« Les riches n’aiment pas payer des impôts. C’est la seule chose que nous enseigne la réaction hystérique que nous avons pu voir dans les médias au Royaume-Uni à propos du projet d’une hausse de l’imposition des riches que nourrit le parti travailliste.

Rappelons les faits historiques. De faibles taux d’imposition ne sont pas associés à une plus forte croissance ; c’est même plutôt l’inverse. Par exemple, le gouvernement britannique a réduit en 1988 le taux d’imposition des hauts revenus de 60 % à 40 %. Depuis, le PIB par tête a crû en moyenne de 1,4 % par an. Au cours des 29 années qui ont précédé cette baisse d’impôt, la croissance moyenne a été de 2,6 % par an ; et au cours de cette période, les hauts revenus ont pu être imposés à des taux supérieurs à 70 %. Cela a été à peu près la même chose aux Etats-Unis : la croissance économique était plus forte dans les années cinquante et soixante, c’est-à-dire lorsque le taux d’imposition des plus hauts revenus était de 91 %, qu’elle ne l’a été ces dernières décennies, lorsque ce même taux d’imposition était plus faible.

Vous pouvez interpréter ce fait de trois façons.

Une première possibilité serait que la croissance a ralenti dans les années deux mille pour d’autres raisons et que le ralentissement aurait été pire si les impôts n’avaient pas été fortement réduits. A mes yeux, cette interprétation pose deux problèmes. Le premier est que certains des facteurs susceptibles de ralentir la croissance, tels que les crises bancaires, peuvent ne pas être indépendants des taux d’imposition marginaux. Le deuxième est que les partisans d’une baisse des impôts croient que d’autres réformes menées dans les années quatre-vingt auraient dû aussi accroître la croissance tendancielle : la privatisation, la déréglementation, l’affaiblissement des syndicats, etc. Si ces réformes ont effectivement stimulé la croissance, leurs effets ont nécessairement été compensés par d’autres choses.

Une deuxième possibilité est qu’une réduction des taux d’imposition des hauts revenus freine la croissance. Par exemple, ils peuvent alimenter la financiarisation et donc accroître la fragilité financière ou encourager les comportements de quête de rentes, notamment les manœuvres pour accéder aux emplois les plus hauts placés ou la tendance des PDG à augmenter leur propre rémunération. Bien sûr, une hausse des impôts peut pousser certains hauts revenus à prendre leur retraite ou à émigrer. Mais cela ne provoque pas nécessairement une grande perte de production. Si, par exemple, Ben Arfa partait en Espagne en réaction à une hausse d’impôts en France, le PSG ne jouerait pas seulement avec dix joueurs.

Une troisième possibilité pourrait simplement être que (…) la croissance tendancielle ne soit pas beaucoup affectée d’une façon ou d’une autre par les changements de politiques économiques nationales.

Pour conclure qu’une hausse d’impôts relève d’une politique économique insensée, il faudrait parvenir à montrer que les choses plaident fortement pour la première hypothèse et soient en défaveur des deux dernières. Je pense que ce serait très difficile.

Tout cela concerne la croissance économique. Vous pourriez cependant répondre qu’une hausse des taux marginaux d’imposition est susceptible de peser sur les recettes fiscales, même si elle n’affecte pas beaucoup le PIB ; comme Alan Manning l’a dit, l’évasion fiscale est plus sensible aux taux marginaux que l’offre de travail.

Mais, même ici, le raisonnement est discutable. D’un côté, comme l’IFS l’a souligné, ceux-ci sont sujets à une forte incertitude. De l’autre, dans ce contexte, le fait que la "ponction fiscale" du parti travailliste pèserait sur les "classes moyennes", par exemple les docteurs et les enseignants, n’est pas une anomalie (…). C’est bien dans ces couches sociales que le gouvernement peut le plus facilement accroître ses recettes. Les enseignants et les docteurs sont probablement moins mobiles au niveau international que les méga-riches et moins à même d’utiliser les ruses d’évasion fiscale. Dans l’optique d’une hausse des recettes fiscales, ils constituent une grosse cible qui se déplace lentement.

Si vous cherchez des arguments qui amènent à rejeter les projets fiscaux du parti travailliste sans tomber dans l'hystérie, vous devez chercher ailleurs. Vous pouvez affirmer (avec l’essor de l’individualisme qui contribue à réduire le consentement de l’impôt) qu’ils vont éroder la solidarité sociale. Les gens vont les percevoir, non pas comme le prix à payer pour vivre dans une société civilisée, mais comme un fardeau qui subventionne les "parasites". Ou vous pouvez affirmer que les recettes tirées des impôts seront gaspillées dans des dépenses publiques inutiles. Ou vous pouvez affirmer que la fiscalité redistributive ne suffit pas : nous avons besoin de réduire les inégalités de pouvoir tout autant que les inégalités de revenu. Ou vous pouvez affirmer que la base fiscale doit être déplacée des revenus à la propriété foncière et aux héritages. Et personnellement, je ne rejette pas totalement l’idée qu’une forte imposition réduise la liberté (…).

Ce que vous ne pouvez cependant pas faire, c’est affirmer qu’une hausse des taux marginaux d'imposition va perturber l’économie. D’autres choses peuvent le faire, mais il est peu probable qu’une hausse des taux marginaux le fasse. »

Chris Dillow, « Top taxes and growth », in Stumbling & Mumbling, 16 mai 2017. Traduit par Martin Anota



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