« Jamie Whyte demande : "Un homme riche a plus de facilité à acheter une voiture qu’un homme pauvre ; un homme qui a de l’esprit et d’humour a plus de facilité à séduire une femme qu’un homme ennuyeux. S’il s’agit d’une inégalité de pouvoir injuste dans le premier cas, pourquoi n’est-ce pas le cas dans le second ?"

Cette question peut (…) avoir un certain fondement pour les égalitaristes qui croient que toutes les inégalités sont mauvaises en soi, ceux que Derek Parfit qualifie d’"égalitaristes téliques". Mais il y a d’autres sortes d’égalitaristes, notamment ceux qui croient que les inégalités sont mauvaises pour d’autres raisons, disons parce qu’elles surviennent en raison d’injustices ou ont des effets indésirables.

Cette distinction, bien sûr, n’est pas confinée aux égalitaristes. On la retrouve aussi chez les libertariens : vous pouvez privilégier le libertarianisme pour des raisons conséquentialistes ou parce que vous pensez que la liberté est un bien en soi.

Notre second type d’égalitaristes a des réponses évidentes pour Jamie. L’une d’entre elles est que les inégalités d’humour n’ont, globalement, pas de mauvaises conséquences. En fait, c’est l’opposé : l’homme qui de l’esprit et de l’humour est de bonne compagnie (Jamie le qualifie d’ami).

Les inégalités de richesse, d’une autre côté, ne sont pas si bénignes. Elles sapent l’idéal démocratique d’égalité de respect et peut-être même la démocratie elle-même. Elles affaiblissent la confiance et le capital social. Et elles sont certainement mauvaises pour l’économie. (J’ajouterais aussi que de fortes inégalités sapent aussi le soutien envers les marchés libres.)

Bien sûr, je m’attends à ce que Jamie soit en désaccord avec ces affirmations empiriques. Je veux simplement dire qu’elles fournissent une grande différence entres les inégalités de richesse et les inégalités d’humour.

Les égalitaristes s’opposent aussi aux inégalités de richesse parce que dans certains cas (la plupart des cas ?) elles surviennent via des processus injustes comme l’exploitation ou la domination ou via la capture de l’Etat par les riches. Comme Joseph Stiglitz l’a dit, les inégalités sont un choix politique ; pour preuve, différents pays ont connu différentes trajectoires en matière d’inégalités de richesse.

On ne peut pas dire la même chose des inégalités d’humour. La justice, comme l’a dit Rawls, est une vertu des institutions sociales, pas de nature. Revenons à Parfit : "Considérons, par exemple, l'inégalité des dons naturels. Certains d'entre nous naissent avec davantage de talent ou en meilleure santé que d'autres, ou bien sont mieux lotis dans d'autres domaines. Si nous sommes des égalitaristes déontologiques, nous ne penserons pas que pareille inégalité est mauvaise en elle-même. Nous pourrons admettre que, si nous étions capables de distribuer les talents, il serait injuste ou inéquitable de les distribuer en parts inégales. Mais, sauf quand il y a des effets négatifs, nous ne verrons rien à redire aux inégalités produites par le mélange aléatoire de nos gènes".

Et les injustices de talents n’ont pas toujours d’effets négatifs : c’est une bonne chose que certaines soient beaux, intelligents et aient de l’humour. (…)

Certes, si nous vivions dans une société comme la Culture de Iain M. Banks c’est-à-dire une société dans laquelle nous pourrions facilement changer le physique des gens, nous pourrions considérer cela comme une injustice que certains hommes ressemblent davantage à Olivier Giroud tandis que d’autres ressemblent à Michael Gove, parce qu’une telle inégalité pourrait être corrigée. Mais ce n’est pas le cas. Pour beaucoup d’égalitaristes, alors, il n’y a pas d’équivalence entre l’homme riche et celui qui a de l’humour. L’analogie avancée par Jamie ne tient pas.

Mais même les égalitaristes téliques ont une réponse à lui donner. Selon Larry Temkin, "L’égalité n’est pas la seule chose qui importe. L’égalité n’est pas non plus le seul idéal qui aurait de terribles implications s’il était exclusivement poursuivi. La même chose est exacte pour la justice, la liberté, l’utilité et virtuellement tout autre idéal".

Handicaper l’homme séduisant, comme dans Pauvre Surhomme de Kurt Vonnegut, ou exiger que ses partenaires sexuelles paient une amende comme le suggère Jamie irait bien trop à l’encontre de la liberté. Et la liberté est aussi une valeur. (Les égalitaristes soutiennent, avec raison je pense, que la taxation est moins une restriction en termes de liberté que ne le sont les interventions de Vonnegut.)

Je ne suis donc pas convaincu par la question de Jamie. (...) »

Chris Dillow, « Inequalities that matter, & don’t », in Stumbling & Mumbling (blog), 14 décembre 2017. Traduit par Martin Anota