« Pendant des années, les économistes ont cru que la concurrence tendait à égaliser les profits entre les entreprises, dans la mesure où les firmes inefficaces apprennent des plus efficaces ou quittent le marché et où de nouvelles entreprises entrent sur les marchés caractérisés par des profits élevés. Diverses choses, cependant, suggèrent que nous devons changer notre modèle mental, parce que cette intuition basique qui relève du bon sens peut s’avérer inexacte. Certaines choses que nos avons récemment observées nous amènent à le penser. Jason Furman et Peter Orszag disent qu’"il y a eu une tendance à une dispersion croissante des rendements de capital entre les entreprises" aux Etats-Unis. David Autor et ses collègues montrent qu’il y a eu un essor de "firmes stars" gagnant de très hauts profits. Et Andy Haldane, faisant écho à Bloom et Van Reenen, a dit : "A un extrême, certaines entreprises et certains pays ont continué de connaître des niveaux de productivité élevés et croissants. Ces meneurs en termes de productivité creusent leur avance vis-à-vis des retardataires. Ou, pour le dire autrement, le rythme de diffusion technologique des meneurs vers les retardataires a ralenti et a peut-être même récemment atteint un plafond".

Tout cela est l’exact opposé de ce que nous nous attendions à voir si la concurrence égalisait les profits. Donc que se passe-t-il ? Je soupçonne qu’il n’y a pas ici, comme ailleurs, d’explications mono-causales. Voici quelques possibilités :

  • Avec de faibles taux d’intérêt et l’indulgence des créanciers, les entreprises inefficientes ne s’effondrent pas aussi massivement qu’au cours des années quatre-vingt et des années quatre-vingt-dix.

  • Les imperfections du marché du crédit empêchent les firmes efficientes de se lancer ou de se développer (bien que cela ne devrait pas être aussi problématique aujourd’hui qu’il y a quelques années).

  • Les mauvais dirigeants peuvent tout simplement ne pas voir comment améliorer leur activité ou exploiter les opportunités de profit.

  • Une réglementation de la propriété intellectuelle stricte empêche les entreprises d’apprendre les unes des autres.

  • Contrairement à ce que pensait Hayek, les prix ne délivrent pas suffisamment d’information. Des prix élevés n’encouragent pas nécessairement les entreprises à entrer sur un marché parce qu’ils ne nous disent pas combien de temps les opportunités de profits associées à de tels prix vont durer.

  • Plusieurs entreprises profitables opèrent dans des niches qui sont assez grosses pour leur permettre de gagner de hauts profits, mais trop petites ou trop spécialisées pour attirer de nouveaux entrants (…).

  • Les nouvelles technologies sont caractérisées par des rendements d’échelle croissants. Comme Stian Westlake et Jonathan Haskell l’ont dit : "les actifs incorporels sont souvent très extensibles : une fois que vous l’avez développé, l’algorithme Uber ou la marque Starbucks peut être généralisé à plusieurs villes ou cafés". Dans un tel contexte, le gagnant rafle toute la mise.

  • Les effets de réseau génèrent un puissant avantage. Si je lance un supermarché plus efficace que Tesco, je dois faire assez d’affaires pour m’en sortir et forcer Tesco à réduire ses prix. Mais si je crée un potentiel rival à Facebook, je fais face à une tâche plus ardue. Parce que la valeur d’un site de réseau dépend du nombre de personnes qui l’utilisent, Facebook dispose d’un avantage.


Si tout cela est exact et s’il s’agit de changements durables (…), alors nous devons abandonner nos vieux modèles mentaux et en redécouvrir d’autres. Nous devons abandonner l’idée que la concurrence égalise les profits et restreigne les monopoles et peut-être revenir à certaines vieilles idées marxistes. Marx pensait que le capitalisme tendait à générer des monopoles. Certains de ses héritiers, notamment Baran et Sweezy, pensaient que cela se traduirait par une tendance à la stagnation, comme ces monopoles génèreraient plus de profits qu’ils ne pouvaient en dépenser. Pendant très longtemps, ces idées n’étaient pas vérifiées dans les faits. Mais maintenant que nous voyons des entreprises superstars accumuler d’énormes masses de liquidité dans un contexte de stagnation séculaire, peut-être que nous devons reconsidérer leur pertinence et leurs implications. »

Chris Dillow, « The end of competition », in Stumbling & Mumbling (blog), 18 mai 2017. Traduit par Martin Anota



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