« La crise financière mondiale façonne notre perception de notre récent passé, de notre présent et de notre avenir et pourtant il n’y a pas de récit des événements qui fasse vraiment consensus. Beaucoup d’interprétations ont été proposées. Du côté des Etats-Unis, certains ont affirmé que le système financier a été submergé par l’excès d’épargne (savings glut) généré par les pays asiatiques, que la Fed a pris de mauvaises décisions en matière de politique monétaire et que les Etats-Unis ont subi une bulle immobilière (et que trop de prêts ont été accordés aux pauvres (1)). Du côté européen, l’accent a été mis sur les excès d’endettement de la périphérie de la zone euro et parfois sur les faiblesses de l’architecture de la zone euro. Pourtant, avec tout ce que j’ai lu ici et là à ce sujet, il semble que nous devrions surtout nous focaliser sur le secteur financier aussi bien aux Etats-Unis qu’en zone euro et bien sûr au Royaume-Uni. Selon moi, la crise a éclaté parce que les banques aux Etats-Unis et en Europe se sont appuyées sur un levier d’endettement trop important, si bien qu’une crise ne pouvait que survenir.

C’est pour cette raison que j’ai trouvé si intéressante la présentation que propose Tam Bayoumi de son nouveau livre.

Il affirme que presque tous les ingrédients pour la crise étaient en place dès 2002. En Europe, nous avions de très grandes banques universelles (combinant les activités de banque de détail et de banque d’investissement) qui étaient bien trop endettées. Aux Etats-Unis, les activités de banque de détail et de banque d’investissement étaient séparées, avec des réglementations strictes sur les banques de détail, mais laxistes en ce qui concerne les banques d’investissement, ce qui s’est traduit par l’essor d’un véritable système bancaire parallèle (les dépôts se déplaçant effectivement vers les banques d’investissement, comme Lehman Brothers, qui s’endettèrent à nouveau de trop). En 2002, ces deux zones étaient séparées par la géographie, mais un petit changement réglementaire en 2003 permit à ce que des liens se développent entre les deux. Ensuite, ce ne fut qu’une question de temps avant qu’éclate la crise financière mondiale, "mondiale" dans le sens où elle concernait les Etats-Unis et l’Europe.

Comment ces banques ont-elles fini par devenir surendettées ? Selon Bayoumi, la création en Europe des banques universelles constituait une tentative manquée de créer un marché bancaire européen unique. Il y eu ensuite des échecs en matière de réglementation qui permirent à ces banques de se développer (via le levier d’endettement) en manipulant leur propre pondération des risques. Cela donna à ces banques la possibilité d’opérer à grande échelle en Europe du Sud et en Amérique du Nord. Aux Etats-Unis, les banques d’investissement n’étaient pas réglementées parce que la Fed croyait fermement que la concurrence assurait une régulation efficace pour ce type de banques.

Donc, la crise financière mondiale est avant l’histoire d’un système bancaire hyperconnecté et surendetté des deux côtés de l’Atlantique, attendant simplement qu’un choc suffisamment puissant amène l’ensemble du système à son point critique. L’hypothèse, que l’histoire confirme, est que la finance est naturellement sujette à de telles crises, ce qui explique pourquoi le secteur est réglementé, donc cette histoire est aussi une histoire d’erreurs en termes de réglementation. Bayoumi affirme que chacune de ces erreurs peut être mise sur le compte de véritables erreurs intellectuelles, mais il me rejoint lorsqu’il dit qu’il est parfois difficile de dire dans quelle mesure elles résultent aussi de pressions politiques de puissants intérêts politiques.

Est-ce que les gouvernements et les régulateurs des deux côtés de l’Atlantique Nord en ont fait assez depuis la crise financière mondiale pour corriger les erreurs qui ont été commises ? La réponse est compliquée et il vaut mieux que vous lisiez le livre pour trouver la réponse de Bayoumi. J’aimerais conclure avec une observation. Dans la suite immédiate d’une crise, les gens ont tendance à s’appuyer sur leurs préjugés pour expliquer pourquoi elle a éclaté. Ceux qui voulaient s’en prendre à la politique monétaire américaine, notamment pour détourner l’attention des excès du secteur financier, en ont profité pour le faire. Ceux qui ont conçu la zone euro de façon à éviter que les gouvernements de la périphérie soient trop dépensiers ont parlé de l’endettement excessif de ces gouvernements.

Vous pouvez voir la même chose avec le Brexit et Trump. Bien que la protestation de la part des "laissés pour compte" ait joué un certain rôle, l’idée selon laquelle il s’agit des récits complets collait avec certains éléments, mais elle est tout simplement incorrecte, comme l’affirme la nouvelle étude de Gurminder K. Bhambra. Au cours du temps, les choses s’éclaircirent. Ce que cette analyse de Tam Bayoumi montre avec rigueur est que la finance doit toujours être proprement réglementée et que les échecs en matière de réglementation ont des répercussions catastrophiques.

(1) De nouvelles études empiriques suggèrent que l’effondrement de la bulle immobilière peut avoir davantage à voir avec les spéculateurs immobiliers qu’avec les emprunteurs à faible revenu. »

Simon Wren-Lewis, « What really caused the financial crisis », in Mainly Macro (blog), 9 novembre 2017. Traduit par Martin Anota