« La Fed a relevé son principal taux directeur d’un quart de point de pourcentage. Cette mesure n’a surpris personne, mais elle a amené les économistes à s’interroger sur la relation de la Fed avec l’inflation. Nous passons en revue les plus récentes contributions.

Joseph Gagnon (…) affirme que la réunion de la Fed a eu son lot de surprises. Premièrement, Janet Yellen a affirmé que la baisse de 2 % à 1,5 % en avril du taux d’inflation que privilégie la Fed s’expliquait par une évolution exceptionnelle et transitoire des prix des services de téléphonie mobile et des produits pharmaceutiques en mars. Gagnon se demande si le comité fédéral d’open market (FOMC) ne renouerait pas avec sa mauvaise manie des années soixante-dix, lorsqu’il persistait à expliquer le niveau d’inflation d’alors en mettant sans cesse en avant des facteurs exceptionnels. Deuxièmement, le comité fédéral a donné des détails sur la façon par laquelle il comptait graduellement réduire son bilan et il a indiqué que le processus pourrait débuter à un moment ou un autre au cours de l’année. Yellen a refusé de dire si le comité fédéral augmenterait ses taux lors de la réunion où elle débuterait la contraction de bilan, mais Gagnon pense que la contraction de bilan peut commencer en septembre et que la prochaine hausse de taux peut attendre jusqu’à décembre. Troisièmement, Yellen a été interrogée à propos d’une lettre signée par divers économistes appelant le comité de politique monétaire à relever sa cible d’inflation ou à changer le cadre de sa politique monétaire pour éviter que l’inflation demeure sous la cible et elle s’est montrée étonnamment ouverte à cette suggestion, en disant qu’il s’agit d’une question très importante que le comité de politique monétaire étudierait.

Jared Bernstein se demande aussi si la Fed ne serait pas en train de mener une vieille guerre. Certes l’économie américaine est proche du plein emploi, mais la hausse de l’indicateur préféré de la Fed, le déflateur des dépenses de consommation personnelle, est inférieur à la cible d’inflation de 2 % et ralentit. Elle a ralenti en passant de 1,8 % lors des deux premiers mois de l’année à 1,6 % au cours des deux derniers mois. Les anticipations restent également basses (inférieures à 2 %). C’est l’opposé de ce à quoi on pourrait s’attendre si les tensions sur le marché du travail alimentaient la hausse des prix et c’est une raison légitime pour ne pas chercher à appuyer sur les freins avec une autre hausse des taux. (…) En regardant les prévisions de la Fed concernant l’évolution future de l’inflation, Bernstein note que la Fed croit que l’inflation va rejoindre l’inflation de 2 %, mais l’inflation observée continue d’ignorer ses prédictions. Cela suggère un problème avec le modèle.

Larry Summers a présenté les cinq raisons l’amenant à penser que la Fed est peut-être en train de commettre une erreur. Premièrement, la Fed n’est en ce moment pas crédible avec les marchés. Ses points prédisent quatre hausses de taux au cours des 18 mois alors que le marché s’attend à moins de deux hausses. Les marchés ne partagent pas l’opinion de la Fed selon laquelle l’accélération de l’inflation constitue un risque majeur ; en fait, ils ne croient pas que la Fed atteigne sa cible d’inflation de 2 % de si tôt. Deuxièmement, la Fed affirme qu’elle a un engagement symétrique concernant sa cible d’inflation de 2 %. Après une décennie où l’inflation a été inférieure à sa cible, la politique monétaire doit être fixée en vu de relever modestement la cible d’inflation durant un boom avec l’anticipation que l’inflation va décliner au cours de la récession suivante. Une cible d’inflation plus élevée implique une politique monétaire bien plus souple que ce qui est actuellement envisagé. Troisièmement, les attaques préventives contre l’inflation, telles que les attaques préventives contre pays, dépendent de la capacité à juger les menaces de façon précise. La vérité est que nous avons peu de capacité pour juger quand l’inflation va s’accélérer de façon significative. La courbe de Phillips est au mieux peu présente dans les données relatives aux 25 dernières années. Quatrièmement, il y a une bonne raison de croire qu’un niveau donné de taux est biens moins expansionniste que par le passé en raison de forces structurelles qui contribuent à accroître les propensions à épargner tout en réduisant les propensions à investir. Cinquièmement, pour abandonner sa connexion à la stabilité des prix, la Fed doit seulement affirmer que son objectif est d’assurer que l’inflation atteigne en moyenne 2 % au cours de très longues périodes de temps. Ensuite, elle doit faire savoir que l’inflation a beau être persistante, il est très difficile de la prévoir et signaler qu’elle va se focaliser sur les données relatives à l’inflation et aux anticipations d’inflation plutôt que des indicateurs de production et du chômage pour prévoir l’inflation. Avec tout cela pris en compte, la Fed ramènerait ses prévisions de taux d’inflation à celles du marché et gagnerait en crédibilité. Cela permettrait à l’inflation de se rapprocher de la cible de 2 % et donnerait plus de marge pour que l’emploi et la production s’accroissent davantage.

David Beckworth affirme que soit la Fed est l’institution la plus malchanceuse du monde, soit la Fed a un problème. Il croit que la Fed a commencé à avoir un problème avec l’inflation à 2 % à peu près lorsqu’a éclaté la Grande Récession. Le résumé des prévisions économiques du comité fédéral montre une tendance centrale des membres du comité depuis 2008 à indique qu’il voit l’inflation optimale non pas à 2 %, mais quelque part entre 1 et 2 %. La performance effective de l’indicateur d’inflation préféré de la Fed, le déflateur des dépenses de consommation personnelle, est cohérente avec cette idée. Celui-ci s’est élevé en moyenne à environ 1,5 % de % depuis la reprise, c’est-à-dire depuis le milieu de l’année 2009. Beckworth affirme que c’est révélateur des préférences et ne découle pas d’une série d’incidents provoquée par la malchance. La Fed ne cible explicitement une inflation de 2 % que depuis 2012, mais plusieurs études ont montré qu’elle a implicitement fait cela depuis les années quatre-vingt-dix. Donc cela a réellement été un problème pour la Fed pendant plus de huit ans et les remarques de Janet Yellen en deviennent décevantes à entendre. On penserait qu’après quasiment une décennie au cours de laquelle l’inflation a été inférieure à sa cible de 2 % il pourrait y avoir une prise de conscience de la part du comité fédéral qu’il "traite les 2 % comme un plafond plutôt que comme une cible" (comme l’a affirmé Neel Kashkari, le président de la Réserve fédérale de Minneapolis).

Cardiff Garcia (…) se montre également critique quant à la décision de la Fed. Il affirme que depuis le tout début de la reprise, la Fed a eu une vision trop pessimiste du potentiel dont dispose l’économie pour réduire le chômage avant de buter sur des obstacles structurels. La Fed s’est aussi montrée bien pessimiste quant au potentiel du marché du travail à se cicatriser lors des premières années de la reprise. Le taux de long terme attendu n’a commencé à chuter de nouveau qu’à partir du milieu de l’année 2013, comme le taux de chômage continua de poursuivre sa baisse tendancielle. Dans la mesure où le taux de chômage est parvenu à atteindre 4,3 % sans que l’inflation s’accélère, la Fed semble avoir eu une vision excessivement pessimiste de la capacité de l’économie à rebondir. La question est alors : A-t-elle eu raison de ne pas s’attendre à ce que le taux chute autant qu’il le fit ? Avec le recul, il est impossible de dire oui. En réponse à une question qu’on lui avait posée, Janet Yellen suggéra qu’il est toujours difficile d’estimer le taux de chômage de long terme. Garcia affirme qu’elle a raison, mais tirer des leçons du passé signifie reconnaître les erreurs passées. Si la Fed avait saisi plus tôt la nature de l’économie, peut-être qu’elle aurait compris qu’elle pouvait être plus agressive (…). On pourrait penser que l’échec continu de la Fed à (…) maintenir de façon soutenable l’inflation à proximité de la cible et (…) une croissance plus saine des salaires trouve son origine dans cette erreur passée. Etant donné que l’estimation de long terme du taux de chômage reste au-dessus du taux actuel malgré la faiblesse de l’inflation et de la croissance des salaires, on pourrait aussi penser que la Fed continue de commettre cette erreur. »

Silvia Merler, « The Fed’s problem with inflation », in Bruegel (blog), 19 juin 2017. Traduit par Martin Anota



« Un plein emploi en trompe-l’œil aux Etats-Unis »

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