« Les lecteurs de ce blog savent que je partage avec Trump la croyance que l’Allemagne nuit à l’économie mondiale. (D’accord, ce n’est pas l’Allemagne en soi qui est nuisible, mais son commerce extérieur.) Pourtant, je pense qu’il est utile de souligner quelque chose de trivial qu’on ne rappelle pas suffisamment. Trump a raison à propos de l’Allemagne, mais pour de mauvaises raisons. Le problème n’est pas le nombre de voitures allemandes qui circulent aux Etats-Unis, mais le nombre de voitures américaines qui ne circulent pas en Allemagne.

Le solde commercial est une soustraction, exportations moins importations. Donc, il peut être faible lorsqu’un pays ne commerce pas beaucoup (de faibles exportations sont de même taille que de faibles importations), mais aussi lorsque le pays échange beaucoup (de larges exportations sont similaires en termes de taille avec de larges importations, la différence étant faible). La taille du solde extérieur a tout à voir avec la taille relative des importations et des exportations et très peu à voir avec l’ouverture de l’économie.

Trivial, n’est-ce pas ? Et pourtant, Trump et beaucoup (trop) de commentateurs oublient cela lorsqu’ils affirment que nous devons cesser de voir autant de voitures allemandes circuler aux Etats-Unis. Le protectionnisme est juste l’une des solutions possibles qui sont susceptibles d’élargir les déséquilibres mondiaux. Comme il ne répond pas directement à l’excès d’épargne (ou à l’excès de demande) dans les pays en déséquilibre, son efficacité peut être mise en question (et le jury reste divisé sur la question). Notamment parce que le protectionnisme est une déclaration de guerre et qu’il est susceptible d’entraîner une course vers l’abîme.

Une manière plus directe et certainement plus efficace de réduire les déséquilibres est de réduire l’excès de demande domestique (par rapport au PIB) dans les pays déficitaires et réciproquement, de réduire le manque de demande domestique par rapport au PIB dans les pays excédentaires. C’est là où les voitures américaines en Allemagne aideraient. Je ne pense pas que je dise quelque chose de nouveau ici…

Je connais la réponse à cela. "Comment pouvez-vous forcer l’Allemagne à rééquilibrer son économie et à dépenser plus ?" "Cela n’arrivera jamais." "L’Allemagne ne se préoccupe que de ses seuls intérêts." J’ai déjà entendu tout cela. Je suis conscient que le problème n’est pas économique, mais politique. Mais les difficultés politiques de cet instant (trop long), et l’obstination des élites allemandes ne rendent pas le protectionnisme moins problématique.

Des normes existent en Europe et elles exigent d’un pays qu’il procède à un rééquilibrage externe s’il les dépasse. Et l’Allemagne ne les respecte plus depuis que la crise a commencé. Il existe un sentier étroit pour construire une "coalition de volontés" entre les pays européens, pour forcer l’Allemagne à s’attaquer à ses déséquilibres. C’est difficile ? Certainement. Peu probable ? Certes. Coûteux ? Probablement. Mais toujours moins que d’embarquer l’économie mondiale dans une guerre commerciale ou de dissoudre l’euro. »

Francesco Saraceno, « Trump is right about Germany, for the wrong reasons », in Sparse Thoughts of a Gloomy European Economist (blog), 26 mai 2017. Traduit par Martin Anota



Le vrai péché des Allemands


« Comme beaucoup de gens l’ont souligné, Trump a pris le pire exemple possible quand il a qualifié l’Allemagne de "mauvaise, très mauvaise". Oui, elle vend beaucoup de voitures aux Etats-Unis ; mais (a) plusieurs de ces voitures sont produites sur le sol américain et (b) l’Allemagne a la réputation de produire de bonnes voitures. Pourquoi un pays n’exporterait-il pas les biens dans lesquels il dispose d’un avantage comparatif ?

Donc, ce fut la critique la plus stupide que l’on puisse faire et elle va dans le sens de l’autosatisfaction allemande. Pourtant les larges excédents commerciaux de l’Allemagne sont un problème, ce qui n’a rien à voir avec la politique commerciale. C’est de la macroéconomie.

Le récit est illustré par le graphique suivant, représentant les coûts du travail unitaires depuis la création de l’euro.

GRAPHIQUE Coûts unitaires du travail (en indices, base 100 en 1999)

Paul_Krugman__Couts_unitaires_du_travail_Allemagne_zone_euro.png

Voici ce qui s’est passé : durant l’ère d’euphorie, lorsque les capitaux allèrent dans les pays d’Europe du sud (que l’on supposait alors comme sûrs), ces économies connurent une inflation modérée, mais pas l’Allemagne, ce qui permit à cette dernière de gagner un gros avantage compétitif, sans avoir pour cela à connaître de déflation. Ensuite, la confiance et les flux de capitaux s’effondrèrent. Ce qu’il fallait alors, c’était une forte reflation allemande : celle-ci aurait permis aux pays d’Europe du sud de regagner en compétitivité sans connaître de déflation et les problèmes de dette que cette dernière générerait.

Mais l’Allemagne n’a pas connu de reflation. Elle a embrassé l’austérité, sans y avoir été contrainte (dans un contexte de taux d’intérêt négatifs !), et elle a freiné la BCE dans ses tentatives de stimuler l’inflation globale de la zone euro. La conséquence est que l’écart de compétitivité qui s’est creusé après 1999 s’est à peine réduit, ce qui s’est traduit par l’apparition de larges excédents en Allemagne et s’est révélé être un frein mortel pour le reste de la zone euro.

Cela n’a que des effets négatifs limités sur les Etats-Unis ; peut-être que les politiques non coopératives de l’Allemagne ont un peu contribué au déficit commercial américain, mais elles ne sont avant tout un problème qu’au sein de la zone euro. Et il n’y a rien de moins opportun pour les Etats-Unis que d’intervenir comme ils l’ont fait. »

Paul Krugman, « Germany’s real sin », in The Conscience of a Liberal (blog), 27 mai 2017. Traduit par Martin Anota



aller plus loin...

« Adopter le modèle allemand ou sauver l’euro »

« L'Allemagne doit-elle réduire ses excédents courants ? (Le tango se danse à deux) »

« L’Allemagne contre la zone euro »