comme l’a expliqué Gary Hufbauer. Maintenant, le déficit commercial des Etats-Unis dépasse déjà un niveau soutenable et devrait continuer de se creuser dans les années à venir. Les actions visant à réduire le déficit sont bénéfiques si elles peuvent être entreprises sans générer de pernicieux effets secondaires. L’action du côté financier sera plus efficace et moins perturbateur que les actions du côté de la politique commercial, telles que les droits de douane et les quotas.

Plusieurs études ont identifié les facteurs fondamentaux derrière les déséquilibres commerciaux (Chinn et Prasad, 2003 ; Gruber et Kamin, 2008 ; Chinn, Eichengreen et Ito, 2011 ; Gagnon, 2012 ; FMI, 2012 ; Gagnon, 2013 ; Bayoumi, Gagnon et Saborowski, 2015 ; Gagnon et alii, 2017). Les facteurs les plus importants incluent la politique budgétaire, l’intervention sur le marché des changes, les taux de croissance économiques, les niveaux de revenu par tête et le vieillissement démographique. Les barrières sur les flux financiers interagissent fortement avec ces facteurs : quand les marchés financiers sont ouverts, ces facteurs ont généralement un effet plus important sur les déséquilibres commerciaux. Plusieurs études se sont focalisées sur les facteurs de long terme, mais les cycles d’affaires peuvent aussi constituer un important facteur temporaire. Aucune de ces études ne met en évidence un rôle pour les barrières commerciales.

GRAPHIQUE 1 Tarifs douaniers et soldes courants (entre 2000 et 2014)

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Les graphiques 1 et 2 montrent une très faible corrélation entre, d’une part, les droits douaniers moyens ou les barrières commerciales et, d’autre part, les soldes commerciaux. Lorsqu’une relation semble apparaître, elle suggère que de plus hauts droits douaniers sont associés à une réduction des soldes commerciaux (c’est-à-dire de plus larges déficits commerciaux). Inclure les tarifs douaniers dans l’analyse de régression tout en contrôlant les autres facteurs rapporte un effet proche de zéro. Les données pour les barrières commerciales globales ne sont pas disponibles pour un temps suffisamment long pour les inclure dans l’analyse de régression.

GRAPHIQUE 2 Barrières globales et soldes courants (entre 2000 et 2014)

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Ces résultats ne signifient pas que les tarifs douaniers et d’autres barrières commerciales n’aient pas d’effets. Imaginons que les Etats-Unis imposent des tarifs prohibitifs ou une interdiction sur les importations d’acier. Les importations totales de fer et d’acier s’élevaient à 34 milliards de dollars en 2016. Ces importations chuteraient à zéro. L’interdiction protègerait les sidérurgistes américains de la concurrence étrangère. Mais une légère appréciation du dollar (juste de 1 %) suffirait pour accroître le montant des importations dans les autres catégories et réduirait les exportations de toutes les catégories du même montant. Il n’y aurait pas d’effet sur le déficit commercial global. Il y aurait une réduction du commerce total (c’est-à-dire de l’ensemble des exportations et des importations), si bien que nous perdrions une grande partie des très larges bénéfices nets du commerce.

GRAPHIQUE 3 La politique budgétaire et les soldes courants (entre 2000 et 2014)

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Pourquoi est-ce que le dollar s’apprécierait ? La réponse est qu’un droit douanier sur l’acier, isolément, ne modifie pas le comportement d’épargne des ménage, ni le comportement d’investissement des entreprises (bien qu’il puisse y avoir une réallocation entre les secteurs, comme la production augmente dans le secteur de la sidérurgie, mais décline dans les autres). Les facteurs identifiés comme influençant les déséquilibres commerciaux dans les études que j’ai citées ci-dessus opèrent via l’épargne et l’investissement. Un déficit commercial est un excès de l’investissement sur l’épargne, tandis qu’un excédent commercial est un excès de l’épargne sur l’investissement. Les politiques publiques les plus importantes qui influencent les déséquilibres commerciaux sont les soldes budgétaires et l’intervention sur le marché des changes. Une hausse du solde budgétaire accroît directement l’épargne nationale. L’intervention sur le marché des changes consiste pour les autorités à emprunter dans l’économie domestique pour investir à l’étranger, avec un changement net nul dans l’épargne public ou l’investissement public. L’emprunt domestique accroît les taux d’intérêt, accroissant l’épargne privée et réduisant l’investissement privé dans l’économie domestique, avec les effets inverses dans le reste du monde. Les graphiques 3 et 4 montrent que ces politiques ont d’importants effets sur les soldes commerciaux. Notons qu’une hausse du solde commercial provoquée par n’importe laquelle de ces politiques opère aussi bien via un accroissement des exportations que via une réduction des importations, avec peu d’effets sur le commerce total et donc peu d’effets sur les bénéfices nets du commerce.

GRAPHIQUE 4 Politique de change et soldes courants (entre 2000 et 2014)

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(…) Fred Bergsten et moi avons constaté qu’au pic des déséquilibres mondiaux en 2007, l’essentiel de l’excédent commercial de la Chine pouvait s’expliquer par la manipulation de la devise chinoise. La même année, le déficit commercial américain s’expliquait pour 35 % par les interventions sur les marchés des changes et pour 25 % par le déficit budgétaire américain. Cela nous amène à penser qu’à l’avenir les politiques les plus efficaces pour garder le déficit commercial américain sur une trajectoire soutenable impliquent d’empêcher de nouvelles manipulations de devises parmi les partenaires à l’échange des Etats-Unis et de réduire graduellement le déficit budgétaire américain.

Joseph E. Gagnon, « We know what causes trade deficits », 7 avril 2017. Traduit par Martin Anota