« Il y a longtemps, j’ai avoué que j’aimais lire les Perspectives de l’économie mondiale du FMI du début à la fin. Bon, il est vrai que j’ai sauté quelques chapitres. Mais je prête une attention particulière aux tables de données du FMI (la base de données électronique des Perspectives de l’économie mondiale est aussi très bien faite, même si elle manque malheureusement de données relatives à la balance des paiements).

GRAPHIQUE 1 Solde du compte courant des pays excédentaires d’Asie et d’Europe (en milliards de dollars)

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Et les tables de données montrent que l’excédent de compte courant combiné de l’Europe et des pans manufacturés de l’Asie (un excédent qui reflète l’excédent d’épargne de l’Asie et la faiblesse relative de l’investissement de l’Europe) est resté assez élevé en 2016. L’excédent de la Chine a un peu baissé en 2016, mais cela n’a pas réellement réduit l’excédent total des principaux exportateurs asiatiques de biens manufacturiers.

GRAPHIQUE 2 Soldes de compte courant de la Chine, du Japon et des nouveaux pays industrialisés d'Asie (en milliards de dollars)

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L’essentiel de la chute de l’excédent chinois a été compensé par une hausse de l’excédent japonais. Les tableaux de données des Perspectives de l’économie mondiale suggèrent que les exportations nettes représentaient environ la moitié de la croissance de 1 % du Japon ; la croissance japonaise ne repose toujours pas sur une expansion de la demande interne. Et l’excédent combiné de la Corée du Sud, de Taïwan, de Singapour et de Hong Kong reste bien plus ample qu’avant la crise financière mondiale de 2008. Les nouveaux pays industrialisés d’Asie (la Corée du Sud, Taïwan, Hong Kong et Singapour) génèrent maintenant collectivement un excédent plus large que la Chine. Par conséquent, en termes de dollars (et aussi relativement au PIB des partenaires à l’échange asiatiques), l’excédent combiné de l’Asie « manufacturière » n’a pas beaucoup baissé au cours des dix dernières années.

La taille de l’excédent combiné de l’Europe et de l’Asie manufacturière signifie nécessairement que d’autres pans majeurs du monde connaissent de larges déficits dans les biens manufacturés. (…) Les gros exportateurs de pétrole et de gaz vont fondamentalement échanger du pétrole contre des biens étrangers (et des vacances) et des parties de l’Asie et de l’Europe vont également avoir à échanger des biens manufacturés contre de l’énergie. Mais les gros pays exportateurs de biens manufacturés d’Asie et d’Europe ne peuvent pas maintenir des excédents aussi massifs en l’absence d’un déficit commercial américain ; ce dernier est aujourd’hui aussi large qu’en 2005 et en 2006. Il y a tellement de manières par lesquelles la balance des paiements courants mondiale peut s’équilibrer.

Tandis que l’excédent de parties clés de l’économie mondiale n’a pas beaucoup changé, la nature des afflux financiers qui canalisent l’excédent de compte courant d’Europe et d’Asie (leurs excédents d’épargne) au reste du monde a certainement changé. Mis à part quelques pays (la Suisse et peut-être Singapour), les gouvernements ne canalisent pas directement les fonds à l’étranger via l’accumulation de réserves et d’actifs par leurs fonds souverains.

(…) La croissance des avoirs officiels a été corrélée avec la forte accumulation de leur excédent combiné avant la crise (pour aller plus loin, voir le document de travail de Joe Gagnon de 2013 et le livre qu’il devrait prochainement publier avec Fred Bergsten) et les pays qui ont historiquement contribué à l’essentiel de l’accumulation de réserves réduisent maintenant leur stock d’actifs.

De manière générale, au cours des dix dernières années, l’excédent d’Asie n’a pas beaucoup changé tandis que l’Europe a remplacé les exportateurs de pétrole comme deuxième grande source derrière les déséquilibres de paiements mondiaux. Et les sorties de capitaux privés plutôt sont devenues la principale contrepartie financière aux amples excédents de compte courant dans le monde à la place des sorties de capitaux officiels. Cela se révèle important pour la composition des afflux de capitaux vers les Etats-Unis : le monde achète moins de bons du Trésor et plus d’obligations d’entreprises américaines ; bien que l’Asie semble aussi avoir repris confiance envers Freddie et Fannie.

Les assureurs taïwanais, les fonds de pension coréens et les banques japonaises ont plus de tolérance vis-à-vis du risque que les traditionnels gestionnaires de réserves des banques centrales. C’est également vrai pour les assureurs allemands, les fonds de pension danois et les gestionnaires de réserves de Suisse, qui ont plus de liberté que la plupart de leurs contreparties pour acheter des actions et des obligations d’entreprises en plus des actifs de réserves traditionnels. De tels changements dans la composition des afflux vers les Etats-Unis peuvent contribuer à expliquer pourquoi le FMI constate que, relativement aux fondamentaux, les spreads des entreprises américains semblent un peu serrés.

Un dernier point : Le Trésor américain soupçonne que cette chute de la croissance des réserves est en grande partie une fonction de la force du dollar et il a exprimé ses inquiétudes à l’idée que cela puisse ne pas être durable dans son plus récent rapport sur les changes étrangers.

Je suis généralement d’accord : les banques centrales du monde sont historiquement bien plus intervenues quand le dollar était faible que lorsque le dollar était fort. Les pays qui connaissent les plus amples excédents doivent utiliser les bilans de leurs administrations publiques quand le marché ne veut pas financer le déficit externe américain. Mais je soupçonne aussi que les plus grands pays excédentaires au monde sont désormais un peu plus compétents que dans le passé pour dissimuler leurs interventions ; les fonds souverains peuvent garder leurs actifs étrangers hors des comptes de la banque centrale, les fonds de pension publics font souvent le gros du travail et, dans le cas de la Chine, la croissance des prêts étrangers des banques publiques chinoises est susceptible d’avoir réduit structurellement le rythme de la croissance des réserves en période favorable. Quand l’intervention revient, cela peut ne pas être principalement via l’usage de bilans de banques centrales. »

Brad Setser, « The combined surplus of Asia and Europe stayed big in 2016 », in Follow the Money (blog), 20 avril 2017. Traduit par Martin Anota



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