« Ben Chu a publié un bon article présentant certains non-sens associés à l’austérité budgétaire (qui refusent de mourir, parce qu’ils sont utiles aux politiciens et du fait que les médias sont généralement désemparés). Peut-être que le non-sens le plus stupide que j’ai entendu (et j’en ai entendu beaucoup) est que le Royaume-Uni n’a pas vraiment connu d’austérité parce que la dette publique a continué d’augmenter ou parce qu’une autre mesure tout aussi impertinente ait elle-même continué d’augmenter.

Si essayer de réduire le déficit budgétaire (ce que les économistes appellent la consolidation budgétaire) n’avait pas d’effets négatifs sur l’économie dans son ensemble, cela n’aurait pas l’étiquette d’austérité. L’austérité concerne l’impact agrégé négatif qu’une consolidation budgétaire peut avoir sur la production. Par conséquent, la mesure appropriée de l’austérité est une mesure de cet impact. Donc ce n’est pas le niveau de dépenses publiques ou d’impôts qui importe, mais comment ce niveau varie.

Une mesure évidente que l’on pourrait utiliser est le déficit lui-même, en général ajusté pour tenir compte des variations qui surviennent automatiquement du fait que la production varie. J’ai utilisé cette mesure quelquefois, parce qu’elle était produite par l’OBR, le FMI et l’OCDE parmi d’autres. Mais ce n’est pas l’idéal, parce que l’impact des variations des impôts sur la demande globale et par conséquent sur la production est généralement plus faible que l’impact d’une variation des dépenses publiques, parce qu’une partie de la baisse d’impôt est épargnée. (C’est également vrai, dans une moindre mesure, avec les transferts de revenus.)

Il n’y a pas de façon simple de faire face à ce problème de mesure, parce que le montant d’une hausse d’impôt que les gens vont épargner va dépendre en partie de leurs anticipations relativement aux impôts qu’ils auront à payer à l’avenir. Par conséquent, certains préfèrent se focaliser seulement sur les dépenses publiques pour mesurer l’impact budgétaire (…). Cependant, il est également possible d’appliquer de simples propensions moyennes à consommer des réductions d’impôts et des revenus de transfert pour obtenir une mesure de l’impact budgétaire.

C’est ce que la mesure de l’impact budgétaire du Hutchins Center fait pour les Etats-Unis.

Il ne s’agit pas de multiplicateurs (ce qui diffère par rapport à ce que fait l’OBR pour le Royaume-Uni par exemple (1)), mais juste l’impact direct des dépenses publiques et des impôts sur la demande globale et donc le PIB. L’impact moyen total est proche de 0,4 %, ce qui serait la politique budgétaire qui serait en ce sens neutre.

Comparons la légère récession de 2001 avec la récession plus sévère de 2008-2009. Dans les deux cas, durant la récession, la politique budgétaire a été fortement contracyclique, contribuant à réduire l’impact de la récession. Après la fin de la récession de 2001, la politique budgétaire continua de soutenir la reprise pendant encore environ deux ans : il y eut notamment les réductions d’impôts de Bush. La reprise du PIB fut raisonnablement forte : la croissance était de 2,8 % en 2003, de 3,8 % en 2004 et de 3,3 % en 2005.

En 2010, nous avions une récession bien plus sévère et plus longue, mais le soutien budgétaire ne fut qu’à peine plus important qu’en 2001, malgré des taux d’intérêt contraints par leur borne inférieure. A cette occasion, les Républicains s’opposèrent au soutien budgétaire. Cela continua encore un an et un trimestre et ensuite la politique budgétaire devint fortement restrictive de 2011 à 2015. La croissance du PIB fut plus lente qu’au cours de la précédente reprise, malgré une récession plus sévère : de 2,5 % en 2010, de 1,6 % en 2011, de 2,2 % en 2012, de 1,7 % en 2013 et de 2,4 % en 2014. Cela n’aurait pas dû nous surprendre, comme la politique budgétaire amputa le PIB d’environ 1 % en 2011, en 2012 et en 2013, au lieu d’y contribuer à 0,4 % comme elle le faisait habituellement.

La vitesse et l’ampleur avec laquelle l’austérité fut appliquée après la Grande Récession furent très inhabituelles : le manuel dit qu’il faut d’abord renforcer la reprise, permettre aux taux d’intérêt de s’accroître, et de ne s’inquiéter seulement ensuite de la dette publique. Il n’y a pas eu de justification économique pour le resserrement hâtif de la politique budgétaire après 2010 : le motif, comme au Royaume-Uni, fut entièrement d’ordre politique. Cela se traduisit par la reprise de la production la plus lente aux Etats-Unis depuis la Seconde Guerre mondiale. (…) Comme je l’ai montré ici en utilisant des calculs simples, si les dépenses gouvernementales totales depuis 2011 étaient restées neutres au lieu de devenir brutalement restrictives, alors la production américaine serait facilement revenue à proximité de sa capacité (telle qu’elle est mesurée par le CBO) en 2013.

Soustraire 1,5 % du PIB ne serait pas important si quelque chose (du côté de la consommation, de l’investissement ou des exportations nettes) prenait le relais. Mais, pour cela, il faudrait compter sur la chance ou s’appuyer sur une relance monétaire, or la politique monétaire était confrontée à une trappe à liquidité. C’est le vrai crime de l’austérité. Décroître la demande globale ou la production précisément à l’instant où l’économie commençait à connaître une reprise depuis la plus sévère récession qu’elle ait connue depuis la Seconde Guerre mondiale apparaît particulièrement stupide, mais le faire précisément à l’instant où la politique monétaire était incapable d’en amortir l’impact relève de la folie. Comme je vais l’affirmer dans d’autres billets, il est de plus en plus manifeste que cela nous a appauvris de façon permanente.

(1) Si quelqu’un publie quelque chose de similaire pour le Royaume-Uni, faites-le moi savoir. Personnellement, je pense que cela fait plus sens de publier des données comme celles-ci que d’utiliser une analyse fondée sur le multiplicateur, simplement parce que mesures sont plus directes et impliquent moins d’hypothèses à propos de l’économie en général. Crucialement, il n’y a pas d’hypothèses implicites à faire à propos de la politique monétaire. Il serait intéressait de savoir pourquoi l’OBR a décidé de ne pas adopter cette approche. »

Simon Wren-Lewis, « Measuring the impact of austerity », in Mainly Macro (blog), 10 juillet 2017. Traduit par Martin Anota