« Les récessions et les ralentissements économiques moins sévères résultent typiquement d’une insuffisance de la demande de biens et services. La seule façon de mettre un terme à ces phénomènes consiste à stimuler la demande globale d’une façon ou d’une autre. Cela peut se faire naturellement, mais aussi avec une réduction délibérée des taux d’intérêt par les banques centrales. Comment savons-nous que la demande globale est insuffisante ? Parce que le chômage s’est accru, comme la faible demande de biens incite les entreprises à moins embaucher et à licencier.

Une question qui est quelquefois posée en macroéconomie est si les travailleurs dans une récession peuvent revenir à l’emploi (price themselves into jobs) en réduisant les salaires. Au cours des précédentes récessions, les travailleurs ont été réticents à le faire. Mais supposons que nous ayons eu une récession plus longue parce que l’austérité budgétaire a freiné la reprise et qu’au cours de cette période plus longue les salaires soient devenus moins rigides. Alors, la chute des salaires réels peut ramener les chômeurs à l’emploi et réduire le chômage (1).

Ce n’est pas parce que la chute des salaires réels résout le problème d’insuffisance de la demande. (…) La baisse des salaires réels peut davantage déprimer la demande globale. Mais il est toujours possible que les travailleurs puissent revenir à l’emploi, parce que les entreprises peuvent se tourner vers des techniques de production plus intensives en travail ou échouer à investir dans de nouvelles techniques économes en travail. La production serait toujours déprimée, mais le chômage chuterait, l’emploi augmenterait et la productivité du travail stagnerait. C’est essentiellement ce que nous avons observé au Royaume-Unis au cours des dernières années.

Il est important de comprendre que, dans ces circonstances, le problème d’une demande insuffisante perdure. Les ressources sont toujours gâchées à une grande échelle. Notre situation s’améliorerait si la demande était stimulée. Comment les banquiers centraux pourraient-ils savoir si c’est le cas ou non ?

Les banquiers centraux peuvent dire qu’ils pourraient toujours savoir si la demande est insuffisante parce que les enquêtes leur disent si les entreprises ont des capacités excédentaires. Cela serait sans doute vrai dans le sillage immédiat de la récession, mais à mesure que le temps passerait le capital se déprécierait et l’investissement resterait faible parce que les entreprises utiliseraient des techniques de production plus intensives en travail. En tant qu’indicateurs d’insuffisance de la demande globale, les enquêtes deviendraient aussi peu robustes que les chiffres du chômage.

Que dire après de toutes ces mesures de l’écart de production ? Malheureusement, elles sont fondées soit sur le chômage, soit sur les enquêtes, soit sur les techniques de lissage des données. Ces dernières, parce qu’ils lissent les données de la production, disent simplement le temps qu’il faut pour qu’une reprise soit complète. Ou, pour le dire autrement, les mesures basées sur la tendance excluent effectivement la possibilité d’une période prolongée de demande insuffisante (2). Donc, collectivement, ces mesures d’écart de production ne fournissent pas d’information additionnelle à propos de l’insuffisance de la demande globale.

L’arbitre ultime pour savoir s’il y a une insuffisance de la demande globale est l’inflation. Si la demande est insuffisante, l’inflation va être inférieure à sa cible. Elle est inférieure à sa cible dans la plupart des pays aujourd’hui, notamment aux Etats-Unis, dans la zone euro et au Japon. (Au Royaume-Uni, l’inflation est supérieure à la cible en raison de la dépréciation provoquée par le Brexit, mais l’inflation salariale ne présente pas de signe d’emballement.) Donc, dans ces circonstances, les banquiers centraux doivent comprendre que la demande est insuffisante et continuer à faire tout ce qu’ils peuvent pour la stimuler.

Mais il y a un danger que les banquiers centraux regardent le taux de chômage, les enquêtes sur la capacité excédentaire et les estimations de l’écart de production et en concluent que nous n’avons plus d’insuffisance de la demande globale. Aux Etats-Unis, les taux d’intérêt augmentent et il y a certains membres du comité de politique monétaire de la Banque d’Angleterre qui aimeraient également les augmenter. Si l’insuffisance de la demande est toujours un problème, ce serait alors une grande erreur, très coûteuse, le genre d’erreur que les autorités monétaires ne doivent jamais commettre (3). Il y a une façon certaine d’éviter cette erreur, qui consiste à continuer de stimuler la demande jusqu’à ce que l’inflation dépasse sa cible.

Un argument contre cette politique attentiste est que les autorités monétaires doivent être « en avance sur la courbe », pour éviter d’abruptes hausses des taux d’intérêt si l’inflation commençait à augmenter. Les arguments comme celui-ci traitent la Grande Récession comme une simple version plus grande des récessions que nous avons connues depuis la Seconde Guerre mondiale. Mais au cours de ces précédentes récessions, les taux d’intérêt n’ont pas butté sur leur borne inférieure et nous n’avions pas eu de généralisation de l’austérité budgétaire une ou deux années à peine après le début de la récession. Ce à que nous assistons, c’est plutôt quelque chose qui se rapproche de la Grande Dépression, mais avec un marché du travail plus flexible.

(1) Les salaires réels peuvent aussi être plus flexibles parce que la Grande Récession a permis aux employeurs d’accroître l’insécurité de l’emploi, qui peut à la fois accroître la flexibilité des salaires et réduire le NAIRU. Ce qui est implicite dans cette idée, c’est le fait qu’une baisse des salaires nominaux ne se traduit pas automatiquement par une baisse des prix. Si cela avait été le cas, les salaires réels n’auraient pas chuté. (…)

(2) Elles suggèrent aussi souvent que les années qui ont immédiatement précédé la Grande Récession ont constitué une période d’ample boom, malgré toutes les preuves qui indiquent qu’il n’y a pas eu de boom en-dehors de la périphérie de la zone euro.

(3) J. W. Mason a récemment affirmé qu’une telle erreur est actuellement commise aux Etats-Unis dans un rapport détaillé. »

Simon Wren-Lewis, « Is a flexible labour market a problem for central bankers? », in Mainly Macro (blog), 2 août 2017. Traduit par Martin Anota