« L’idée derrière le "rééquilibrage externe tiré par la politique budgétaire" est simple. Si les pays ayant un excédent externe (par exemple un excédent commercial) suivent une politique budgétaire expansionniste, ils vont accroître leur demande interne et ainsi leurs importations. Des politiques budgétaires plus expansionnistes entraîneraient généralement des politiques monétaires plus restrictives, ce qui accroîtrait aussi la valeur de la devise. Et si les pays avec les déficits externes (par exemple des déficits commerciaux) resserreraient leur politique budgétaire, ils refréneraient leur propre demande interne, ce qui limiterait les importations. Les entreprises dans les pays avec des politiques budgétaires plus restrictives et moins de demande vont alors tendre à accroître leurs exportations à destination des pays avec des politiques budgétaires plus laxistes et plus de demande. Ce raisonnement cadre bien avec l’orthodoxie du FMI : ce dernier constate généralement que la politique budgétaire a un impact significatif sur le solde externe, et ce contrairement à la politique commerciale.

Mais cette idée n’est pas sans rencontrer une opposition, puisqu’elle implique que la politique budgétaire qui est bonne pour un pays puisse ne pas l’être pour un autre. Par exemple, beaucoup d’Allemands pensent qu’ils doivent générer des excédents budgétaires pour donner le bon exemple à leurs voisins. Cela va à l’encontre de l’idée d’utiliser la politique budgétaire pour impulser l’ajustement externe. Pour réduire son excédent commercial, l’Allemagne devrait assouplir sa politique budgétaire. L’impact positif de telles politiques sur la demande en Allemagne (et autres les pays en excédents) se répercuterait à l’économie mondiale et permettrait aux pays avec des déficits externes de resserrer leur politique budgétaire en atténuant l’impact de cette dernière sur leur demande.

Donc l’une des implications de l’utilisation de la politique budgétaire en vue de conduire le rééquilibrage commercial est qu’il n’y a pas une seule cible de politique budgétaire (…) qui fonctionne pour tous les pays. L’équilibre budgétaire, par exemple, n’est pas toujours le bon objectif de la politique budgétaire nationale. Certains pays doivent générer des déficits budgétaires pour réduire leurs excédents externes.

GRAPHIQUE 1 Contributions à la variation du solde budgétaire structurel de la zone euro (en % du PIB de la zone euro)

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(…) En pratique, les dernières estimations du FMI montrent que l’Europe n’a pas utilisé la politique budgétaire pour faciliter son propre ajustement interne. Les gros excédents externes dans la zone euro sont générés par Pays-Bas et par l’Allemagne. Ces deux pays ont aussi d’amples marges de manœuvre budgétaire grâce à des niveaux relativement faibles de dette publique et ils peuvent adopter un plan de relance sans remettre en cause leur propre solvabilité budgétaire. Et les pays avec beaucoup de dette externe et une marge budgétaire limitée tendent à être davantage au Sud : il s’agit de l’Italie et de l’Espagne par exemple (je généralise un peu ici, dans la mesure où l’Espagne a plus de dette externe et un plus gros déficit budgétaire que l’Italie, tandis que l’Italie a un plus gros stock de dette publique et moins de croissance). La zone euro génère aussi un significatif excédent externe, souffre de capacités de production inemployées et a de faibles taux d’intérêt. Elle pourrait contribuer à ramener le commerce mondial vers un meilleur équilibre (et accroître le rendement mondial de l’épargne) avec une politique budgétaire globale expansionniste, tout en rapprochant sa propre économie vers le plein emploi. C’est gagnant-gagnant, du moins en théorie.

En pratique, malheureusement, la zone euro n’a pas suivi une politique budgétaire expansionniste l’année dernière. La variation du solde budgétaire structurel au niveau agrégé a été positive, mais seulement un peu. Et la contraction budgétaire en Europe l’année dernière est venue des pays en excédent externe, notamment des Pays-Bas, et non des anciens pays en déficit externe. Les expansions budgétaires en Italie et en Espagne ont suffisamment compensé pour empêcher que la consolidation budgétaire aux Pays-Bas se traduise par une consolidation au niveau agrégé de la zone euro. (…)Le FMI voulait une expansion budgétaire aux Pays-Bas et une consolidation budgétaire en Espagne, en Italie et dans d’autres pays (généralement à un rythme d’environ 0,5 % du PIB par an), c’est-à-dire plus ou moins l’opposé de ce qui s’est passé. Et concernant l’Allemagne ? Eh bien, le FMI pensait il y a un an que l’Allemagne connaissait une expansion budgétaire (…). Mais il s’avère après coup qu’il n’y a pas vraiment eu d’expansion budgétaire structurelle en Allemagne l’année dernière. Le solde budgétaire structurel présente toujours un excédent substantiel.

GRAPHIQUE 2 Variation du solde budgétaire structurel des Etats-membres clés de la zone euro (en % du PIB de chaque pays-membre)

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C’est le problème. Il s’avère que les pays en excédent semblent aimer les excédents. Ils sont rarement enclins à prendre des mesures pour stimuler la demande. Et puisque la production des pays déficitaires traditionnels de la zone euro est généralement contrainte par une faible demande, ils tendent à vouloir adopter des politiques plus expansionnistes pour stimuler leur économie.

Cela s’applique également au niveau mondial. Pour que la politique budgétaire impulse un rééquilibrage de la demande globale, les pays qui connaissent un excédent externe doivent adopter des politiques plus expansionnistes. Cela signifie que la zone euro, la Corée du Sud et le Japon, parmi d’autres, doivent adapter des politiques plus expansionnistes (avec la Suède, la Suisse et Singapour). Et bien sûr les Etats-Unis devraient adopter une politique budgétaire restrictive, de façon à réduire leur déficit de compte courant.

GRAPHIQUE 3 Variation du solde budgétaire structurel de la zone euro, de la Corée du Sud et du Japon (en % du PIB de chaque zone)

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Mais il n’y a pas beaucoup d’éléments dans les données du FMI en 2016 qui suggèrent que les pays excédentaires désirent adopter de significatives expansions budgétaires (et comme je l’ai noté l’année dernière, dans plusieurs cas, le FMI n’a pas désiré préconiser des expansions budgétaires dans son conseil budgétaire à destination des pays générant les plus amples excédents). L’excédent structurel de la Corée du Sud reste élevé (…) et il n’a pas beaucoup changé en 2016. Les dernières données des Perspectives de l’économie mondiale suggèrent un (très) modeste resserrement budgétaire structurel en 2016, et un plus ample resserrement en 2017. Le Japon a un déficit budgétaire structurel actuellement : son excédent de compte courant s’explique par la forte épargne des entreprises et non par une politique budgétaire restrictive. Il a ralenti le rythme de la consolidation depuis 2014 (heureusement) mais son solde structurel ne suggère pas qu’il cherche à en faire beaucoup pour soutenir la demande. Il continue de fortement dépendre des exportations nettes pour soutenir sa croissance. Et, aux Etats-Unis, eh bien, le Président désire une forte réduction de l’impôt financée par le déficit. (Mnuchin, le secrétaire au Trésor américain, est tout à faire d’accord avec l’idée qu’une reflation budgétaire dans les pays en excédent puisse contribuer à réduire les déséquilibres mondiaux de balances de paiements. Mais c’est difficile de concilier cela avec les propositions fiscales de l’administration Trump.) »

Brad Setser, « Using fiscal policy to drive trade rebalancing turns out to be hard », in Follow the Money (blog), 26 avril 2017. Traduit par Martin Anota