« Dans un article désormais très célèbre, "The Science of Monetary Policy", qu’ils publièrent en 1999, trois grands économistes, Richard Clarida, Jordi Galí et Mark Gertler, affirmèrent que la politique monétaire est une science. Bien qu’il y ait une part de vérité dans cette affirmation, Clarida et ses coauteurs auraient pu se demander dans leur article si la macroéconomie était une religion ou une science.

La science et la religion forment un drôle de ménage. La science date du siècle des Lumières. La religion remonte à l’aube de l’histoire. La science est soutenue par le rationalisme. La religion est soutenue par le dogme. La science est mise au défi par l’expérimentation. La religion est codifiée par des érudits et protégée par un clergé. La macroéconomie présente des aspects relevant aussi bien de l’une que de l’autre.

Les macroéconomistes construisent des théories codifiées par des systèmes d’équations. Nous utilisons ces équations pour expliquer les schémas que l’on décèle dans les données économiques. A la différence des sciences expérimentales, la chimie et la physique par exemple, les macroéconomistes ne peuvent facilement expérimenter. Cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas mettre à l’épreuve les théories existantes, mais qu’il est plus difficile de le faire. Comme les astronomes attendant qu’une nouvelle supernova explose, les macroéconomistes doivent attendre de grandes récessions ou de graves stagflations pour que nous puissions privilégier une théorie plutôt qu’une autre.

L’incapacité à expérimenter est plus sérieuse que ce que pensent la plupart des macroéconomistes. Lorsque Clarida, Galí et Gertler écrivaient leur article sur la politique monétaire, ils mettaient en avant une théorie néo-keynésienne. Cette théorie était codifiée par trois équations qu’ils utilisaient pour expliquer le PIB, le taux d’intérêt et l’inflation. Les équations néo-keynésiennes sont largement utilisées aujourd’hui par les décideurs politiques dans chaque grande banque centrale pour aider à guider la politique économique. Et si ces équations étaient incorrectes ?

Les économistes sélectionnent une théorie plutôt qu’une autre en utilisant une procédure statistique appelée maximum de vraisemblance. Nous disons que la théorie A est meilleure que la théorie B si les données que nous observons ont une plus forte probabilité d’être générées par A que par B. Dans une étude que j’ai réalisée avec Andreas Beyer, un économiste de la BCE, nous avons montré comment produire des théories qui ne peuvent pas être distinguées de cette façon. Si vous proposez avec la théorie A d’expliquer un ensemble de données X, notre procédure va produire une autre, la théorie B, qui a la probabilité identique d’avoir généré les données observées que la théorie A.

Les choses empirent. Nous donnons un exemple de ce problème où la théorie A et la théorie B fournissent des conclusions de politique contradictoires. La seule façon de les distinguer consisterait pour un décideur d’expérimenter en changeant la façon par laquelle il réagit aux données économiques. La Banque d’Angleterre peut, par exemple, relever son taux directeur, tandis qu’au même instant, le comité fédéral d’open market aux Etats-Unis réduit le taux des fonds fédéraux.

Les macroéconomistes peuvent expliquer relativement bien les données passées. Mais nous ne sommes pas trop bons lorsqu’il s’agit d’expliquer de nouveaux événements et nos théories sont toujours en évolution. En ce sens, l’économie est une science. La façon par laquelle on permet à nos modèles d’évoluer est contrôlée par un groupe de grands prêtres qui maintiennent la pureté doctrinale. En ce sens, l’économie est une religion. L’aspect religieux est important en temps normal, lorsque nous n’avons pas connu de grand événement dans le passé immédiat. A d’autres moments, peu après que nous ayons assisté à une supernova économique, l’emprise des grands prêtres devient contreproductive et c’est un temps fertile pour explorer des idées que les prêtres considèrent comme hérétiques. C’est un tel moment que nous connaissons aujourd’hui. »

Roger Farmer, « Macroeconomics: Religion or Science? », in Roger Farmer’s Economic Window (blog), 5 novembre 2017. Traduit par Martin Anota